Dans l’histoire de ce que beaucoup d’anciens du maquis ont perçu comme un tourbillon dans lequel ils ne se retrouvaient plus trop, trois décisions apparaissent, au sein d’une pléthore d’instructions, comme constituant autant de termes charnières dans cet aspect de la vie des unités FFI intégrées.
Dès le 19 septembre 1944, alors que la Ière Armée est à l’entrée de la trouée de Belfort et que la VIIe Armée du général PATCH tente de pénétrer en Basse-Alsace par les cols des Vosges, une instruction du Ministre de la Guerre 3 est adressée aux généraux commandant les régions militaires pour fixer le cadre de leurs pouvoirs. Elle indique qu’ils exercent leur “ autorité ” sur “ tout le territoire ” et “ sur toutes les troupes, unités et services qui y sont stationnés, à la seule exception des troupes en opérations… ” et prend soin de préciser qu’ils sont en charge “ par délégation ” du ministre du “ commandement sur toutes les troupes FFI stationnées ” dans la région d’exercice. Tous “ les ordres et instructions ” émanant “ des organismes propres aux FFI ou des anciennes délégations militaires sont nuls et non avenus ”. Enfin elle indique que ‘“ les divers commandements locaux FFI sont purement et simplement ”’ aux ordre du commandant de la région militaire. L’insistance sur l’unique source de décision, sur l’unique instance d’autorité, l’exclusion de tout ce qui relève des pouvoirs hérités du combat résistant manifestent la volonté de rompre avec cet héritage et révèlent les difficultés de retour à l’ordre que nous avons pu constater, avec de nombreuses situations où les pouvoirs de fait constitués à la Libération continuent d’opérer.
Le 29 janvier 1945, une “ instruction personnelle et confidentielle ” 1 du général CHOUTEAU, commandant la 8e RM depuis le 5 octobre 1944 (il s’agit de l’ancienne 14e RM regroupant la Bourgogne et la Franche-Comté, qui deviendra en 1946, la 7eRM, en se renforçant de l’Allier et du Territoire de Belfort) est transmise aux commandants de subdivisions. Cette instruction se fixe pour but de combler “ la lacune ” née des circonstances de la “ mise sur pied immédiate de certaines unités ” qui n’ont pas permis de mettre en lumière ‘“ l’ensemble des buts à atteindre et des moyens propres à la réalisation de ces buts… ”’. Suit un programme de réorganisation des unités issues de sa région. Le général prend alors soin de préciser que ‘“ dans la réalisation de ce programme qui entraîne une dissociations des unités et un brassage des effectifs, les commandants de subdivision ont à jouer un rôle moral et matériel dont l’importance ne saurait leur échapper : il s’agit de faire comprendre aux officiers et hommes de troupe que l’heure des petits éléments groupés (anciens maquis) est passée. La mise sur pied d’une Grande Armée française exige que chacun obéisse et serve au poste où le commandant estime utile de le placer ”’. On ne saurait être plus clair. Le temps du maquis est passé, ce qui relève de l’évidence, mais derrière cette rationalité, se cache l’absence totale de référence positive à ces “ petits éléments groupés ”, dans le combat clandestin comme dans leur engagement dans la bataille d’Alsace. La froideur administrative de cette instruction est riche de signification politique. Les réorganisations en cours doivent liquider au sein de l’armée tout ce qui pourrait prolonger, structurellement comme subjectivement, une “ configuration maquisarde ”.
A l’échelle de l’armée ? cela donne effectivement la disparition quasiment totale de toutes les unités ayant gardé, même de façon formelle, une référence à leur passé maquisard. Le 9 février 1945, le Ministère de la Guerre donne comme directive 2 au général de LATTRE, de remplacer dans chaque DINA un régiment de Tirailleurs par un RI “ entièrement français ”, d’origine FFI, dans chaque division de créer un RI, de transformer les bataillons de choc et les commandos de choc en groupements de choc, d’intégrer les bataillons FFI subsistants à des régiments. Cette décision, fruit de la situation dégradée des unités nord-africaines engagées depuis 1943 comme de la volonté du général de LATTRE, ne fait d’ailleurs pas l’unanimité dans les rangs de l’armée. Le général LAFFARGUE, inspecteur de l’infanterie, dont l’hostilité, la hargne même à l’égard des FFI se manifesta à plusieurs reprises, proteste violemment contre la décision ministérielle dans une note adressée au ministère de la guerre le 22 février 1945 1 . Il fait part de sa “ protestation particulièrement véhémente ”, salue le courage et l’efficacité des régiments nord-africains, considère que ce sont “ les seules unités sur lesquelles l’infanterie puisse compter ”, du fait que ‘“ les régiments FFI n’ont fait jusque là que la preuve de leur inefficacité ”’. Pour lui, au cours de la bataille d’Alsace, ces unités ne jouèrent qu’un rôle “ de figurants ou de spectateurs ”. Sa diatribe s’achève par une phrase terrible : ‘“ Ils ont payé cher leur droit de survivre et par leur survie de continuer à faire vivre les morts ”’. Si le propos paraît totalement insultant, eu égard aux énormes pertes subies par lesdites unités lors de la bataille d’Alsace, il n’en manifeste pas moins un sentiment qui se retrouve à plusieurs reprises dans la bouche ou sous la plume de cadres de l’armée régulière. Il n’est pas étonnant qu’au moins au niveau des sous-officiers qui taient plus au contact de cet échelon de décisions, cet état d’esprit ait été douloureusement ressenti 2 .
Du fait de l’application de la décision ministérielle aux unités issues des maquis de Bourgogne, déjà affectées de multiples mutations, le 27e RI remplaça le 1er RTA et le 35e RI fut affecté à la 14e DI, division devant incarner l’amalgame. Ce n’était que l’aboutissement de toute une série d’amples mutations touchant à la structure interne des unités comme à leur affectation.
SHAT 6P7.
SHAT 9P49/2.
SHAT 7P58.
SHAT 7P8.
Henri MONDANGE fait état du sentiment d’être “ pris pour des rigolos ” par des officiers de l’armée régulière. Entretien 11 décembre 1998.