II-LA MISE EN ŒUVRE DE L’AMALGAME SE HEURTE A DE NOMBREUSES DIFFICULTES

1-La difficile intégration du maquis SERGE au 2e BCP

Le secteur FFI du Louhannais avait été constitué à la Libération en bataillon FFI par son chef, le capitaine DAUMONT-HUREPOIX. Cet ancien de Saint-Cyr avait servi 6 ans au 2e Bataillon à Mulhouse. C’est donc lui qui souhaite appeler la nouvelle unité 2e bataillon de Chasseurs à pieds. Désigné pour rendre les honneurs au général de GAULLE lors des cérémonies de la Libération à Dijon le 23 octobre 1944, il impressionne tant le président du gouvernement que celui-ci le choisit pour défiler à Paris pour les cérémonies du 11 novembre. Cette participation, fanfare en tête, est “ un triomphe ” 1 et contribue à renforcer une cohésion acquise au maquis. Le 18 novembre, c’est le général CHOUTEAU en personne qui remet au bataillon son fanion et aux hommes la fourragère.

C’est donc à une unité pré-constituée, à fort enracinement local, chaque compagnie étant attribuée à un chef-lieu de canton, dans un pays plutôt conservateur et traditionaliste que sont affectés par une décision du colonel DESCOURS une centaine de maquisards du bataillon FTP SERGE  du Morvan, stationnés à Autun depuis la Libération.

Un ensemble de neuf lettres (annexe n°32) adressées au capitaine SERGE, commandant du bataillon portant son nom, font état d’importants problèmes qui amènent les signataires à renoncer à leur engagement. Elles émanent majoritairement de cadres du bataillon puisque parmi les signataires on trouve deux lieutenants, un sous-lieutenant, un adjudant, un sergent-major, deux sergents-chefs et un caporal. Entre le 21 novembre, date d’exécution de la décision notifiée par la subdivision de Mâcon, et le 25, les signataires se sont heurtés à de multiples difficultés. Leur commandant de bataillon étant absent pour cause de permission, ils ont appris par la bande la dissolution de l’unité, donc l’abandon de la perspective de le voir intégré tel qu’il était issu du combat libérateur. Manifestement, même si le ton reste mesuré, ses subordonnés reprochent à SERGE de ne pas avoir été là à un moment décisif et de ne pas avoir communiqué à ses hommes la décision les concernant. L’arrivée dispersée à Louhans (90 km séparent les deux villes), avec les habituelles pannes mécaniques, la découverte par les derniers arrivés que leurs camarades ont été dispersés dans les différentes compagnies du 2e BCP, que certains sont déjà partis au front opèrent comme une douche froide, en harmonie avec les conditions atmosphériques. La mauvaise qualité de la nourriture, l’obligation immédiate de respecter une discipline militaire pour des maquisards peu réputés pour cette vertu viennent s’ajouter à une situation manifestement mal vécue. Enfin, il y a un véritable choc, culturel et politique entre les hommes du 2e BCP, en majorité ruraux, issus d’une région plutôt fermée sur elle-même et des FTP d’origine urbaine, manifestement précédés d’une fâcheuse réputation, avec les termes classiques de “ racaille ”, “ canaille ”, fortement chargée de haine sociale.

Sans généraliser l’observation, on ne peut qu’être frappé par la dissymétrie de traitement des deux réalités. Des maquisards de Bresse, issus de différents maquis AS, respectés dans leur organisation, célébrés pour leurs vertus et un bataillon FTP qui est dissous, les hommes séparés de leurs chefs, les groupes disloqués. Quelles qu’aient pu être les intentions de ceux qui ont pris ces décisions, en l’occurrence le colonel DESCOURS et le lieutenant-colonel ALAIN, les victimes n’ont pu ressentir ces différences que comme des brimades atteignant le cœur même de ce qu’ils considéraient comme leur identité. Rien n’empêchait de leur réserver une compagnie spécifique puisque la 4e fut créée exclusivement pour accueillir les volontaires non maquisards, alors qu’ils auraient fort bien pu être dispersés dans les trois autres compagnies. Si l’épreuve du feu permit de surmonter ce problème initial, il n’empêche que les abandons d’engagement qui touchaient particulièrement les cadres constituaient les symptômes d’un malaise important.

Notes
1.

René PACAUD, op. cit. p.303.