3-Le résistant clandestin

Selon le récit rédigé en avril 1948 pour organiser sa défense, fondé sur le témoignage de PHILIPPOT, confirmé par ses camarades de combat, c’est en février 1943 qu’est constitué “ le ” VAUBAN 1 , premier groupe clandestin FTPF de l’Yonne, dirigé par E. PROUDHON et que commence alors pour Emile PHILIPPOT la vie de clandestin. Le moment est d’importance : la naissance du groupe coïncide avec le grand basculement stratégique de la guerre marqué par la première défaite allemande à Stalingrad. Néanmoins, l’appellation de maquis ne doit pas tromper, par une identification aux images des maquis de l’été 1944. La formulation “ groupe clandestin ” caractérise mieux ce petit groupe de résistants, certes coupés de ce mode d’insertion social majeur qu’est le travail, mais qui conservent de forts liens avec le milieu social du village. Au sein du groupe, Emile est un élément actif jusqu’à son départ en septembre 1943. Ses camarades témoignent de sa participation à plusieurs actions déterminantes pendant ses six mois de passage au VAUBAN. La première mission d’importance consiste à abattre un agent français de la Gestapo, PANDOLFI. Elle se solde par un échec, à la suite de l’intervention d’un Feldwebel. Pour s’échapper, PHILIPPOT abat l’allemand, récupère son arme et sa bicyclette ainsi que des documents qui seront transmis au CMN-FTP. Quant à PANDOLFI, il est finalement exécuté en juin 1943. Le 1er mai 1943, PHILIPPOT participe, avec cinq autres FTP clandestins et une dizaine de sédentaires au déraillement de deux trains de matériel de guerre, l’un sur la ligne PLM, à l’entrée de Ravières, l’autre sur la ligne menant à Châtillon-sur-Seine. Fin mai, il est arrêté par la Gendarmerie de Briennon, identifié comme réfractaire au STO et comme tel, condamné au départ vers l’Allemagne. Il parvient à s’échapper à Dijon et rejoint le VAUBAN. Le 6 septembre, alors qu’il est venu passer la nuit au domicile familial, il est dénoncé à la police allemande qui fait irruption en pleine nuit. N’ayant pu convaincre les autres hommes de la famille de le suivre, il s’échappe seul “ en chemise ” (témoignage de la veuve GRILLOT qui lui fournira des habits). Ses trois frères et son père sont arrêtés. A l’exception de Raymond, tous sont déportés et mourront à Gross-Rosen.

Peu de temps après, il quitte les FTP, “ à cause de désaccord avec (son) frère ”, selon son propre témoignage de 1948. Rien ne permet d’établir aujourd’hui les raisons exactes d’un tel choix. Les seuls éléments concrets qui ressortent des témoignages de ceux qui ont connu PHILIPPOT sont son caractère quelque peu fantasque et une certaine instabilité. A cela s’ajoute le traumatisme, fréquemment invoqué, qu’a suscité l’arrestation de ses frères et père, alors que lui-même a pu s’échapper. Quoi qu’il en soit, la circonstance n’a rien d’exceptionnel. L’histoire des maquis est riche de maints exemples de forte perméabilité d’une structure à une autre. On n’est pas recruté par un maquis, on le rejoint, on ne le déserte pas, on le quitte, souvent pour un autre. PHILIPPOT passe alors un court instant au maquis Tabou  du Châtillonnais, en Côte-d’Or, département proche de Ravières. Ce maquis est célèbre pour avoir compté parmi ses combattants Georges SEMPRUN et Michel HERR, fils de Lucien HERR. Cet épisode est bref puisque le maquis est dissout en décembre 1943. PHILIPPOT passe alors, toujours en Côte-d’Or, dans un maquis rattaché au War Office, la maquis Henri BOURGOGNE, commandé par Henri CAMP de Semur-en-Auxois, installé sur la périphérie orientale du Morvan. Ce maquis vit alors des moments difficiles. Attaqué vigoureusement par des troupes allemandes le 30 octobre, CAMP a dû disperser ses groupes. L’hiver qui arrive est manifestement difficile, en particulier pour le ravitaillement. A ce moment se situent des circonstances qui firent l’objet des procès intentés à PHILIPPOT après la guerre. Pendant l’hiver 1943-1944, PHILIPPOT réalise un certain nombre de réquisitions. Celles-ci ont-elles été ordonnées par CAMP, choisissant alors l’un de ses hommes les plus expérimentés et les plus déterminés ? Ou PHILIPPOT, profitant de la dispersion des groupes et se parant de l’autorité morale d’un chef de maquis incontestable, a-t-il travaillé pour son propre compte, ayant ainsi versé dans une sorte de dérive délinquante ? C’est dans la même période qu’il exécute, le 10 janvier 1944, une jeune habitante de Semur-en-Auxois, Alice BITOUZET, informatrice de la Gestapo, mais semble-t-il aussi des services britanniques. Exécution sur ordre d’un chef disparu au combat quelques mois plus tard ou assassinat pour d’obscures raisons de vengeance personnelle ? A ces deux questions les procès comme le dossier de la défense apporteront des réponses divergentes.

Notes
1.

Cette appellation, référence historique au seigneur de Bazoches, personnage issu de la même région, associe probablement la double dimension du protecteur du territoire et de l’auteur de Pour une dîme royale.