4-Le mythe au secours de la mémoire

Une telle histoire, à la fois glorieuse et difficile, avait besoin de recourir au mythe, pour être mémorisée de façon supportable, sublimant le malheur, le sacrifice des camarades, les blessures physiques et morales des survivants, la conscience d’avoir été mal traités.

Le mythe fut l’assimilation historique entre les guerres de l’An II et les combats de l’Armée de LATTRE, le thème de l’amalgame, réutilisé à bon escient, en constituant le point de référence.

En tout mythe gît une part de réalité. En l’occurrence celle-ci est constituée par la jeunesse des acteurs, leur courage, l’attachement au pays et aux idéaux républicains. L’identification aux soldats de l’An II n’a donc de leur part rien d’illégitime. Instrumentée par d’autres, elle devient une façon de masquer la part de reconstruction a posteriori.

Cette part concerne, en tout cas j’ai tenté de le démontrer, le type de guerre auxquels ils ont été confrontés, les conditions de combat qui leur ont été imposées, l’absence de relation autre que la libération de territoire que cette guerre établissait avec les idéaux dont la Résistance intérieure était porteuse. Souvent privés de leurs chefs de maquis, coupés des réalités politiques du pays, dont ils étaient d’ailleurs soigneusement éloignés, il ne leur restait alors qu’à retourner ce qu’ils subissaient douloureusement en éléments d’assimilation avec leurs glorieux ancêtres : comme eux, ils menaient une guerre de gueux.

Cette assimilation constitue la base de la part mythique de l’histoire des FFI intégrés telle qu’elle a été construite après le conflit. Elle est en effet largement illusoire, par ce qu’il lui manque. Contrairement à leurs ancêtres, les FFI n’étaient en rien les produits et les acteurs d’une Révolution politique et sociale, ils n’étaient en rien maîtres de la guerre menée et si la majorité d’entre eux, on l’a vu, nourrissaient depuis le maquis des rêves et des espoirs de libération économique et sociale, ceux-ci n’étaient en rien adossés à un projet politique constitué, encore moins à une force organisée porteuse de ce projet.

Mais il fallait bien vivre cette histoire et le mythe le permit. Comme cela arrangeait finalement tout le monde, en particulier les deux forces constitutives de la mémoire résistante, une histoire officielle put se constituer : piège pour les acteurs enfermés dans une figure confortable mais les amputant d’une part d’eux-mêmes ; piège pour ceux qui, soucieux de vérité historique, même relative, risquaient de se voir accusés de blasphème envers une histoire sacralisée.

La conclusion qui s’impose au terme de cette étude du des FFI intégrés à l’armée, à l’aune de la problématique de la défaite de la Résistance, est que face à un projet cohérent et conséquent d’une armée nationale porté par de LATTRE, les forces résistantes se montrèrent incapables de concevoir un projet alternatif, peut-être d’ailleurs exclu par les circonstances de la guerre. Dès lors les jeunes maquisards n’avaient plus qu’à aller, armés de leur fol courage, bouter l’occupant hors du pays, laissant le champ libre à ceux qui pouvaient désormais restaurer une France que les maquisards comme les déportés avaient pourtant passionnément souhaité ne plus jamais revoir. Portés par les souvenirs glorieux de leurs ancêtres de l’An II, ils ne pouvaient percevoir qu’à l’inverse de ces derniers ils n’étaient qu’un élément subalterne dans un dispositif politico-militaire qui leur échappait totalement.

C’est donc à un amalgame inversé que nous avons affaire.