2-2- La situation guère plus enviable des unités montant la garde sur la frontière suisse

Si seul un petit nombre de résistants de Bourgogne se retrouva, parfois après un parcours fort aléatoire, sur la côte atlantique, ce sont des groupes constitués qui sont affectés à la garde de la frontière suisse, au cœur d’un massif jurassien réputé pour la rigueur de ses hivers. C’est le 9 décembre 1944 que le général CHOUTEAU, commandant la 8e RM, sollicite auprès de la Ière Armée le détachement de deux bataillons afin de les affecter à cette tâche 1 en renfort du 8e bataillon de Saône-et-Loire. Il s’agit du 2e bataillon de l’Yonne, ancien 4e bataillon du 1er régiment du Morvan, écarté lors de la réduction des régiments intégrés à trois bataillons, et du 6e bataillon de la Nièvre, tous d’origine FTP. Deux bataillons FTP de l’Yonne furent regroupés le 1er mars 1945 avec le “ bataillon de Mâcon ”, issu des maquis du Clunysois pour former le 4e RI. Marcel VITTE, ancien officier de réserve, ancien de la campagne de 1939-1940, témoignait 2 de la difficile intégration de maquisards de Saône-et-Loire, d’origine AS avec les FTP de l’Yonne. La mise en place du dispositif de garde de la frontière suisse était l’aboutissement de longues discussions dues au manque d’effectifs disponibles. Dans son rapport au ministre de la guerre du 17 novembre 1944, le commandant MANGIN, de retour d’une mission d’inspection dans la 8e RM fait état des ‘“ demandes divergentes de la part du général de LATTRE et du colonel DESCOURS ”’, le second réclamant l’affectation de trois bataillons de Saône-et-Loire à la Division alpine, et de la demande du général CHOUTEAU de pouvoir maintenir “ dans sa mission actuelle ” sur la frontière suisse un bataillon de Saône-et-Loire “ dont il ne peut assurer la relève ”.

A propos du dispositif finalement constitué, on peut s’interroger sur la logique qui préside à la mise à l’écart des zones de combat, pour des tâches à la fois subalternes et dispersées, d’unités spécifiquement FTP, dotées par ailleurs de cadres qui ont fait leurs preuves au maquis, comme le capitaine LECOEUR-BONHOMME, ancien saint-cyrien, véritable commandant militaire des FTP de Saône-et-Loire au cours de l’année 1944. La méfiance mainte fois formulée par des officiers supérieurs comme le général LAFFARGUE, “ l’isolement hautain ” pratiqué par le colonel SADOUL-CHEVRIER, commandant des FFI de l’Yonne, renvoient à une dangerosité politique attribuée à des FTP soupçonnés d’être une force révolutionnaire intriguant contre les institutions en cours de rétablissement.

C’est finalement le 30 décembre 1944 que le 2e bataillon de l’Yonne embarqua à Auxerre, à destination de Besançon 3 . Par un temps glacial, le voyage parut fort long aux hommes entassés dans des wagons à bestiaux et aux officiers tout aussi frigorifiés dans des wagons de voyageurs non chauffés. Puis c’est en autocar que le bataillon gagna sa destination finale, Pont-de-Roide, petite ville de la vallée du Doubs, siège du PC du bataillon. De ces quatre mois passés sur une frontière “ qui n’avait nul besoin d’être gardée par des militaires ”, Robert LOFFROY retient les difficultés liées au froid polaire de cet hiver là avec des températures de –28°, l’ennui de jours passés dans l’inactivité, l’amertume d’hommes engagés pour un combat frontal avec le nazisme et confinés dans une tâche subalterne. Ces conditions furent à l’origine de nombreuses désertions, non pour l’arrière , mais pour gagner le front d’Alsace. Nombre de ces déserteurs n’eurent d’ailleurs pas grande difficulté à se faire recruter par des unités aux effectifs affaiblis par d’importantes pertes.

La conviction de Robert LOFFROY qu’il y avait une volonté politique à l’origine du traitement auquel son bataillon était soumis se trouva renforcée par deux situations particulières. Envoyé en stage de perfectionnement à l’école des cadres du Valdahon pour être initié à l’utilisation du matériel américain, il affirme avoir été, comme les autres FTP, soumis à des brimades et provocations de la part des cadres du régiment de tirailleurs algériens qui occupait le camp et s’être vu imposer des conditions de vie relevant de la persécution systématique. Par ailleurs, un incident grave opposa le bataillon à la population de Pont-de-Roide. Un Christ surmontant un des ponts sur le Doubs fut précipité dans la rivière par un ou plusieurs soldats du bataillon. L’affaire fit grand bruit dans une population fortement religieuse. Robert LOFFROY logeait dans une chambre ‘“ où se bousculaient d’innombrables statuettes de saints, de l’enfant Jésus ainsi que de la vierge Marie, tandis que les murs étaient tapissés d’images saintes ”’. Le bataillon, à l’étiquette communiste qu’il possédait déjà, se voyait accoler celle d’iconoclaste. L’affaire remonta d’ailleurs jusqu’au ministère de la guerre. Pour LOFFROY, l’auteur de l’acte “ récemment affecté au bataillon ”, ne pouvait être qu’un provocateur, placé là pour contribuer à affaiblir l’image de l’unité. Si rien ne permet d’étayer cette hypothèse, sa seule formulation révèle un fort sentiment d’extériorité par rapport à ce qui se passe et une immense déception.

Notes
1.

idem.

2.

Entretien 28 juin 1996.

3.

Robert LOFFROY entretien 16 octobre 1996.