1-En période de transition, des attributions mal définies

L’analyse des difficultés rencontrées pour un retour à l’ordre pendant les premiers mois suivant la Libération a montré la difficulté de délimitation du rôle attribué aux forces de l’ordre officielles, gendarmerie et police et aux structure issues de la situation de guerre, FFI et Milices patriotiques, sans parler des unités alliées. Les empiétements de compétence concernent principalement l’épuration, la lutte contre le marché noir et le contrôle de la circulation routière.

La situation touche même aux rapports concernant des contrôles entre structures d’autorité. Le 7 octobre 1944, le général CHOUTEAU, commandant la région militaire de Bourgogne-Franche-Comté, reçoit du ministre de la guerre DIETHELM une note 1 qui constate que “ fréquemment des organismes civils ou militaires procèdent à des arrestations de militaires de la gendarmerie et ouvrent des enquêtes en vue de leur traduction devant les tribunaux ”. Le ministre s’élève contre de ce “ procédé irrégulier ” et rappelle que “ la gendarmerie ne relève que de ses chefs ”.

Les prévôtés FFI posent elles aussi problème. Mises en place rapidement dans certains départements comme la Saône-et-Loire, destinées à collaborer avec la police et la gendarmerie, elles sont généralisées par une note ministérielle du 24 novembre 1944 2 demandant la création dans chaque région militaire d’une force de prévôté de 100 à 200 hommes “ de confiance provenant des FFI ”. Cette structure serait mise ‘“  à la disposition permanente du Commissaire de la République pour le maintien de l’ordre notamment pour la répression des actes de banditisme ou des attaques à main armée… ”’. Le 27 janvier 1945, le ministre de la guerre informe le général CHOUTEAU 3 que les prévôtés FFI “ doivent être considérées comme illégales ”. Cette décision se heurte manifestement à une résistance passive puisque deux mois plus tard, le 24 mars, le général PFISTER, sous-chef d’EM de l’armée exige l’exécution immédiate de la dissolution. Nous sommes là face à la situation classique d’un pouvoir né des circonstances, avalisé, officialisé et étendu après coup mais résistant à sa dissolution dès lors que les circonstances ne justifient plus de son existence.

L’ambiguïté porte même parfois sur le statut des hommes concernés. A Dijon, se constitue dès novembre 1944 une “ Amicale du 3e groupe FFI Dijon-Sud-Ouest ” ouverte à tous les membres de la compagnie, volontaires ou rentrés dans leurs foyers 1 . Le 22 décembre 1944, en pleine bataille des Ardennes, jour de la contre attaque de PATTON, le bureau de l’Amicale adresse au général CHOUTEAU une offre de services. Il s’agit,  “ en raison de la gravité des circonstances actuelles ”, ‘“ de mettre le groupe à la disposition de l’EM de la 8e Région, pour aider au maintien de la sécurité tant à Dijon que dans ses environs immédiats ”’. La constitution de “ groupes de défense locaux dans toutes les villes et les villages ” permettrait “ d’intervenir immédiatement sur des éléments ennemis infiltrés ou parachutés ”. Cette démarche répond aux angoisses collectives nées des incertitudes de fin décembre et des résurgences de rumeurs de maquis bruns et de parachutages ennemis. L’expérience difficile des Milices patriotiques et des prévôtés FFI suffit probablement à justifier l’absence de réponse à cette proposition.

Par contre, les unités FFI stationnées sur le territoire de la région sont mises ponctuellement à contribution dans des circonstances analogues. Le 5 octobre 1944, le 2e bureau de l’EM FFI de l’Yonne demande 2 au préfet de placer la gendarmerie au service des FFI pour “ la collecte de renseignements à propos de maquis ennemis ”. Une réponse positive est émise le 17 octobre, alors que les EM FFI sont officiellement dissous. Le 20 octobre, le commissaire de la République de Dijon transmet aux préfets une note concernant le “ maintien de l’ordre ”. Il indique que celui-ci doit être assuré par un bataillon de sécurité amalgamant “ les forces de police régionales ” et “ les FFI (FFI-FTPF-MP) ” sous forme d’équipes toujours mixtes. Pour sa part, le commissaire de police du Creusot s’inquiète auprès du sous-préfet d’Autun 3 du départ des FFI prévu pour le 15 novembre. Il s’agit d’une compagnie FTP qui ‘“ effectue des patrouilles en ville mais ne procède plus à des perquisitions et n’effectue plus d’arrestations ”’. Dans un ordre d’idée similaire, le président du CCL de Château-Chinon s’adresse au sous-préfet de la ville, le 28 décembre 1944 4 , au sujet de la suppression du poste fixe FFI, dont les hommes  “ auraient été, à en croire la rumeur publique, appelés en renfort dans l’Est ”. Il estime, “ sans vouloir (s)’immiscer en quoi que ce soit dans l’emploi des effectifs dont dispose l’autorité militaire ”, que ‘“ le contrôle de la circulation est la condition de toute tentative de lutte contre le marché noir et la 5e colonne ”’. L’historique de la subdivision de Dijon pour la période du 11 septembre 1944 au 31 décembre 1947 5 rapporte l’intervention, le 14 janvier 1945 du 2e bataillon FFI de la Nièvre et du 3e bataillon de l’Yonne, dans “ une opération de nettoyage ” dans la région des chaumes d’Auvenay, zone de plateaux, à 12 km à l’ouest de Beaune. Cette opération, menée dans la nuit du 14 au 15 a abouti à “ un résultat négatif concernant les parachutages ”, mais a permis d’arrêter “ quelques suspects ”. Ces exemples confirment la confusion des pouvoirs de police qui existe au moins jusqu’à la fin de 1944 et le fait que des hommes qui ont signé un engagement pour en découdre définitivement avec l’ennemi sont cantonnés dans des tâches subalternes de police.

L’utilisation des troupes d’origine FFI à des missions de maintien de l’ordre en cas de troubles sociaux, pour surprenante qu’elle puisse paraître a été envisagée, certes à l’état d’hypothèse uniquement. Ainsi, le conseil municipal de Joigny dans l’Yonne 1 , s’émeut le 4 novembre 1944 au sujet d’un bruit de départ aux armées des FFI cantonnées dans la ville et du transfert de leur dépôt à Auxerre. Sa demande de sursis à l’exécution de l’opération s’appuie sur plusieurs arguments : “ les ressources importantes pour le commerce local ” représentées par cette présence, la protection qu’elle constitue en regard de “ l’insécurité créée par les Allemands cachés dans les contrées boisées ” et de façon plus surprenante le fait que, ‘“ en cas de troubles sociaux, qui ne se produiront probablement pas, mais qu’il faut toujours envisager, un appel à la troupe pourrait être fait ”’. Si la référence aux Allemands renvoie à la psychose déjà identifiée, le dernier argument est d’autant plus étonnant que l’unité en question est en grande partie issue du groupe BAYARD affilié à Libération-Nord, politiquement proche de la SFIO.

Reste le cas d’unités qui n’ont même pas l’occasion de s’occuper à de telles tâches. Plusieurs circonstances permettent de le constater. Le 17 décembre 1944, soit trois mois et demi après la libération de la R1, le colonel DESCOURS, gouverneur militaire de Lyon, commandant la 14e RM par intérim s’inquiète 2 auprès du ministre de la guerre du devenir de deux bataillons, ‘“ prêts depuis la mi-octobre ”, et qui attendent toujours “ après s’être préparés fiévreusement ”’, armement et départ pour le front. Cette attente provoque “ déception ” et “ émiettement ”. Cette situation n’est pas fortuite. Dans une note déjà citée l’existence à Troyes d’unités prêtes à partir à la mi-novembre et retrouvées dans la même situation un mois plus tard par une mission de liaison le confirme, de même 3 que la note adressée par le général de LATTRE au ministre de la guerre le 31 janvier 1945 où il indique avoir appris par un officier de liaison que le bataillon FFI de Montlouis attend, porté par “ un ardent désir de prendre place au combat ”. Victor LOIZILLON 1 se souvient que les hommes venus début janvier 1945 combler les vides du 4e bataillon de choc, “ végétaient dans les casernes de Mâcon ” et étaient “ plus affligés de corvées à subir que chargés de missions effectives à remplir ”.

Il ressort de tout cela qu’un fort décalage s’établit entre la forte impulsion qui meut les volontaires vers le combat et la définition des tâches qui leur sont attribuées. Les déceptions alors suscitées les situations d’ennui dans les cantonnements sont inévitablement à l’origine d’une dégradation des comportements. C’est alors directement la nature des rapports entre ces hommes et le reste de la population qui est en jeu.

Notes
1.

SHAT 7P55.

2.

Idem.

3.

AD21 40M387.

1.

AM Dijon, 4H4/40.

2.

AD89 1W324.

3.

AD71 W123855.

4.

AD58 999W1926.

5.

SHAT 9P49/2.

1.

AD89 1W324.

2.

SHAT 7P848.

3.

Idem.

1.

Victor LOIZILLON, op. cit. p.210.