2-3- La terrible bataille d’Alsace

Tel ne fut pas le sort des unités de FFI bourguignons engagés, parfois dès novembre 1944, dans la bataille frontale avec une armée allemande bien décidée à s’arc-bouter sur le Rhin.

Deux circonstances, impliquant deux unités de Saône-et-Loire, le 2e BCP et le Bataillon de Cluny, futur 4e Choc, permettent d’identifier les aspects saillants du type de guerre qu’eurent à mener ces hommes dont le général de LATTRE disait en septembre 1 qu’ils allaient former “ les unités supplétives venant au combat avec notre armée régulière ”.

Du 7 au 10 décembre 1944, le Commando de Cluny, associé à deux pelotons de reconnaissance du 3e régiment de Spahis Marocains (RSM) équipés de blindés légers et d’un peloton de TD du 8e RCA, a réalisé la conquête du Kurrenbourg, “ mouvement de terrain à trois sommets ” 2 commandant l’accès de Thann et libéré Rammersmatt. L’ensemble constitue le sous-groupement MONDAIN, du nom de son commandant, officier à l’ancienne, portant monocle même au feu 3 mais qui sut, au contraire de beaucoup de cadres de l’armée d’Afrique, reconnaître les capacités opérationnelles du commando et entretenir avec son commandant une collaboration fructueuse. Au sein du sous-groupement, le commando, “infanterie à pied ”, se voit ‘“ confier une part importante de l’effort principal, en raison de la nature du terrain et des objectifs ”’ ‘ 4 ’ ‘.’ Cela ouvre la route de Thann, petite ville au débouché dans la vallée du Rhin de la rivière Thurr, proche de Cernay constitué par les Allemands en verrou sur la route de Colmar. Une manœuvre de débordement du Vieux-Thann solidement tenu par l’ennemi, conçue par le général CARPENTIER commandant la 2e DIM ayant échoué, le sous-groupement ‘“ matériellement et psychologiquement assez démobilisé et attendant sa relève ”’ ‘ 5 ’ se voit confier la tâche de tenir Thann, pour prévenir “ des retours offensifs allemands éventuels ”. Commence alors, pour un commando fortement éprouvé 6 , à partir du 19 décembre et pour “ 19 journées et 18 nuits ”, un épisode fortement ancré dans les mémoires des exécutants. Le Commando de Cluny est chargé de trois points d’appui, dont deux, installés dans des usines sont au contact direct avec le Vieux-Thann tenu par les Allemands. L’une d’elle, l’usine chimique KALI dite “ P.A. chlore ” du fait de la présence d’un important stock de bonbonnes de ce produit, fait l’objet de tentatives d’infiltration ennemie et de fréquents tirs de mortiers. De cet épisode, les nombreux témoignages écrits comme les souvenirs des survivants convergent sur deux points majeurs : le froid et l’épisode de la casemate.

Les deux derniers vers du poème d’Albert BARTHELEMY (annexe n°38),

‘“ Mais, bon dieu, qu’il fait froid ce soir à Thann
La bise essaye en cheminée ses orgues ”’

transcrivent exactement ce que ressentirent ceux qui montaient la garde, en particulier le soir du réveillon de Noël, pendant que le reste du Commando réveillonnait. Un demi-siècle plus tard, Chantal LOIZILLON-PLUMETTE frémit encore rétrospectivement au souvenir d’un froid qu’elle ne connut plus jamais aussi intensément. Il faut dire que l’intrépide assistante sociale du Commando visitait les points d’appuis. Ces conditions polaires, soldées par un nombre conséquent de membres gelés, intervenaient après les combats de novembre, livrés sous des pluies battantes, dans la boue et l’humidité omniprésente, en contraste brutal, dans la conscience de ces combattants, avec les jours superbes de l’été 1944.

Le 23 décembre, le sergent-chef HUOT de la 1ère section de la 1èrecompagnie commandée par le capitaine du CHAFFAUT, reçoit l’ordre 1 d’occuper, avec 4 hommes dont le sergent KLOPFEL une casemate , “ érigée en terrain découvert sur le périmètre de l’usine ”. Il fait –20°. La consigne est ‘“ de ne rien faire, quoi qu’il puisse arriver ”’ ‘ 2 ’. Les meurtrières de la casemate ouvrent sur un route menant à Vieux-Thann bordée par une grosse maison baptisée par les hommes du commando “ le Château ”. Au matin du 24 décembre, les grilles du “ Château ” s’ouvrent : un canon antichar est poussé à l’avant par trois servants. Convaincus de ne pas être l’objectif des tirs, c’est sans grand souci qu’ils comptent les trois premiers tirs visant bien au-dessus d’eux. Puis c’est le drame, les deux tirs suivants frappent directement la casemate. Deux hommes dont le sergent sont tués sur le coup, les trois autres grièvement touchés. Dans l’usine, les tirs se soldent par deux morts et douze blessés graves dont l’un ne survivra pas. Si le sergent-chef HUOT ne s’étend pas sur les circonstances à l’origine de ce drame, d’autres hommes du commando n’hésitent pas à y voir non un malheureux ‘“ hasard, avec le visage de la “poisse” ”’ ‘ 3 ’, mais à l’instar d’Henri MONDANGE, une faute de commandement. Ces pertes, venant après les trous béants déjà réalisés dans les effectifs par celles de la bataille de Belfort réduisaient fortement l’effectif du Commando et exigeaient le recours à des renforts dont Henri MONDANGE témoigne qu’au moins dans un premier temps, ils fragilisèrent la cohésion héritée du maquis.

A l’instar du Commando de Cluny, le 2e BCP est engagé dans des parties particulièrement difficiles. Il a, du 27 novembre au 6 décembre, participé à la prise de contrôle de la forêt de la Hardt puis été mis en position défensive dans les quartiers Nord de Mulhouse du 6 au 19 décembre, sur les rives de la Doller, que des patrouilles doivent franchir, avec de pertes notables. Mis en réserve du sous secteur le 19 décembre, il est dès le 23 remis à disposition de la 1èreDB, aux ordres du colonel commandant le 9e RCA. Sa mission est alors de ‘“ s’installer défensivement aux lisières Nord de Hauserwald et du petit Hegelen, face au couvent d’Oelenberg ”’ transformé par les allemands en hérisson 1 . Ces consignes défensives n’excluent pas des patrouilles réalisées notamment par le groupe franc du bataillon, commandé par le sous-lieutenant NAU. Les renseignements recueillis comme les informations transmises par un moine parvenu à sortir du couvent incitèrent le commandant DAUMONT à prendre l’initiative, le 13 janvier à l’aube, ‘d’une “forte patrouille de va-et-vient …dans le but d’exterminer la garnison allemande ”’. Le rôle attendu de la surprise n’ayant pas fonctionné, l’opération est un échec. Le 19, le bataillon, sans pour autant changer de position, est mis à la disposition de la 9e DIC et dès le lendemain, c’est l’offensive générale de la Ière Armée contre la poche de Colmar. A son échelle le bataillon est chargé de prendre le couvent et de contrôler à son niveau la route Mulhouse-Thann. Pour ce faire, il lui est assuré l’appui feu d’un peloton de Shermann type “ Medium ” et d’un groupe de “ 155 ” censé, par une préparation de H-40 à H, briser les défenses du couvent. Lancée à 7 heures 15, l’opération est arrêtée à 9 heures 30 sur un constat d’échec. Les trois quarts des effectifs engagés sont tués, blessés ou disparus. Sans reconstituer la chronologie de l’opération, reprenons les conclusions du commandant DAUMONT dans son rapport à son supérieur hiérarchique 2  : insuffisance d’une préparation d’artillerie “ qui n’a pas eu lieu ”, non fonctionnement des liaisons radio, en particulier avec le peloton de chars, absence d’éléments du génie pour déminer. De fait, les fantassins ont dû avancer, à terrain découvert, enneigé et miné, face à un bloc défensif intact, sans réel appui feu des Sherman et sans les tirs de l’artillerie. L’ampleur des pertes comme les circonstances font de cet épisode le moment le plus difficile à mémoriser pour les anciens du bataillon. S’ils convergent sur l’analyse des circonstances, le niveau des responsabilités ne fait pas l’objet d’un consensus. Parmi ceux qui exercèrent successivement des fonctions dirigeantes dans l’Amicale du bataillon, Jean CLERC, instituteur à Rancy 3 , resté très maquisard dans son approche des choses, impute une responsabilité importante au chef de bataillon, perçu comme l’archétype de l’officier d’active d’avant la guerre, alors qu’Henri THOMAS 4 qui lui fit carrière dans l’armée estime que DAUMONT a dû composer avec les ordres reçus et les circonstances malheureuses. L’un et l’autre conviennent d’ailleurs qu’une prise d’assaut ne s’imposait peut-être pas et qu’une neutralisation après encerclement eut été moins coûteuse en hommes. Il reste que ce fut un échec et que les exécutants survivants purent non sans raison penser que la préservation de l’infanterie supplétive que constituaient ces unités FFI ne rentrait pas dans les impératifs prioritaires des plans d’action.

Ces deux exemples ne constituent en rien des exceptions. L’histoire des autres unités d’origine FFI fourmille d’exemples de nature identique 1 . Il s’agit donc bien là d’une dimension d’ensemble du mode d’utilisation tactique des hommes venus du maquis. L’ampleur des pertes réduit à néant les jugements particulièrement désobligeants rencontrés sous la plume d’observateurs militaires ou civils.

Le sentiment vif d’avoir été utilisés, sinon sacrifiés, pour suppléer aux insuffisances de certains matériels américains, notamment les Sherman face aux Jagdpanther et surtout aux Tigres, mais aussi du fait d’une traditionnelle conception de l’utilisation de l’infanterie est naturellement né dans la mémoire des survivants. Reste alors à s’interroger sur la façon dont ceci a pu être mémorisé de façon supportable et comment cela s’est bien souvent retourné en histoire glorieuse.

Notes
1.

Dans l’entretien accordé à Lyon au journal Le Patriote.

2.

Paul HUOT, op. cit. p.140.

3.

Victor LOIZILLON, entretien 11 août 1999.

4.

Victor LOIZILLON, op. cit. p. 167.

5.

Idem p. 187.

6.

Rapport du docteur PONTHUS, médecin du commando, cité in LOIZILLON, op. cit. p. 192.

1.

Paul HUOT, op. cit. p. 144. Témoignage confirmé par Victor LOIZILLON.

2.

Henri MONDANGE voit dans cet ordre la rémanence d’un comportement hérité de la “ drôle de guerre ”. Entretien 23 juin 1999.

3.

Victor LOIZILLON op. cit. p199.

1.

René PACAUT op. cit. p. 312.

2.

Cité in René PACAUT, op. cit. p.314-318.

3.

Entretien 23 mars 1998.

4.

Entretien 2 juin 1999.

1.

Le fond privé GAMBIEZ, important dépôt des archives du général, comporte de nombreux récits, concernant notamment les bataillons de choc. SHAT 1K540.