le 11 septembre 1944, à 12 heures, émane du PC du général de LATTRE un “ ordre ” adressé au colonel SCHNEIDER (annexe n°33). Il va apparaître comme le déclenchement délibéré d’une crise dont les termes se sont noués au feu des combats qui se déroulent depuis plusieurs jours dans le secteur Digoin-Nevers-Autun et voient intervenir le groupement tactique commandé par le colonel DEMETZ, principalement constitué par son régiment, le 2e Dragons et les colonnes du Groupement mobile du Sud-Ouest commandées par le colonel SCHNEIDER. L’importance stratégique de ces combats est bien réelle : ils ont abouti à la reddition du Kampfgruppe BAUER et de la colonne ELSTER ainsi qu’à la fermeture du dernier axe de repli possible pour les forces allemandes venues de l’Ouest et du Sud-Ouest. Ils concernent directement la question des FFI donc de l’amalgame par deux biais : le refus américain, cautionné par le délégué militaire du gouvernement français, de laisser aux FFI l’armement lourd de la colonne ELSTER est significatif du rôle qu’ils sont destinés à jouer dans la suite de la guerre ; en faisant intervenir côte à côte deux éléments importants, le groupement tactique DEMETZ relevant directement de commandant de l’armée B et les unités FFI du GMSO, ils posent concrètement le problème de la place de celui-ci dans le dispositif français de la campagne vers l’Alsace et l’Allemagne. C’est de cela qu’il est question dans l’ordre du 11 septembre.
Trois points ressortent de l’intitulé de ce qui est une convocation. L’origine en est double, un ordre venu du général COCHET, délégué militaire du CFLN pour la zone Sud, demandant à de LATTRE “ de prendre directement sous ses ordres le groupement SCHNEIDER ”, et “ les circonstances de la région Autun-Nevers demandant des décisions urgentes ”. Le premier identifie l’origine politique de l’ordre de rattachement. Quant au second, très allusif, il touche au cœur des rapports entre le commandant de l’armée B et le chef du GMSO. Ce ne sont pas les circonstances immédiates qui font urgence. A l’heure où est écrit le message, la reddition de la colonne ELSTER est en voie de réalisation, la veille BAUER et ses hommes se sont rendus et sont désormais en route pour Chalon, à pied, gardés, suprême humiliation, par des “ terroristes ” 1 . De LATTRE n’ignore rien de cela puisqu’il était à Autun le matin du 11, avant de regagner son PC mâconnais. Ce sont les circonstances du déroulement tactique de la bataille et particulièrement l’attitude délibérément autonome du SCHNEIDER dans la zone Digoin-Nevers qui est en cause. Le second point est la décision de mettre “ directement ” sous les ordres du général de LATTRE “ le groupement SCHNEIDER ”, tout en amorçant son démantèlement puisque ses trois groupements sont “ jusqu’à nouvel ordre ” rattachés au groupement tactique de DEMETZ. Enfin la redondance de l’idée d’urgence, le ton quelque peu comminatoire de ce texte annoncent une décision de rupture.
L’enjeu que représente pour la politique d’amalgame le GMSO est considérable. Il est fondé fin août par Maurice CHEVANCE-BERTIN 1 . Ancien officier d’active démissionnaire en 1940, BERTIN a participé à la fondation de COMBAT, siège aux côté de VOGUË et VILLON au COMIDAC et a organisé avec de BENOUVILLE le bureau FFI au ministère de la guerre à Alger. C’est donc un homme d’envergure, paré d’une légitimité résistante sans faille qui débarque à Toulouse le 25 août, flanqué d’un de ses anciens chefs de la Coloniale, le colonel SCHNEIDER. Découvrant rapidement l’énorme potentiel de combattants volontaires que constitue le Sud-Ouest, il s’attelle alors à l’organisation de cette force potentielle, sous l’appellation de “ Groupement mobile des FFI du Sud-Ouest et du Centre ”, habituellement résumé dans le sigle GMSO. Il est constitué de la Division légère de Toulouse, de la Division légère d’Auvergne et de la Brigade de Corrèze, rejointes le 11 septembre à Varennes-sur-Allier par la colonne des “ Alsaciens-Lorrains ” de MALRAUX et le Groupe MARION. Ceci porte les effectifs de l’ensemble à 32 000 hommes. Ces unités intègrent, y compris au niveau de leurs états-majors, des hommes venus de toutes les structures de la Résistance, de l’ORA aux FTP. Le commandement en est assuré par le colonel SCHNEIDER, désigné par BERTIN. Ceci n’est pas, semble-t-il, sans poser de problèmes. Le colonel REDON-DURENQUE, ancien chef des FFI du Tarn et qui commanda la colonne de Toulouse aurait préféré à ‘cet “ officier d’active chevronné certes, mais coupé des réalités de la métropole depuis début 1941 ”’, un BERTIN qui s’est effacé “ par modestie ” selon lui, mais qui aurait représenté face à de LATTRE une toute autre légitimité FFI et n’aurait pu recevoir du chef de l’armée B, le 11 septembre, cette apostrophe cinglante : “Vous ! SCHNEIDER, FFI ! Mais vous étiez à Alger il y a trois semaines ! ”. Il reste que l’importance numérique du groupement, la part qu’il a prise dans le contrôle de cet entonnoir que constituait l’axe La Palisse-Digoin-Autun, en font un enjeu décisif pour la mise en route de l’amalgame. Ceci donne à la confrontation du 11 septembre une réelle importance.
Sur le déroulement de celle-ci, les récits divergent quelque peu dans le détail des choses. Dans Le sens de leur combat 2 , le colonel SCHNEIDER se pose en défenseur de ses “ volontaires sans contrat militaire ” face aux “ exigences ” du “ Roi Jean ” 3 . Il est convaincu que celui qu’il qualifie d’ “ autocrate raffiné et hautain, jaloux de son autorité ” est prêt à sacrifier son groupement. Lui qui a stupéfié les officiers de son groupement par l’irréalisme de son “ Instruction personnelle et secrète ” du 2 septembre 1 manifeste alors sa crainte de voir des “ formations sous-équipées, insuffisamment instruites, armées et encadrées ” engagées comme telles dans une “ bataille classique ”. Faisant silence sur l’apostrophe précitée du général de LATTRE, c’est à la menace de ce dernier de le casser, de le destituer, de le faire passer en conseil de guerre s’il n’obéit pas qu’il attribue sa réponse négative, sans préciser les termes de la dite obéissance. REDON-DURENQUE transcrit la scène de façon quelque peu différente. Selon lui, ce n’est pas à une exigence générale d’obéissance qu’il s’est opposé mais au fait que le général, après s’être appuyé sur le soutien du GPRF, ait revendiqué la possibilité de prélever sur les colonnes de SCHNEIDER “ qui (il) voudrai(t), quand (il) voudrai(t), en fonction des circonstances de la bataille ”.
Mais l’essentiel, au-delà de ces témoignages divergents, réside dans la volonté du commandant de l’armée B d’intégrer le GMSO dans son dispositif, d’en disposer en toute liberté, pièce par pièce, et d’anticiper sur le décret du 23 septembre imposant un engagement pour la durée de la guerre. Pour SCHNEIDER, cette décision va de pair avec le refus d’accorder au GMSO la disposition des prises de guerre de la colonne ELSTER qui auraient données au groupement les moyens ‘“ d’une grande unité tactique, dotée d’un armement moderne ”’ ‘ 2 ’. Il est vrai que les prises sont importantes, avec entre autres, 600 mitrailleuses, plusieurs dizaines de blindés, plusieurs centaines de véhicules. Ce point de vue est partagé par un de ces jeunes maquisards du Sud-Ouest, issu du maquis de Vabre, Guy GAULTIER 3 . Il témoigne du mépris que les cadres de l’armée d’Afrique leur manifestaient et du rôle de “ forces d’appoint ” dans lequel ils étaient cantonnés. A l’instar des maquisards de bataillon SERGE, il rejette la “ discipline de caserne ” qui leur était imposée, alors qu’ils n’avaient “ pas envie de perdre (leur) identité de maquisards ”. Le résultat de la dislocation du groupement et de l’obligation d’engagement fut le retour au foyer d’environ 40 % de ses effectifs initiaux.
Le dernier terme de la crise fut, le 28 octobre, la dissolution du groupement, après que SCHNEIDER eut tenté de freiner l’ampleur de l’opération en cherchant à limiter l’importance du transfert des hommes du CFP à la 1ere armée. Par la suite, alors que de LATTRE avait refusé à SCHNEIDER tout rôle de coordination des nouvelles unités issues du groupement 1 , celui-ci demanda à être remis à disposition de son arme d’origine. Privé de tout commandement, il sollicita encore le 10 avril 1945 un commandement dans l’infanterie divisionnaire, soulignant qu’il était à la disposition de l’armée depuis cinq mois.
Pour de LATTRE, la conduite de l’affaire marque le début de la réalisation de l’amalgame. Ces circonstances sont donc éclairantes sur sa conception de cette opération, en particulier sur les limites de sa volonté de respecter l’identité, “ la mystique ” des groupements FFI. Celles-ci portent sur la nécessité qu’elles se soumettent strictement à ses choix stratégiques, sans le moindre empiétement sur son autorité. Les velléités de SCHNEIDER ne pouvaient de toute évidence lui être supportables. Dès lors, il avait la main sur l’affaire et il pouvait réaliser l’opération charme de Saulon-la-Rue.
Gaston REBILLARD qui participa à l’encadrement de la colonne de prisonniers se souvient avec délectation de la colère impuissante des officiers allemands. Entretien multiples.
L’histoire en fut retracée au colloque L’amalgame par le général REDON, op. cit. p.54-57.
Colonel SCHNEIDER, Le sens de leur combat, Librairie Jacques, Dole, 1974, 232p.
Idem, p.163.
Général REDON, op. cit. p.55.
Colonel SCHNEIDER, op. cit. p. 169.
L’itinéraire de Guy GAULTIER recoupe à la fois les préoccupations de ce chapitre et les épisodes qui le concernent. Après la libération de Castres, il participe, avec un side-car Terrot de 500cm3 repris à l’armée allemande, au transfert du GMSO vers Digoin. Il vit les épisodes complexes de l’intégration à la Ière Armée, la dispersion des groupes issus du maquis, et le 8 octobre l’ordre aux Juifs issus des maquis du SO de choisir le départ ou la Légion (voir l’Arche, n°422, juillet 1994). Il participe à la bataille du Mont des Vannes, où la “ piétaille FFI ” dut, au prix de lourdes pertes, se substituer à des chars “ scotchés dans la boue ”. Entretien 1er juillet 1998.
AN 72AJ446, note du colonel SCHNEIDER.