2-Un équipement de misère, avant les dotations réglementaires

La montée en lignes se fait avec les véhicules et les tenues hérités du maquis. Ce qui est vécu sur le coup avec désinvolture sinon amusement devient, dans un contexte de guerre, une situation tragique. En témoigne vigoureusement Pierre ROLL, ancien du maquis VERNEUIL, âgé de 20 ans en 1944 2 : ‘“ Même en ligne, nous n’avions que l’armement du maquis et nous n’avions pas le ravitaillement des autres. Aussi, lorsque l’armée régulière touchait les rations US, nous n’en connaissions que les haricots (…) Dans ces conditions, imaginez nous 12 jours de suite, sous la pluie, sans tentes individuelles, sans qu’il soit possible de nous abriter dans les tranchées noyées (…). Aux premiers jours de novembre, à 8 km des lignes, presque tout le régiment déserte (…) En trois heures, 70% des effectifs furent portés absents. La sécurité militaire en rattrapa 95% avant Lure (…) Finalement tout le monde est rentré. ”’

Cette situation est confirmée par des hommes issus du groupe BAYARD. Paul HERBIN note que les 2500 hommes du 1er régiment des volontaires de l’Yonne sont partis le 7 novembre 1944 “ sans capote, sans casque, une couverture pour deux ”, “ plus de la moitié de l’effectif ” n’ayant au pied que “ les chaussures basses qu’ils portaient au maquis ”. Cette dernière affirmation est corrigée par Luc BERTON qui se souvient avoir reçu “ des brodequins montants cloutés ” quelques jours avant, mais il rajoute l’absence de gamelles et de bidons 1 .

La situation n’est pas différente dans les unités issues des maquis de Saône-et-Loire. Le commando de Cluny doit se transporter par ses propres moyens de Bergesserin à Besançon. Il s’agit de camions à gazogène, certains configurés en bétaillères 2 , ce qui d’ailleurs permettra, au temps de la pénétration en Allemagne, quelques fructueuses réquisitions. Ces “ véhicules hoquetants ” ont bien de la peine, en plusieurs rotations étalées sur plusieurs jours, à acheminer les 721 hommes que compte à ce moment-là le commando. Ses mécaniciens durent faire preuve de trésors d’habileté pour adapter tous ces engins aux carburants divers dont ils pouvaient disposer. Tout cela donne, selon la brochure ‘“ Fault pas y craindre ”’ ‘ 3 ’ ‘ “ une file de camions à gazogène sur lesquels les soldats de la 2e compagnie, revêtus d’uniformes disparates sont juchés, entourés d’un bric-à-brac de fusils anglais, mitraillettes, musettes de chargeurs de FM “ BREN ”…Tout cela haut en couleurs, avec des garçons jeunes, joyeux, sûrs de leur fait, tous volontaires ”’. La disparité des tenues est confirmée par Paul HUOT 4 . Pour sa compagnie, la 1ère , ‘“ les uns sont en civil d’autres portent des uniformes français ou anglais, d’autres enfin, dont je suis, ont l’uniforme des Chantiers de Jeunesse ”’. L’origine de ces derniers est liée aux prélèvements opérés sur le camp installé par cette organisation vichyste autour de Cormatin, en Clunysois et au fait que ceux de ses membres qui ont rallié le maquis ont apporté leur tenue. La palette de formes et de couleurs est complétée par les tenues de la 4e Compagnie que le capitaine LAMIRAL a constituée avec des éléments épars de différents maquis du département. Elle est équipée des tenues de l’ex-régiment de France, avec la “ capote courte dite “de commando” ” 1 . Cet aspect initial de l’histoire de cette unité est confirmé tant par les écrits 2 que par les témoignages oraux 3 .

La situation devait être assez rapidement améliorée, dès le 8 octobre. Ce jour là le Commando de Cluny est doté de l’équipement de base de l’armée américaine. Il n’en sera pas de même pour d’autres unités qui attendront beaucoup plus longtemps. Ainsi les groupes formés de FTP de Saône-et-Loire et de l’Yonne qui montent la garde sur la frontière suisse ne furent équipés qu’en janvier 1945.

Tout ceci constitue pour d’anciens maquisards, dont la majorité n’ont connu de la clandestinité que les mois estivaux de 1944, une contrainte terrible. La pluie froide de novembre, la neige de décembre puis le gel sibérien de décembre-janvier sont à l’origine de pieds gelés, de désespoir, de souvenirs terribles, dont le poème d’André BARTHELEMY (annexe n°38) reste l’expression la plus forte et douloureuse.

Il faut, pour tenter de compenser autant que faire se peut ces conditions matérielles, faire appel à la générosité de ceux qui sont restés au pays. Dès le 26 septembre 1944, le préfet de la Nièvre avise les maires du département que ses services vont organiser des collectes ‘“ en vue de procurer, autant que possible avant l’hiver, aux militaires de la nouvelle armée française, le linge de corps qui leur est indispensable (surtout chandails de laine, chemises et chaussettes) ”’. De la même façon, la population des villages de Bresse dont le chef-lieu est jumelé avec une des compagnies du 2e BCP fait appel aux tricoteuses pour fournir les gars partis au front en chaussettes de laine. Lorsque l’on sait que cette dernière matière est encore soumise à un rationnement sévère, on mesure la difficulté de l’affaire et bien de pull-overs trop petits ou troués aux coudes, finirent, régénérés, dans les pieds de valeureux chasseurs.

Ce qui pourrait apparaître comme une histoire quelque peu enjolivée par des récits grossis au fil des années est intégralement confirmé par les rapports établis dans l’instant par des officiers supérieurs appelés à commander de telles unités. Dans un exposé en date du 1er janvier 1945, le colonel ADELINE, commandant une partie des Forces françaises de l’Ouest, engagées devant les poches allemandes de Royan et La Rochelle, après avoir précisé que son propos s’applique aussi aux forces de la Pointe de Grave, salue 1 “ l’allure générale, l’esprit de discipline ”, d’une troupe FFI qui ‘“ peut être comparée aux troupes régulières sans que cette comparaison soit en son désavantage ”’. Par contre, il déplore qu’après six mois d’engagement en ligne, ces combattants n’aient ‘“ perçu ni casques, ni capotes et (soient) obligés de s’affubler de sous-vêtements en peau de lapin peu résistants et qui les préservent mal contre les intempéries ”. Leurs “ chaussures sont à bout de durée ”’. En conséquence, il demande la dotation pour ces troupes de 23 000 paires de chaussures, 28 000 capotes et 13 000 casques complets. Ce rapport est repris à son compte par le général de LARMINAT commandant l’ensemble des FFO après son éviction de la 1ère Armée et transmis comme tel au général JUIN. Même un officier général comme le général LAFFARGUE dont l’hostilité aux troupes d’origine FFI n’a jamais cessé convient d’un problème qui pour certaines unités a débordé le cadre chronologique du conflit. Dans le rapport d’une inspection réalisée du 8 au 17 juillet 1945 au détachement de l’Armée des Alpes 2 , il note à propos de la 27e DI que ‘“ lorsque certaines mutations et nominations auront été opérées de manière à ventiler un reste de particularisme alpin et même FFI, la 27e DI prendra son équilibre normal ”’. Mais il subsistera un “ problème matériel ” ; le général observe que ‘“ lorsque l’on passe devant le front de certaines unités en savates ou souliers béants, on passe une revue d’orteils ”’. Même si les considérations sur “ le particularisme alpin et même FFI ”, à ventiler comme on disperse un miasme, sont éloquentes sur la hargne manifestée par certains cadres à l’égard de ces troupes, il n’empêche que cet officier ne cherche pas à dissimuler leur grande misère matérielle.

Aux difficultés engendrées par ces conditions matérielles s’ajoutèrent celles d’un sous-équipement en matière d’armement.

Notes
2.

Témoignage recueilli par le Centre d’Histoire de l’Occupation et la Libération de la France, 4 juin 1952, AN 72AJ208 (Yonne).

1.

Cité dans Jean-Yves BOURSIER, Mémoire et Engagement, la Résistance dans le Jovinien et le Groupe Bayard, édité par le groupement Bayard, Joigny, 1993, 152p., p147.

2.

Général Victor LOIZILLON, Si t’y craint, t’es foutu, Ed. des Grands Ducs, Dijon, 1989, 302p., p.17.

3.

Il s’agit d’une brève histoire du commando de Cluny, rédige principalement par Henri MONDANGE. “ Faut pas y craindre ” est le début d’une expression locale dont le titre du livre de V. LOIZILLON constitue le second volet.

4.

Paul HUOT, J’avais 20 ans en 1943, Jakin, Bayonne, 218p.,1996, p.112.

1.

Victor LOIZILLON, op. cit. p.28.

2.

André ROSSIGNOL, Souvenirs 1944-1945, Albert BARTHELEMY, communication à l’Académie de Mâcon, 1985.

3.

André BENAS, entretien 11 juillet 1999, Henri MONDANGE, entretien cité, Antoine BOUILLOT, entretien 24 mars 1998.

1.

SHAT 6P2.

2.

Idem.