3-Un procès “ monté de toute pièce ” ?

Ce qui nous est parvenu des positions des jurés favorables à l’accusé permet de mieux cerner les enjeux du procès. Dans une lettre datée du 21 juillet 1948, envoyée à Robert SIMON dans le cadre de la campagne de préparation du second procès de PHILIPPOT, Mr R. CHANUT de Dijon, juré au procès de 1945, fait état de quatre points révélateurs. Affirmant avoir énergiquement défendu PHILIPPOT, il estime que cela a “ permis de lui sauver la tête ”. A propos de l’attitude des magistrats, s’il salue l’impartialité du président GUERRIER, il regrette la “ partialité réelle, voire même exagérée ” du procureur VOISENET. Des débats, il retire ‘“ l’impression que PHILIPPOT devait payer pour blanchir une certaine partie de soit-disant résistants ”’. Enfin, il signale que PHILIPPOT “ n’a pas rendu la tâche facile ” à ses partisans, “ n’ayant pas nié énergiquement son instabilité ”. Ces éléments éclairent les circonstances du procès comme les facteurs de l’oubli dans lequel est tombé PHILIPPOT après son procès. Le fait même que PHILIPPOT ait échappé à la peine demandée apparaît comme une semi-victoire, peu propice à une mobilisation ultérieure. Ce point est confirmé par le témoignage d’un autre juré favorable à l’accusé (annexe n°40). Il émane de J. NICOLAS, ancien responsable subdivisionnaire des FTPF, commandant FFI, Médaille de la Résistance avec rosette, et secrétaire départemental de la FNDIRP de Côte d’Or en 1948. Il participe comme celui de R. CHANUT de la campagne de 1948. Venant de quelqu’un que ses responsabilités au PCF, aux FTPF, à la FNDIRP permettent de qualifier de cadre dans la mouvance communiste, il exprime plus qu’un point de vue personnel, mais témoigne de ce qu’était “ la ligne ”. Dénonçant “ un procès monté de toute pièce ”, il limite cependant son action à ‘“ mettre tout en œuvre pour sauver PHILIPPOT de l’exécution qui le menaçait ”’. Une telle modestie d’objectif, pour quelqu’un qui fut tout de même des éléments fondateurs d’un des plus célèbres maquis FTP de la région, pose problème et a forcément une signification politique. Le contexte national et parlementaire y est probablement pour quelque chose. Les semaines précédant le procès furent celles de la campagne électorale pour le référendum et les élections constituantes d’octobre 1945. Le secrétaire de section du PCF à Chalon-sur-Saône, arguait de ce contexte pour conseiller à Robert SERAUT, lui aussi confronté à la justice, de ne pas faire de vagues. Manifestement, la défense de résistants confrontés à la justice de la République restaurée n’est pas un objectif du PCF, fortement impliqué dans les tâches parlementaires et gouvernementales. A contrario, la campagne récurrente pour une épuration radicale, l’un des derniers motifs offerts à la mobilisation pour les organisations périphériques du PCF comme le FN, contribue à légitimer la sévérité à l’égard de ceux qui sont présentés, à tort ou à raison, comme de faux résistants. La référence de R. CHANUT à l’attitude de PHILIPPOT recoupe en partie les observations du journaliste du Bien Public. “ Dénégations obstinées ” pour le quotidien, refus de nier “ son instabilité ” pour le juré contribuent à esquisser les traits du personnage PHILIPPOT, chacun des deux aspects pouvant être perçu à charge comme à décharge. PHILIPPOT est un homme de coups de mains et, au gré des circonstances, il s’y livre dans des dispositifs résistants différents, de maquis FTP à maquis contrôlés par l’IS. La plupart de ceux qui ont étudié le fait maquisard 1 ont observé que les ralliements, les appartenances relevaient de motivations complexes, où les référents idéologiques et politiques sont souvent secondaires, les liens de sociabilité antérieurs ou les circonstances jouant le rôle principal. L’ “ instabilité ” organisationnelle de PHILIPPOT n’est donc en rien singulière. Quant à ses “ dénégations obstinées ”, elles doivent être remises dans leur contexte et référées à la personnalité de PHILIPPOT. Comment imaginer que cet homme qui a subi les geôles vichystes, les tortures de la Gestapo, qui vient de vivre sept mois d’enfermement dans les prisons de la République restaurée, puisse faire autre chose que défendre sans le moindre accommodement la totalité de ce qu’il fut ?

Notes
1.

Jean-Yves BOURSIER, Chroniques du maquis…, op. cit.