III-LES ARRIERE PENSEES POLITIQUES DE L’AMALGAME

La véritable explosion des effectifs des FFI au cours de l’été 1944, leur disponibilité dès lors que la libération est acquise n’offrent pas seulement la possibilité d’associer la jeunesse de France au combat final dans le cadre de l’armée régulière. Elle soulèvent aussi un problème politique. Des jeunes gens qui étaient adolescents en 1939, donc sans vécu politique dans le cadre réglé du parlementarisme, rapidement imprégnés de l’exaltation du combat clandestin, constituent une force certes inorganisée mais dont beaucoup de gens ont redouté la capacité à devenir une force révolutionnaire ou au moins de désordre.

A Mâcon, Marcel VITTE-THIBON 2 , entré dans la ville à la tête de son groupe est rapidement inquiet devant la présence de près de “ 2 000 maquisards désoeuvrés ”, à “ la discipline très relative ”. Marcel VITTE est consterné par les séances de “ pêche à la grenade ”, ‘“ les explosions nocturnes aux devantures des magasins…et même, étouffés dans un silence de peur ou de complicité, quelques meurtriers règlements de comptes ”’ ‘ 3 ’. La situation est aggravée par le fait que les cadres départementaux de la Résistance sont partis rapidement vers d’autres tâches. FERRAND est parti avec une partie de ses hommes à la Division alpine, son adjoint à la tête de l’AS, Claude ROCHAT est en charge de la sous-préfecture de Chalon, Henri VITRIER qui commandait les FTP de la partie du département relevant de la zone Nord est sous-préfet d’Autun. Reste Jean RITOUX-LE DON chef des FTP zone Sud mais dont VITTE se méfie. Il attribue à ce vieux militant communiste, adhérent de la première heure, des arrières pensées révolutionnaires. Il accueille donc la directive du colonel DESCOURS avec soulagement. Pour lui il s’agit d’un facteur majeur de retour à la légalité républicaine.

Cette crainte est présente en bien d’autres circonstances. A l’origine de la constitution du GMSO, on retrouve cette préoccupation. Sans barguigner, le colonel SCHNEIDER l’exprime 1 en estimant que la formation du groupement s’imposait politiquement en raison de ‘“ l’effervescence créée par l’état d’insurrection générale des régions du Sud-Ouest et du Centre au moment de la Libération qu’il était urgent de décongestionner ”’. Cette considération, reprise par bien d’autres concernant la région de Toulouse et dont la recherche a montré qu’elle relevait plus de hantises conservatrices que d’analyses objectives, recoupe largement le point de vue exprimé tant par de GAULLE que par de LATTRE.

Même du côté du PCF, l’attitude à l’égard de la politique d’amalgame ne fait pas l’unanimité. Officiellement certes, la direction du parti comme celle des FTP souhaitent la contribution des FFI à la formation d’une nouvelle armée. Mais localement apparaissent des positions beaucoup moins limpides. En Saône-et-Loire, le colonel FTP LE DON ne cache pas ses réticences, estimant que les FFI seront réduits au rôle de supplétifs. A Nevers 2 , les dirigeants de la fédération de la Nièvre divergent. Marcel BARBOT, futur député-maire communiste de la ville-préfecture manifeste son opposition alors que d’autres dirigeants soutiennent la position de la direction. Même cette attitude n’est pas exempte d’arrières pensées. Pour Paul MATRIOLET les hommes de l’appareil sont ravis de voir partir pour d’autres combats des hommes comme Roland CHAMPENIER dont la gloire acquise au combat comme les capacités alors manifestées risquaient de leur faire de l’ombre. Cette théorie est corroborée par la misérable situation matérielle qui est faite à CHAMPENIER (annexe n°34). Ni l’armée régulière, ni le PCF n’ont agi pour soutenir le jeune commandant.

Ces trois références illustrent une situation beaucoup moins simple que ce que les discours officiels pourraient laisser croire. L’exaltation de l’élan patriotique, les références historiques récurrentes à l’An II masquaient en réalité, de la part de ceux qui d’ores et déjà préparaient la restauration d’une République conservatrice, une grande crainte à l’égard des FFI. Les limites rapidement mises au respect de l’identité des formations intégrées, les conditions de leur engagement, le règlement de la question des grades vont dans le sens de la volonté, fondamentalement politique, de briser une force perçue comme politiquement dangereuse.

Notes
2.

Né en 1918, en 1944 jeune officier du groupe GENEVES, du nom de son fondateur. Fut inspecteur général d’Histoire, élu mâconnais, dirigeant sportif, chroniqueur de la Résistance. Entretien du 28 juin 1996 et nombreux entretiens informels.

3.

Marcel VITTE, 1944 à Mâcon, Mâcon, Comité du cinquantenaire, 1994, p.45.

1.

AN 72AJ446.

2.

Paul MATRIOLET-LE VENGEUR (ou LA RIPETTE), entretien 12 mai 1999.