2- Une campagne de collecte de témoignages en faveur de PHILIPPOT

La campagne de soutien de 1948 prend sa source dans une initiative de Julie PHILIPPOT, mère d’Emile. Le 7 avril, elle s’adresse à Robert SIMON, président de la section d’Auxerre de la FNDIRP. Cette lettre est publiée, au nom du comité de l’Yonne de l’Association des Anciens FFI-FTP et sous une forme remaniée, par l’Yonne républicaine du 4 juin (annexe n°41). D’emblée, nous sommes face à un appel désespéré d’une “ pauvre maman ” qui demande “ si vous pourriez l’aider à faire quelque chose ” en faveur de son fils. La modestie de la demande, la prudence du “ quelque chose ” proviennent de toute évidence de quelqu’un qui est arrivé au bout de l’espoir et qui se raccroche à une dernière tentative pour retrouver son fils, “ soutien de (sa) vieillesse ”. A l’appui de sa demande, elle rappelle l’importance de l’engagement résistant de la famille, cite quelques-uns des exploits d’Emile, comme celui qui permit à son chef BAILLY, du groupe Tabou, d’échapper aux Allemands, oppose la situation de son fils à la mansuétude dont font l’objet les “ nombreux collaborateurs ” relâchés, alors qu’il est toujours dans les prisons de la République. Cette situation désespérée est mise en perpective par la déposition de Robert SIMON au procès de novembre 1948, à Nancy. Faisant référence à la découverte faite par lui-même du sacrifice des PHILIPPOT dès son retour de Mathausen, il admet que ‘“ nos tâches ne nous permettaient pas de suivre le cas de chacun, mais les secours que nous proposons au COSOR envers cette famille méritante sont toujours accordés sans discussion malgré l’insuffisance des fonds. Nous pensions donc, à tort, avoir rempli notre tâche, nous être acquittés de notre devoir envers cette famille PHILIPPOT, quand le 7 avril dernier, une lettre nous parvint de la maman, une requête qui se traduit en trois mots :  sauvez mon fils ”’. S’interrogeant sur l’aspect tardif de cet appel, Robert SIMON fait alors état de multiples démarches de Julie PHILIPPOT auprès de “ personnalités politiques de tous horizons ”, mais que ces personnes “ débordées par leurs tâches ”, n’avaient pu réaliser leur projet d’enquête et ne s’étaient pas adressées à l’Association départementale des Déportés et Internés de l’Yonne ”. Deux aspects ressortent de cette partie de la déposition de Robert SIMON : elle confirme que la mère de PHILIPPOT a déjà cherché, en vain, à susciter des interventions, que celles-ci n’ont pas été effectuées, au nom de la lourdeur des “ tâches ” que les personnalités politiques ont à assurer; il convient que lui-même et ses camarades, eux aussi absorbés par des “ tâches ” multiples, ici d’ordre essentiellement matériel, sont passés à côté du cas PHILIPPOT. Dans les deux aspects, nous retrouvons une explication fréquente aujourd’hui encore, avancée pour justifier l’oubli dans lequel sont tombés tant de résistants réprimés. Nonobstant le fait que ceci présuppose une hiérarchisation bien peu innocente entre les dites tâches, privilégiant tout ce qui relève des institutions et des structures de pouvoir, cette déposition éclaire et confirme la disposition d’esprit dans laquelle se trouve Julie PHILIPPOT au printemps 1948, faite de lassitude et du sentiment qu’il s’agit là d’une dernière chance. Or cette tentative, comme cela a été établi, est en phase avec les données d’une nouvelle séquence politique, imposant une nouvelle redistribution des priorités pour le PCF et les forces et organisations qui gravitent autour. Cette conjonction explique largement l’écho militant immédiat que trouve la campagne de collecte de témoignages de soutien, mise en place à partir d’avril 1948.

Un premier groupe de témoignages provient du proche voisinage des PHILIPPOT, dont certains ont déjà permis d’esquisser un profil social et politique de cette famille. A l’égal des siens, Emile PHILIPPOT y est identifié comme un bon compagnon de travail, un bon voisin, un vrai patriote. Ne portant pas sur des faits précis, mais sur l’histoire d’une vie, ces témoignages manifestent l’existence de forts liens de sociabilité que les pétitions de 1946 et 1947 avaient déjà révélés. Deux témoignages vont au-delà de cette dimension. Jules CHARPENTIER, après avoir affirmé dans sa lettre du 24 mai 1948 sa solidarité avec une famille faite de “ braves gens ” avec qui il a “ toujours eu de bonnes relations ”, reconnaît qu’Emile “ travaillait régulièrement ” et que “ s’il changeait, c’était à cause de son caractère, car il s’emportait facilement ”. Il souhaite “ qu’Emile soit innocent des accusations portées contre lui ”. De tous ceux dont les témoignages ont été conservés par Robert SIMON, il est d’ailleurs le seul habitant de Ravières n’ayant pas signé les pétitions de soutien. Pour sa part, Robert BRIANDET, soldat, au titre de la classe 1947, au Flying control de la base aérienne de Longvic à Dijon, formule une approche plus fine du problème. Prudemment, il demande de “ ne pas attacher un prix sans restriction à ses déclarations ”, car il avait 16 ans à l’époque des faits. Ces derniers ne lui sont connus que par les récits de “ ses compagnons ”. S’il croit “ suffisamment le connaître pour affirmer (qu’il ) le juge incapable de répondre aux accusations qui pèsent sur lui, notamment la dénonciation aux Allemands du brigadier de gendarmerie de Semur-en-Auxois ”, il convient par contre que PHILIPPOT a pu “ comme tant d’autres ”, commettre “ quelques écarts de ceux qui étaient, du fait des circonstances, une nécessité… ”. A cette référence aux contraintes du combat libérateur, BRIANDET oppose une réflexion amère sur ceux dont “ la trahison était évidente et qui, malgré tout, ont été remis en liberté ”. Il la prolonge par une interrogation sur l’absence de recherches judiciaires au sujet des origines de la dénonciation de la famille PHILIPPOT en septembre 1943, ainsi que par le regret de voir PHILIPPOT languir “ dans sa prison parce qu’il faut quelqu’un pour payer une faute dont on ne veut pas essayer de connaître les auteurs ”. Ces deux témoignages, homogènes aux autres pour ce qui constitue une déclaration de solidarité avec la personne même de PHILIPPOT, contribuent par leurs différences à enrichir à la fois les contours du personnage et la façon de cerner le problème posé par son maintien en détention, en un temps où les condamnés de l’épuration bénéficient de plus en plus fréquemment de mesures d’élargissement. Le constat du caractère emporté de PHILIPPOT comme la reconnaissance d’ “ écarts ”, terme prudent pour désigner réquisitions ou exécutions plus ou moins justifiées, réalisées sous contrainte des circonstances, s’ils voilent quelque peu la figure pure et héroïque que certains auraient pu être tentés de tisser pour PHILIPPOT, lui restituent tout au contraire une densité humaine fortement connectée aux événements.

Un deuxième groupe de lettres de soutien vient de compagnons de combat ou de responsables de PHILIPPOT. Ses deux responsables initiaux, Emile PROUDHON, chevalier de la Légion d’Honneur et le commandant François GRILLOT, fondateurs du groupe VAUBAN, témoignent, au fil du récit des exploits de ce groupe, de son courage, de son audace et de son comportement exemplaire. Des simples combattants du groupe émane la même volonté de soutien sans réserve. Pour Roger LEVON, il est un “ bon camarade et un résistant authentique ”, “ d’une bravoure exemplaire ”, “ volontaire pour toutes les missions ”. De la longue lettre de Bernard RUFFET (annexe n°42) ressort une admiration quelque peu naïve pour celui qui y apparaît non seulement comme un valeureux combattant mais aussi comme un meneur d’hommes pour quelqu’un dont le témoignage semble indiquer qu’il était plus jeune que PHILIPPOT. La référence patriotique comme l’hommage au rôle de la famille PHILIPPOT sont l’autre dominante de ce témoignage, dont l’éloignement géographique exclut qu’il ait été manipulé. L’intérêt de la lettre de soutien de Dominique BOLZAN dont la “ demeure retirée ” servit de “ refuge de résistants ” réside principalement dans le fait que ce témoignage intègre la période d’appartenance au groupe  Tabou  puisqu’il n’a “ perdu de vue PHILIPPOT qu’à “ la fin de 1943 ”. Plusieurs témoignages viennent de compagnons de combat du maquis Henri BOURGOGNE, commandé par Henri CAMP. Leur poids est décisif puisque les actes d’accusation des procès de 1945 et 1948 portent sur des faits relevant de la période d’appartenance à ce maquis. Ils n’éclairent cependant pas complètement la situation, puisqu’aucun ne vient de quelqu’un ayant côtoyé PHILIPPOT pendant la totalité de cette période. Du Docteur RAGOT, de Sens, nous vient un témoignage indirect. Il a partagé une grande partie du calvaire des fils et du père PHILIPPOT arrêtés et déportés, ‘“ d’abord à la prison d’Auxerre en septembre-octobre 1943, puis au Cherche-Midi en Octobre-Novembre, ensuite au camp de Natzweiler-Struthof, de novembre 43 au printemps 44, date de leur départ pour le tribunal de Breslau ”’. Le témoin se souvient de l’admiration que ses trois compagnons de souffrance manifestaient à l’égard d’Emile, comme de leur conviction que grâce à lui, il seraient vengés. Quant aux faits reprochés à PHILIPPOT, il estime que “ les vétilles qu’ils ont pu commettre pour arriver à se nourrir sur le dos des collaborateurs ” pèsent peu par rapport “ aux énormes services ” rendus par ces combattants. Robert LEQUIN, quoique membre du maquis Henri BOURGOGNE, n’a pu connaître PHILIPPOT, puisqu’il fut arrêté “ lors de la grande rafle de Semur ” le 20 octobre, quelques jours avant l’arrivée de PHILIPPOT. Par contre, il peut témoigner (annexe n°43) que PALAZZI, qui commandait en second le maquis et qui fait d’ailleurs partie des inculpés au second procès de Nancy en 1948, “ était un modèle et qu’il avait tout mis en œuvre pour recruter de bons éléments et former de vrais patriotes ”. Pour sa part, Paul GOBILLOT, lieutenant FTPF, déporté politique, résistant dès octobre 1940, fondateur du maquis BOURGOGNE avec Henri CAMP jusqu’à son passage aux FTP fin 1943, atteste que PHILIPPOT “ avait, dans les maquis précédents, une conduite digne d’éloges ” et qu’incorporé au groupe de CAMP, “ il exécuta avec beaucoup de courage les missions de sabotage que le chef Henri CAMP lui confia ”. Il nuance néanmoins son propos, en constatant que “ s’il a fait quelques erreurs, son passé de résistant doit à (son) point de vue atténuer singulièrement ces petites bévues ”. L’honorabilité de GOBILLOT, déjà assurée par son passé de résistant et de déporté, est confirmée par P. GUILLEMARD, directeur d’école à Semur-en-Auxois qui déclare le 22 juillet 1948 :

‘“ J’avais souvent des conversations avec Paul GOBILLOT, qui m’a donné l’impression d’être un de ces Français qui n’acceptèrent jamais la domination allemande et qui payèrent de leur personne avec témérité pour aider à notre libération ”.’

Enfin, des cadres militaires ou politiques se manifestent pour soutenir PHILIPPOT. Maria VALTAT, qui fut un cadre majeur de la résistance communiste de l’Yonne puis au niveau de l’interrégion, vice-présidente du CDL de l’Yonne  à la Libération et conseillère municipale d’Auxerre, apporte un soutien sans nuance et sans restriction. Pour elle, qui se souvient d’un contact avec le maquis VAUBAN  en mai 1943, PHILIPPOT est “ un héros sans peur et sans reproche ”. Sa lettre, publiée par Le Progrès du 6 juin 1948 (annexe n°42), scandée par les débuts de phrases du genre “ Nous n’admettons pas… ”, “ Nous ne laisserons pas… ”, résonne comme un manifeste, se terminant par une véritable proclamation :

‘“ Les Français, j’entends les vrais Français, ont suffisamment souffert et rougi de la délation organisée, de la cupidité encouragée et de toutes les vengeances personnelles et politiques. Ils en ont assez. Ils veulent vivre libres, ils ne vivront jamais à genoux. Confiance, mon cher Emile, la justice triomphera ”.’

Ce texte, s’il dénonce des faits bien réels, comme la mansuétude d’une certaine épuration, cache mal, sous la fermeté des propos et l’aspect déclamatoire du ton, le fait que cela arrive près de trois ans après le premier procès et que Maria VALTAT appartient précisément à ces personnalités absorbées par les tâches de l’après-guerre, qui ont “ oublié ” leurs camarades emprisonnés. Pour sa part, René MILLEREAU, ex-commandant MAX , ancien adjoint au commandant départemental FTP, ancien chef de bataillon au Ier Régiment du Morvan, unité d’origine FFI, intégrée dans le cadre de la politique d’amalgame à la Ière Armée française, s’il ne porte pas témoignage sur des faits précis, assure PHILIPPOT de sa volonté de tout faire pour “ obtenir la révision de (son) procès et (son) acquittement ”. Loin de bercer d’illusions son interlocuteur, il prévoit que le combat rencontrera “ beaucoup de difficultés ” face à “ l’activité déployée par les ex-collaborateurs, ennemis de la Résistance et traîtres qui trouvent encouragement et espérance dans la coupable indulgence de la justice ”. La forte différence de ton entre ces deux témoignages interroge. Alors que René MILLEREAU qui fut un cadre militaire et n’exerce son activité militante en 1948 que dans l’Association des Anciens FFI-FTP s’adresse avec mesure mais affection à PHILLIPOT, Maria VALTAT, cadre politique pendant et après la guerre, semble faire un discours. Au-delà des données personnelles, les différences de mode d’investissement dans les structures de Résistance comme de République restaurée expliquent probablement ces différences entre un homme salué pour son intégrité, tellement amer qu’il mit fin à ses jours et la militante, femme d’appareil, engagée dans les processus politiques de l’après-guerre.