2-Claude MONOD, chef régional évincé

L’histoire de celui qui commanda la région D à partir du 8 mai 1944, suite à sa nomination par le COMAC, nous est connue par les papiers importants qu’il avait établis, destinés à constituer la base d’une histoire de la Résistance en Côte-d’Or et que son fils Jean MONOD a publiés 2 , publication prolongée par une réflexion personnelle sur l’histoire de son père 3 .

Claude MONOD naît le 16 janvier 1917, fils du professeur Robert MONOD, chirurgien des hôpitaux de Paris, directeur des services sanitaires FFI pour la Seine-et-Oise, et de Gabrielle HERVE, elle aussi médecin. Il “ prend la relève de la tradition familiale ” 4 et accomplit de brillantes études de médecine, non sans cultiver une certaine insouciance et mettre en pratique son goût et son talent pour la peinture. Mobilisé en 1939, il demande à être affecté dans les troupes combattantes. A son ami Bernard DUHAMEL, il confie qu’ainsi, il a voulu ‘“ apprécier (sa) force de résistance physique et morale aux exigences de la vie des tranchées, avec son inconfort, ses dangers, son ennui, ses privations ”’ ; il espérait qu’on pouvait “ de cette expérience, sortir anéanti ou fortifié ”. Datée du 4 mars 1940, cette missive est évidemment marquée par un forme de guerre bien différente de celle qu’il vivra en mai-juin et l’amènera quelques kilomètres devant Chalon-sur-Saône, au moment de l’armistice.

Alors qu’il est interne à l’Hôpital Saint-Louis, en 1942, il entre en contact avec le mouvement Défense de la France dont il crée l’organisation militaire en 1943. C’est le début d’un parcours qui le mène en mai 1944 à la tête d’une région D qui couvre la Côte-d’Or, la Haute-Marne la partie nord de la Saône-et-Loire (sous-région D1), la Haute-Saône, le Doubs, le Territoire de Belfort et la partie nord du Jura (sous-région D2). Sa position géographique, les directions des axes stratégiques déterminés par les choix de lieux de débarquement attribuent à cette région un rôle déterminant dans la bataille de la Libération. Si l’histoire de son commandement ne relève pas directement de cette étude, notons cependant qu’il l’exerça avec rigueur et efficacité, sachant mettre en action des forces disparates, tout en laissant suffisamment d’autonomie aux chefs de maquis. L’importance et la diversité des témoignages de soutien qu’il reçut par la suite témoignent de ce bilan.

Son premier contact avec ce qui s’énonce comme la politique d’amalgame est sa rencontre avec le général de LATTRE, lors de la libération de Dijon, le 11 septembre 1944. Celle-ci, immortalisée par un cliché photographique faisant souvent l’objet d’un total contresens (annexe n°35) en la présentant comme une scène de félicitations, constitue une catastrophe pour le jeune colonel MONOD. De LATTRE l’informe qu’en application du décret du 29 août prévoyant la dissolution des FFI son commandement est supprimé et les structures de commandement de la Région D dissoutes. La volonté d’effacer les FFI comme force organisée s’était déjà manifestée, la seconde quinzaine d’août, par le parachutage du colonel VIATTE-DIAGRAMME dans le cadre de l’opération Verveine. Ignorant le commandement régional, DIAGRAMME avait revendiqué toute autorité sur les départements de Saône-et-Loire, de Côte-d’Or et de Haute-Marne 1 , soutenu par les autorités de l’armée américaine. Malgré le soutien de ses DMR, MONOD n’avait pu empêcher que les services de la préfecture, du CDL de Côte-d’Or et de la mairie de Dijon s’installent en attente de la Libération au maquis BAYARD, armé par DIAGRAMME. MONOD peut donc légitimement estimer 2 que “ ni le préfet, ni le commissaire de police, ni le président du CDL ne reconnaissent le commandement FFI tel qu’il s’est exercé pendant la période des combats de la Libération ”, et que de fait ils soutiennent le colonel VIATTE. Cette volonté d’effacement est publiquement formulée, dès sa nomination par de LATTRE, par le commandant d’armes de la place de Dijon affirmant : “Messieurs les FFI doivent disparaître au sein de l’armée régulière ”. La distance dédaigneuse du “ Messieurs ”, la brutalité du terme “ disparaître ” seront largement confirmées par ce qui suivra.

Symboliquement, le nom même de MONOD est absent des nombreux discours des cérémonies du premier anniversaire de la libération de Dijon, le 12 septembre 1945. Celle qui fut un de ses agents dans la clandestinité, Geneviève de CHAMBURE, s’en indigne auprès du maire de Dijon 1 . Le maire répond par une dérobade médiocre en estimant qu’il ‘“ aurait été difficile, sans commettre de fâcheux oublis, d’entrer dans cette voie et de risquer de manquer à son devoir en omettant de citer de nombreuses et importantes personnes qui ont également sacrifié leur vie pour notre délivrance.. ”. ’

Une autre circonstance va le mettre en opposition publique avec les nouvelles autorités civiles, incarnées par le CDL ou plus précisément son président Claude GUYOT.

Le point de départ en est constitué par des rumeurs mettant en cause Mr BOUVET de MAISONNEUVE, châtelain d’Arceau village situé à l’Est de Dijon. Le 8 novembre 1944 le journal local Le Bien Public publie (annexe n°36) un communiqué attribué à Claude MONOD qui prend sa défense. S’élevant contre les “ bruits les plus fantaisistes ”, “ les informations les plus tendancieuses ” qui circulent, il rappelle que sous le pseudonyme de LEGROS et avec le grade de lieutenant, de MAISONNEUVE était responsable départemental du BOA pour le Doubs, après avoir “ été chargé de missions des groupements de résistance en Côte-d’Or et autres départements ”. Cette prise de position lui vaut une réaction brutale du CDL sous forme d’un communiqué publié par le même journal le 14 novembre. Les membres du CDL, après avoir estimé que “ chacun doit rester à sa place ”, refusent ‘“ que Mr MONOD, faisant fonction de colonel, vienne nous dicter de l’extérieur une ligne de conduite ”’. Affirmant que de MAISONNEUVE “ n’a jamais été chargé d’une mission quelconque dans les groupements de résistance ”, le communiqué tance vertement l’impudent en signifiant que ‘“ Mr MONOD, venu un beau matin de mars ou avril 1944 comme simple agent de liaison entre les FFI et le Comité départemental de Libération, aurait dû l’ignorer moins que quiconque ”’. Absent de Dijon, MONOD ne prend connaissance de cette polémique que début novembre et choisit de s’adresser directement au CNR pour lui demander son arbitrage. Dans son rapport (annexe n°37), outre qu’il y démontre ne pas être l’auteur du communiqué incriminé, il réitère ses affirmations concernant de MAISONNEUVE, avance à propos du communiqué qu’il s’agit d’une initiative du seul président du CDL et que lui-même peut se prévaloir du soutien de l’ensemble de ceux qui étaient ses subordonnés au sein de la Région D comme de celui de membres du CDL, particulièrement des représentants des mouvements, MLN et FN. L’ultime circonstance de l’affaire est que la réponse du CNR, entièrement favorable à MONOD, en date du 30 décembre, n’est publiée par Le Bien Public en Côte-d’Or que le 28 mars 1945, suite à des pressions du CDL sur le quotidien.

Le déroulement des faits, quelques deux mois après la Libération et la fin de son commandement, comme le contenu de la polémique confirment la volonté des autorités civiles, en l’occurrence Claude GUYOT, d’enlever à Claude MONOD toute latitude d’intervention dans la région dont il commanda tout de même les forces résistantes pendant cinq mois. Cette volonté va jusqu’à réduire ses mérites, à travers les fielleuses insinuations du communiqué du 14 novembre, minimisant son rôle en opposant la légitimité du CDL formé “ sous la présidence d’un délégué d’Alger ” à celle d’un “simple agent de liaison ”, arrivé “ un beau matin ”. Ces insinuations sont évidemment fort éloignées de la réalité. Nous avons vu en son temps combien l’histoire du CDL fut tortueuse, alors que la nomination de MONOD provient directement du COMAC et du général KOENIG. Elles sont en cohérence avec les pratiques du président du CDL, familier de telles manœuvres.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Plus que la personne même de MONOD, c’est la légitimité de ce qu’il incarne qui gêne. Les manœuvres conjuguées de l’armée régulière et des autorités civiles sont parvenues à l’écarter du théâtre bourguignon.

Mais il n’en avait pas fini avec les humiliations.

Après avoir passé un mois au camp du Valdahon, il est envoyé à l’Ecole des Cadres de Pougues-les-Eaux dans la Nièvre suivre un “ stage de perfectionnement ”. Sorti premier de son stage, affecté comme adjoint au colonel commandant le 60e Régiment d’Infanterie de Bourgogne, il est désigné le 13 mars 1945 pour un nouveau stage, cette fois à Rouffach où l’attend une épreuve pratique humiliante : la répartition des stagiaires. Il demande alors d’être détaché au 4e RTM, désigné pour franchir en premier le Rhin à Germersheim. Lui qui a commandé une région se retrouve adjoint d’un commandant de compagnie. Il tombe le 2 avril 1945, en pays de Bade, à la tête d’une section.

S’il est bien un point commun aux trois personnages, car ce n’est pas forcer les choses que supposer que Roland CHAMPENIER aurait sans sa mort prématurée subi le sort des deux autres, c’est qu’après avoir montré des capacités exceptionnelles au maquis, celles-ci ne furent que très médiocrement utilisées par la suite, parfois même niées dans le cas de MONOD. Ceci met en lumière une des réalités de l’amalgame : la mise au pas des chefs de maquis, en particulier les plus jeunes, au bénéfice des cadres de l’armée régulière. Philippe VIANNAY, cité par Jean MONOD 1 pouvait alors avancer : ‘“ La grande faiblesse de la Résistance a été de ne pas se diriger elle-même. Elle n’en avait pas les moyens. Le procès fait aux communistes relève des agressions tactiques des politiciens qui eux ont bel et bien pris le pouvoir sur le dos des résistants en les traitant de communistes ou d’arrivistes et en envoyant se faire tuer les plus obstinés… ”’. Ceci n’est qu’un aspect particulier, accentué et en totale contradiction avec la référence historique de l’An II qui promut volontiers de très jeunes chefs, d’un problème général qui est celui de l’intégration des chefs FFI, concernant leur grade comme le niveau de leur commandement. Qu’un homme comme le commandant LECOEUR-BONHOMME, ancien de Saint-Cyr, ancien officier d’active, responsable militaire du grand maquis FTP Jean PIERSON au cours de l’été 1944, se voie proposer un stage de perfectionnement après la Libération est révélateur de la suspicion dans laquelle étaient tenus les cadres FFI, FTP en particulier.

Dans sa note en date du 27 février 1945, le cabinet du Ministère de la Guerre fait le point sur l’homologation des grades. Sur 801 officiers supérieurs dont le dossier a été examiné, 295, soit environ 37% ont été rétrogradés à des grades d’officiers subalternes. Le rapport précise qu’après l’homologation se posait la double épreuve “ du feu ” et “ de l’école de cadres ”. Concernant l’intégration des officiers supérieurs étant passés par les quatre écoles qui leur étaient destinées, Provins, Pougues-les-Eaux, Castres et Saint-Maixent, le rapport estime en conclusion que ‘“ l’intégration des cadres supérieurs ne s’exerce en définitive que sur quelques individualités ”’ ; l’explication fournie précédemment est la médiocre qualité des stagiaires. L’exemple de Claude MONOD, major de sa promotion, apporte un démenti total à cette appréciation. Le nombre réduit d’officiers supérieurs FFI intégrés à l’armée régulière est confirmé par le “ Note aide mémoire sur les cadres de l’armée nouvelle ”, issue du cabinet militaire du ministre de la Guerre, en date du 6 octobre 1945 qui établit le tableau des cadres intégrés à la suite des décrets des 26 mai, 26 juin, 26 juillet et 26 septembre 1945 :

  ACTIVE RESERVE
Colonels 6 7
Lieutenants-colonels 31 52
Commandants 102 205
Capitaines 196 1066
Lieutenants 325 2890
Sous-lieutenants 920 2980

Il ressort clairement de cela que la volonté affichée de renouveler en profondeur l’armée régulière par l’apport d’hommes venus de la Résistance n’a que très partiellement abouti, en grande partie parce que ces hommes faisaient peur et que la rémanence dans l’armée de 1944-1945 de tout ce qu’ils avaient rejeté en a fait fuir un nombre significatif 1 .

Notes
2.

Claude MONOD, La région D, Ed. Aiou, Saint Etienne Vallée Française, 230p., 2e édition, 1994.

3.

Jean MONOD, Colonel FFI, même éditeur, 142p.,1997.

4.

Claude MONOD, op. cit. p.8.

1.

Claude MONOD, op. cit. p. 102.

2.

Jean MONOD, op. cit. p. 107.

1.

AM Dijon, AM1H41, FFI 1944-1947.

1.

Jean MONOD, op. cit. p. 49.

1.

Bien d’autres cas viennent à l’appui de cette constatation. Paul PISSELOUP-commandant PAULO, FTP, après un premier stage à l’école de Dracy, est envoyé avec le grade de lieutenant, à l’école des cadres de Regeannes à Appoigny près d’Auxerre. Sur sa promotion de 30, il n’y eut qu’un reçu, Léon ALLAIN-HECTOR, FTP de Montceau-les-Mines. Il se souvient du mépris ouvertement affiché par l’encadrement et d’un commandant qui dirigeait la manœuvre du haut de son cheval, n’hésitant pas à organiser des assauts d’infanterie, de jour et à découvert, ce qui n’allait pas sans étonner des hommes issus de la guerilla rurale. Paul PISSELOUP fut ensuite déplacé à Dijon, Mâcon, Bayonne, pour être finalement démobilisé au printemps 1945, sans avoir été engagé.Entretiens.