4-Une chape de silence sur PHILIPPOT

A partir des faibles échos qu’a suscité le procès, y compris dans la presse communiste en novembre 1945, une véritable chape de silence tombe sur PHILIPPOT. Que le congrès fédéral de Côte d’Or du PCF puisse s’être tenu en décembre 1945 sans que la question y soit abordée est tout à fait révélatrice de cet effacement. Les acteurs survivants, convenant du fait, avancent des explications diverses, toutes plausibles, mais qui n’effacent en rien la brutalité de l’oubli. Robert LOFFROY, CER FTP de l’Yonne, responsable des Milices patriotiques de ce département à la Libération, en convient 2 . Il invoque les contraintes matérielles, en particulier les immenses difficultés de communication, de transport, tendant à fragmenter l’information et faire que le jugement d’un FTP icaunais en Côte d’Or n’ait pas eu grand écho dans l’Yonne. Il admet de plus que l’investissement militant dans les premiers temps de l’après-guerre était tel, que pour des gens comme lui, la question des “ patriotes emprisonnés ”, selon l’expression qui sera forgée lors des campagnes de soutien ultérieures, passe à l’arrière-plan. Pour leur part, Jeannine et Henriette NIEPCE, arrière petites-nièces de l’inventeur de la photographie, aujourd’hui retirées dans un village de la côte chalonnaise, témoignent n’avoir absolument aucun souvenir de cet aspect de l’après-guerre 3 . Même si elles n’ont eu que des liens indirects avec la région pendant la guerre, leur rôle d’agents de liaison de Gillo PONTECORVO et Claude JAE0GER les menant sur de plus vastes routes, leurs relations avec un cadre désormais majeur du PCF comme WALDECK ROCHET auraient pu les éveiller à cette question ce qui n’est manifestement pas le cas. Jeannine NIEPCE, tout en convenant que ce n’était certainement pas une préoccupation majeure pour un parti qu’elle quittera d’ailleurs rapidement, avance l’idée que pour de jeunes acteurs du combat libérateur, les premiers mois de liberté ont été traversés dans une espèce de “ folie lyrique ”, effaçant presque inconsciemment tout ce qui pouvait la ternir. Plus prosaïquement, un cadre comme René MILLEREAU, ex-commandant MAX, ex-adjoint au commandant départemental des FTP de l’Yonne, ancien chef du 4e bataillon du 1er Régiment du Morvan constitué de FFI intégrés à l’armée régulière, affirme dans une lettre à PHILIPPOT, le 28 mai 1948, que lors de l’arrestation de ce dernier, il ne doutait ‘“ pas un instant que la lumière serait rapidement faite sur (son) cas et que justice (lui) serait rendue ”’. D’autres témoignages, comme celui du docteur RAGOT, de Sens, déjà cité, avancent aussi cette idée que cela serait rapidement réglé, que les erreurs judiciaires seraient réparées, que cette conviction rassurante a facilité l’oubli. De façon générale, l’évocation de ce procès suscite aujourd’hui une gêne, alimentée par une certaine mauvaise conscience. Roger PRUNOT 1 , jeune FTP, engagé pour le temps de la guerre dans la Ière Armée, témoigne qu’à son retour, l’oubli s’est nourri de l’envie de vivre intensément les temps de la paix retrouvée. Le même ressent aujourd’hui, l’urgence de reconstituer cette période blanche de sa mémoire, nourrie des faits se produisant pendant son absence.

En réalité, ces différentes occurrences cumulent leurs effets pour donner corps à cette chape de silence qui tombe sur PHILIPPOT et, nous le verrons plus loin, sur la plupart des résistants condamnés. S’il n’est pas de survivants parmi les cas les plus difficiles, il est loisible de déceler dans les familles la volonté de ne pas revenir sur ces moments difficiles. Toutes mes tentatives pour entrer en contact avec des membres de la famille PHILIPPOT se sont heurtées à un refus poli. Un des frères survivants d’Emile m’a fait dire par son épouse que cela avait été si difficile, qu’il refusait, cinquante ans plus tard, de “ remuer toute cette boue ”, sans que soit explicitée la nature de la “ boue ” en question.

Notes
2.

Entretien 18 décembre 1996.

3.

Entretien 6 mai 1998.

1.

Entretien 18 décembre 1996