L’engagement pour des combats dont chacun mesure les dangers apparaît en plusieurs circonstances comme un moyen d’effacer une faute plus ou moins lourde.
Dans un rapport en date du 5 novembre 1944 adressé au préfet de l’Yonne 1 , les RG d’Auxerre font état de l’affaire concernant le sergent R.B., du groupe VERNEUIL. Gardien à la prison d’Avallon, celui-ci s’est signalé par une série d’actes qui lui ont vu attribuer le surnom de “ le tueur ”. L’exécution de sept prisonniers allemands à la fin de septembre, donc après la Libération, la persécution des prisonniers français dont la tonte d’une femme, le même geste en ville sur deux autres femmes ont suscité “ une forte émotion ” dans la sous-préfecture de l’Yonne et provoqué une vive dénonciation de la part de la Ligue des Droits de l’Homme. Le CCL, interpellé, répond par une esquive significative en disant que, à la suite des faits dont il ne conteste pas la réalité, le coupable a “ été envoyé au front ”. L’explication apparaît comme suffisante aux dirigeants du CCL pour que l’affaire en reste là.
Cet aspect a été intégré dans la mémoire collective. Plusieurs témoins, abordant les suites judiciaires de l’affaire DOUSSOT, m’ont fait part de leur conviction que si celui-ci s’était engagé, et en particulier s’était porté volontaire pour l’Extrême-Orient, non seulement il aurait évité d’être confronté à la justice mais qu’il serait soit revenu vivant bardé de médailles, soit verrait son nom figurer sur un monument aux morts pour la France !
La pertinence de l’hypothèse du rôle rédempteur d’un engagement militaire est pleinement confirmée par une note 2 envoyée le 11 avril 1945 par le général PFISTER, sous-chef à l’état-major des armées, aux généraux commandant les régions militaires. Il constate que le Corps expéditionnaire d’Extrême-Orient ‘“ présente un déficit considérable qu’il sera vraisemblablement impossible de combler si l’on se borne à faire appel aux engagements par voie ordinaire ”’. Considérant qu’un ‘“ grand nombre de jeunes gens ont fait l’objet de mesures d’internement administratif pour des causes diverses ”’, il annonce sa ‘décision “ d’autoriser les internés politiques, les internés pour marché noir, les nomades, à contracter au titre de la 1ère division du Corps expéditionnaire soit des engagements de 3 ans et plus soit des engagements pour la durée de la guerre, y compris l’Extrême-Orient ”.’
Dans le même sens, concernant cette fois un cas particulier, va la note du 1er bureau de l’Etat-Major des Armées en date du 23 octobre 1945 3 . Elle répond à une demande provenant de P.L. condamné à mort pour intelligence avec l’ennemi. A la suite d’une grâce présidentielle cette peine a été commuée en travaux forcés à perpétuité. Il manifeste le souhait de s’engager dans l’armée. Le bureau chargé du recrutement lui répond que la grâce n’efface pas la condamnation et que celle-ci exclut tout engagement dans l’armée française y compris dans la Légion étrangère “ à titre français ”. Cependant il précise que ‘“ après avoir satisfait, à la section d’exclus d’Aïn Sefra, aux obligations militaire de sa classe, l’intéressé pourrait contracter un engagement de longue durée à titre étranger à la Légion étrangère ”’. La référence “ aux obligations de sa classe ” provient de son appartenance à la classe 44.
Ainsi, au moment où des maquisards sont traînés devant les tribunaux et sont parfois condamnés à de lourdes peines, des condamnés à mort pour intelligence avec l’ennemi, ce qui correspond à des dossiers très lourds, ou des hommes qui relèveraient au moins des chambres civiques de l’épuration parviennent à se blanchir en s’intégrant à l’armée. Les protestations réitérées d’organes issus de la Résistance comme France d’Abord, Combat ou Franc-Tireur contre la présence dans l’armée française, en particulier dans les unités intervenant en Indochine, d’éléments au passé trouble trouvent ici un éclairage brutal leur enlevant le caractère de fantasmes que de bons esprits peu regardants ont bien voulu leur accorder alors.
AD89 1W26.
SHAT 9P132.
SHAT 6P14.