1- La formation au sein des écoles de cadres 

De la France à l’Afrique, de l’Afrique à l’Alsace, le général de LATTRE a laissé derrière lui toute une chaîne de ces structures, gages à ses yeux de la cohésion comme de l’efficacité des unités placées sous ses ordres.

La dernière qu’il ouvrit à Rouffach y ajouta une dimension supplémentaire, celle d’en faire un instrument pour la réalisation de l’amalgame. Elle apparaît dès lors comme l’aboutissement de sa réflexion et la mise en œuvre de celle-ci. Ses propos à l’égard de journalistes lyonnais et alsaciens en visite le 23 mars 1945 l’ attestent. Après avoir rappelé sa conviction que l’armée nouvelle en gestation naît de “ la synthèse des forces qui dressèrent le pays contre l’envahisseur ”, “ armée d’Afrique ”, “ compagnons du général de GAULLE ”, “ évadés ” et ceux qui ont “ surgi des pavés et des sillons ”, il fait du “ brassage ” réalisé à l’école le gage de la réussite de son projet, ‘formant “ des hommes libres d’un peuple libre ”’ ‘ 1 ’ ‘.’

Cette dimension civique et politique est au moins aussi importante que ses objectifs strictement militaires. L’école est ouverte à la mi-février 1945, après regroupement des bataillons de choc dans une région récemment libérée. Ceux qui vont bénéficier de la formation ont donc affronté les terribles combats qui de novembre à janvier ont permis de faire sauter le verrou alsacien. Pour des unités comme le 4e Choc, l’essentiel fut accompli avant passage à l’école, si l’on s’en tient à l’aspect strictement militaire des choses.

L’école est installée dans un ancien asile d’aliénés, d’où son surnom d’“école des fous ”, appellation désignant aussi ironiquement le régime qui est imposé aux stagiaires d’ “ aspects insolites ” 2 . Les ‘“ six bataillons de choc rassemblés autour de Rouffach fourniront les troupes de démonstration et de servitude, et en attendant les équipes de balayeurs ”’ ‘ 3 ’ ‘’dans des locaux transformés en caserne SS et abandonnés dans un état désastreux, d’une “ saleté repoussante ” 4 . La vexation provoquée par la séance de balayage initiale fut rapidement effacée par l’intensité des activités imposées aux stagiaires, exercices à munitions réelles, close-combat, chant choral, causeries. Lucien DEJARRIGES 5 , témoigne qu’après “ des approches réservées avec les éléments d’Afrique ”, “ la glace est enfin rompue ”, l’amalgame, au moins en ce qui concerne l’estime réciproque se fait. Victor LOIZILLON observe l’apparent paradoxe qui met “ en phase ” des hommes d’un commando “ issu du fond du terroir ” avec l’armée d’Afrique. Cette rencontre s’explique selon lui par le côté “ joyeux ”, “ aventureux ”, “ spontané ” de la seconde, caractéristiques dans lesquelles les anciens maquisards, généralement jeunes et insouciants se reconnaissaient pleinement. Victor LOIZILLON estime qu’avec ses compagnons, il avait ‘“ sûrement touché là au secret de l’amalgame ”’ ‘ 6 ’ ‘.’

Les six semaines passées à Rouffach n’avaient pourtant rien d’une sinécure. Henri THOMAS, de la 3e compagnie du 2 e BCP se souvient de la séance initiale de tri par le général en chef en personne qui passa en revue les 7 000 convoqués et “ là avec sa canne, plof plof, il fait le maquignon ”. Comme Lucien DEJARRIGES, il a été marqué par les exercices à munitions réelles et se souvient de visites d’officiers des armées alliées, ébahis par les prestations des stagiaires.

L’intensité de la formation, la dangerosité des exercices- ceux-ci se sont tout de même soldés par 12 morts et des centaines de blessés plus ou moins atteints -, n’étaient cependant pas suffisantes pour effrayer des hommes dont la plupart était confrontés depuis octobre à une guerre à laquelle ils n’avaient pas été préparés. D’autres volontaires avaient été engagés en des combats moins héroïques, moins décisifs, le long de la frontière suisse ou autour des poches de l’Atlantique, au sein des FFO commandées par le général de LARMINAT, mis dans une position subalterne après son affrontement avec le “ Roi Jean ” en août 1944. Ce furent trois formes d’engagement au combat, trois expériences vécues de façon inévitablement différentes par les protagonistes. Certains d’ailleurs, dans ce brassage effréné qui affecte les unités d’origine FFI, eurent l’occasion, sinon de pratiquer durablement, du moins d’aborder chacune des situations.

En attestent les pérégrinations d’un petit groupe de FTP de Saône-et-Loire, tous issus du grand maquis Jean PIERSON de Collonges-en-Charolais, dont Maurice BERTRAND-CLOVIS 1 est le dernier survivant. Son parcours est étonnant par ses bifurcations multiples. Né en 1921, appartenant à cette couche d’agriculteurs très modestes de la vallée de la Guye, d’abord sédentaire puis maquisard, il est d’abord installé pendant une quinzaine de jours après la Libération, avec une quinzaine d’hommes, à Couches-les-Mines, chef-lieu de canton rural et minier où l’absence de structures résistantes a incité l’EM FFI de Mâcon à y installer ces maquisards. Sous la conduite du chef de BERTRAND, Louis DUMOULIN-AUCLAIR, lieutenant FTP, ils sont chargés d’assurer la transition dans le canton. Regroupé à Bergesserin comme de nombreux FFI du département fin septembre, il y signe son engagement volontaire pour la durée de la guerre. A la question d’éventuelles pressions dans un sens ou l’autre, il répond qu’à l’exception des mineurs de Montceau-les-Mines personne ne fut ni incité ni dissuadé de s’engager, mais que spontanément la majorité des présents signa. Transféré à la caserne Bréard de Mâcon, il est alors affecté au 8e bataillon de Saône-et-Loire, principalement composé de mineurs et de paysans de la région, commandé par un personnage haut en couleur, le capitaine LECOEUR-BONHOMME, ancien camarade de promotion du général GIRAUD, ancien légionnaire, cassé à deux reprises de son grade au sein de l’armée, chef militaire des FTP de la zone Sud de la Saône-et-Loire, adjoint de LE DON. C’est alors le départ pour le Jura et la frontière suisse à surveiller, fin octobre. Le PC du bataillon est installé à Maîche, gros bourg au cœur des plateaux du Haut-Doubs. La compagnie de BERTRAND cantonne au Rousset. Jusqu’au 6 janvier, c’est à la fastidieuse mais peu dangereuse tâche de surveillance d’une frontière que seuls les éclatements spontanés de quelques mines anime un peu, que se livrent BERTRAND et ses camarades. Seul le froid, avec des pointes à –30°, rend la vie difficile. Le 6 janvier, après dissolution du bataillon, un groupe auquel appartient Maurice BERTRAND est acheminé vers Belfort et rattaché au 4e Choc dont il convient de reconstituer les tableaux d’effectifs fortement amputés par les combats de fin décembre. Quelques jours plus tard, il est envoyé à Champagney en Haute-Saône sous les ordres du chef de compagnie le lieutenant RONDOT. Le 4e Choc n’a nul besoin de cadres et RONDOT tient à garder BERTRAND qui, bien que titulaire de son seul certificat d’études, a montré une forte capacité à tenir la comptabilité. Ils sont transférés à Champagney, puis à Dijon en deux jours d’un parcours ferroviaire sans cesse interrompu. Encasernés à 16 heures à Dijon, ils en sont extraits à 5 heures du matin dès le lendemain, transférés à Mâcon puis, en car, à Autun. Après accueil par le bataillon FTP du commandant PIETRO DESSOLINS, ils sont acheminés à Troyes, où est constitué le 131e RI, à partir de FFI de Champagne et d’un groupe de Nord-Africains de Paris, tous issus d’unités dissoutes. Tout cela se passe entre le 15 et le 20 janvier. Il leur est annoncé que le régiment est destiné au front d’Italie et qu’en son sein un groupe antichar doté de bazookas sera constitué. L’expérience du maquis fait alors de BERTRAND le chef de ce groupe. Quelques jours plus tard arrive un contrordre : le départ pour les Alpes est annulé et la nouvelle destination est constituée par les poches de l’Atlantique. L’absence de chars dans cette bataille de siège réduit le projet de groupe antichar à néant. Affecté à la compagnie de commandement comme chef de l’ordinaire, Maurice BERTRAND assiste à une guerre au rituel singulier 1 , jusqu’à ce que le général de LARMINAT choisisse l’affrontement à Royan et à l’île d’Oléron. Après le 8 mai, son unité est transférée en Sarre française, près de Thionville pour garder la frontière, situation absurde puisqu’au-delà, il y avait l’Allemagne occupée par des Français. Jusqu’à sa démobilisation, le 5 septembre il accomplit ses taches de chef d’ordinaire. Il est prié par son commandant de dépenser les bonis réalisés sur les poches de l’Atlantique. Cela consiste pour lui à parcourir la campagne pour y acheter ici un porc, là un taurillon, activité le rapprochant d’une vie civile qu’il retrouva avec joie. S’il ne conçoit aucune amertume de cette histoire, il a néanmoins le sentiment d’avoir été, comme FTP, plus ou moins systématiquement mis en marge. A son commandant de compagnie qui lui proposait de s’engager, avec la perspective de suivre une formation d’officier, il eut cette réponse négative et superbe : “ dans mes champs, je suis général ”.

Notes
1.

Général de LATTRE de TASSIGNY, Reconquérir, Plon, 1985, p.80-81.

2.

Général LOIZILLON, entretien 11 août 1999.

3.

Victor LOIZILLON, op. cit. p. 220.

4.

Lucien DEJARRIGES, op. cit. p. 103.

5.

Idem.

6.

Victor LOIZILLON, op. cit. p.220.

1.

Entretiens 12 août 1998 et 24 mars 1999.

1.

Selon lui, avant que le général de LARMINAT ne lance une offensive qui lui semble déraisonnable, le siège se limitait à quelques tirs d’artillerie “ pour dérouiller les fûts ” et des patrouilles dont l’alternance et le manque de discrétion indiquaient qu’elles relevaient d’une sorte de modus vivendi.