1-Une famille d’ouvriers carriers, résistants dès 1942

Emile PHILIPPOT naît le 10 juin 1921 à Ravières (Yonne). Avant lui sont nés Jeanne en 1903, Louis en 1907, Marie en 1908, Jean Désiré en 1913, André en 1916, Denise en 1919 ; après lui viendront Guy Marie en 1925 et Raymond en 1928. Il s’agit d’une famille d’ouvriers carriers, dont l’activité, de caractère industriel, reste néanmoins fortement connectée au monde rural. L’environnement sociétal des PHILIPPOT est donc essentiellement constitué de gens des campagnes. En 1942, Jean et Emile sont comme leur père, carriers, Louis et Guy tailleurs, André manœuvre dans une entreprise de charpente et Raymond, âgé de 14 ans, apprenti.

Sur ce milieu extrêmement modeste, plutôt “ fruste ” 2 , deux caractéristiques majeures ressortent des témoignages accumulés lors de la campagne de soutien à Emile, venant de gens ayant eu contact avec les PHILIPPOT avant et pendant la guerre. Ce sont des gens simples, de bon voisinage et de bon compagnonnage. Le 25 mai 1948, Auguste CHATAIN de Ravières écrit : ‘“ J’ai travaillé avec PHILIPPOT père et ses deux fils Jean et Emile, et je les considérais comme de bons compagnons. Nous avons été longtemps voisins. Je les ai toujours appréciés comme de bons voisins ”’. Ce témoignage est corroboré par celui de madame GRILLOT qui affirme le 20 mai 1948 : ‘“ Ils sont mes voisins depuis de nombreuses années. Je les considérais comme de bons voisins, très serviables et bons patriotes. Je vous dis l’extrême vérité. J’ai 75 ans, à mon âge, on ne peut mentir ”’. A propos d’Emile, sa mère, Julie PHILIPPOT, indique le 7 avril 1948 qu’ ‘“ Emile était aimé des voisins, il était toujours prêt à rendre service à tout le monde, même à ses dépens ”’. La référence au patriotisme de la famille est reprise par Emile PROUDHON, lointain descendant de Pierre Joseph PROUDHON, le typographe philosophe anarchiste du XIXe siècle. Le 18 avril 1948, il rend hommage à cette famille, saluant l’engagement de tous dans la Résistance. Les garçons et le père, âgé de 66 ans en 1942, se sont impliqués dans l’action armée, la mère a accueilli, protégé, nourri les compagnons de combat des hommes, les trois filles, toutes épouses de prisonniers de guerre, ont accompli des tâches de liaison et Denise a terminé la guerre de libération sur les barricades de Paris insurgé. Elle y retrouva son frère André, engagé dans la 2eDB.

Dès 1942, la maison PHILIPPOT devient un lieu où des cadres importants de la Résistance icaunaise comme le Commandant GRILLOT, fondateur du groupe VAUBAN, premier groupe FTP de l’Yonne, trouvent couvert, couche, cache d’armes. Le fils aîné, Louis, est membre du VAUBAN dès novembre 1942, passe au maquis en mai 1944, où il assume la fonction de responsable technique aux explosifs. Bien que réformé depuis 1927, il s’engage pour la durée de la guerre à 37 ans. Il termine la guerre comme adjudant FFI, titulaire de la Croix de Guerre pour faits de résistance. Jean reste légal et assure le ravitaillement du maquis ainsi que la logistique en armes. Comme son frère Guy et son père, il est arrêté et commence alors le long calvaire qui les mènera à Gross-Rosen et à la mort : Guy le 15 octobre 1944, Jean le 15 janvier 1945, le père mourant d’épuisement et de chagrin quelques heures plus tard. Quand à André, il a été engagé dans le conflit dès 1939. Prisonnier en Prusse orientale, il parvient à s’évader, rejoint les lignes soviétiques et, rapatrié en Angleterre, s’engage dans les FFL. Il participe à la campagne d’Algérie et de Tunisie, est affecté à la 2eDB avec laquelle il débarque en Normandie le 1er août 1944. Le plus jeune des enfants PHILIPPOT, Raymond, après avoir été arrêté à 15 ans lors de l’opération du 6 septembre 1943 contre la maison familiale, torturé, resté silencieux, il est finalement libéré après 57 jours de détention et rejoint le VAUBAN, s’engage comme volontaire en août 1944 dans une compagnie FFI et se retrouve en 1948, lors du second procès d’Emile, comme soldat d’un régiment de spahis en situation d’occupation en Allemagne. Une implication aussi forte dans la résistance à l’occupant noue inévitablement de forts liens de fraternité. Le Docteur RAGOT de Sens a côtoyé le père et ses deux fils, Jean et Guy, à la prison d’Auxerre en septembre 1943, puis à celle du Cherche-Midi à Paris en octobre-novembre, enfin au camp du Struthof-Natzweiler jusqu’à leur départ pour le tribunal de Breslau, antichambre du camp de Gross-Rosen où ils disparurent. Il se souvient qu’à propos d’Emile, “ ils parlaient toujours en termes élogieux ”, qu’ils étaient “ plein d’admiration pour son courage ” et qu’ils étaient convaincus qu’il les vengerait. Le 20 mai 1948, Madame VITRY de Ravières estime qu’Emile “ est un bon patriote qui a fait son devoir ”, qu’il “ en est de même pour sa famille ”, qu’il “ serait souhaitable que tous les Français se soient conduits comme eux ”. Comme pour donner plus de poids à son témoignage et l’enraciner dans l’histoire, elle précise qu’il s’agit là du témoignage d’une femme de 83 ans qui a vu trois guerres. Cette brève approche de ce que fut la famille PHILIPPOT esquisse un profil classique de ce que l’on peut appeler “ la Résistance au village ”. Un quadruple réseau de solidarité, de classe, de bon voisinage, intergénérationnel et familial fonde un engagement patriotique apparaissant alors comme naturel, allant de soi. L’ensemble des témoignages réunis en faveur de PHILIPPOT en 1948 dessine ce que pouvaient être les réseaux de sociabilité dans un village comme Ravières, entre familles modestes socialement, démunies culturellement, pratiquant comme relevant de l’évidence l’échange de services, les coups de main, l’entraide, comportements sociaux nouant de solides liens de solidarité. Ceux-ci fondent, lorsque le séisme de la guerre survient, de réelles complicités politiques.

Notes
2.

Robert LOFFROY, entretien 12 décembre 1996.