3-L’organisation de la campagne de soutien

A la suite de la prise en charge du dossier PHILIPPOT par Victor BOLZAN et Robert SIMON, sont constitués successivement un comité local (Ravières) et auxerrois, respectivement les 1er et 4 juin 1948 se fixant pour objectif la libération de PHILIPPOT. De la composition du comité de Ravières ressortent deux caractéristiques : les organisations initialement engagées appartiennent toutes à la mouvance communiste (PCF, UFF, Association des anciens FFI-FTPF, CGT, Secours Populaire ), et les individualités, anciens déportés comme Roger LEVON et POULLEAU, “ mère du premier maquisard de l’Yonne, tombé face à l’ennemi, les armes à la main ” pour Mme TIENNOT, relèvent d’un usage systématique depuis la Libération de la figure des victimes, mise en avant dès lors qu’il s’agit de mener campagne à propos d’un avatar de la guerre. Cette pratique est homogène au mythe du “ Parti des 75 000 fusillés ” dont nous verrons en d’autres situations qu’elle suscita fréquemment de la part de ceux qui en furent les objets une certaine gêne, précédant parfois un rejet total. Le comité auxerrois est constitué d’emblée de 14 organisations de la ville qualifiées de “ démocratiques ” dans le compte rendu publié. Ce qualificatif confirme la caractéristique identifiée pour le comité raviérois puisqu’il désigne dans le vocabulaire du PCF les organisations dites “ de masse ” dont il a le contrôle politique, soit par des militants soit par des compagnons de route. S’ajoutent des associations départementales comme les “ Combattants de la liberté ”, forme initiale de ce qui sera connu comme le “ Mouvement de la Paix ”, la FNDIRP, la Fédération des Officiers et sous-Officiers de réserve, l’UJRF, toutes aussi étroitement contrôlées par le PCF. Apparaît cependant d’emblée l’Amicale du groupe CHEVREUIL, maquis OCM, ce qui manifeste une volonté et une capacité d’élargissement organisationnel et d’ouverture politique de la part des initiateurs de la réunion constitutive. Celle-ci est confirmée par le texte fondateur adopté à l’issue de la réunion du 4 juin : il stipule que le comité fera ‘“ appel à toutes les organisations susceptibles de s’intéresser au cas PHILIPPOT, associations d’anciens combattants, résistants, victimes de guerre, groupements politiques, philosophiques, religieux, syndicaux ”’, formulation certes convenue mais qui fixe malgré tout clairement l’objectif. Le comité d’initiative auxerrois prévoit de plus de diffuser un dossier constitué sur “ l’affaire ” et de se transformer en comité départemental. La première réunion du “ Comité PHILIPPOT ”, désormais départemental, le 17 juin, enregistre le début d’ouverture politique, avec la présence de la FEN et surtout de l’Amicale des anciens du mouvement  Libé-Nord , d’obédience socialiste, fortement représentatif de la résistance icaunaise, en particulier par le groupe  Bayard du jovinien. La stratégie adoptée est classique : appel aux élus et autorités préfectorales ou nationales, mobilisation de la population par pétitions et réunions publiques, campagnes de presse.

C’est au préfet du département que le comité de Ravières réclame dès le 1er juin la libération de PHILIPPOT. Les parlementaires ont été déjà contactés par Victor BOLZAN, dès le 10 mai, au nom de l’Association FFI-FTPF. Gérard VEE (SFIO) et Prosper MOQUET (PCF), père de Guy MOQUET, font état dès le 13 mai, de leur intervention auprès d’André MARIE, ministre de la Justice. Celui-ci reçoit le 10 juillet une délégation du Comité PHILIPPOT. Celle-ci reflète par sa composition le renforcement du comité avec les deux anciens présidents du CDL de l’Yonne, Emile FOVET et Adrien DEMOUCHY, l’ancien chef départemental FFI Charles GUY, président du Comité d’Entente de la Résistance de l’Yonne. Ces hommes attestent par leur présence que c’est bien la Résistance dans toute sa diversité qui est désormais rassemblée pour obtenir justice pour PHILIPPOT. L’intention affichée est de bénéficier des grâces présidentielles accordées lors de la fête nationale du 14 juillet. Cette attente ayant été déçue, dès le 15 juillet, Lucien MARECHAL, professeur de Lettres au lycée d’Auxerre, adresse au nom du Comité PHILIPPOT, une lettre de protestation aux trois députés, G. VEE, P. MOCQUET et cette fois Jean CHAMANT, député conservateur. Il y manifeste l’indignation du comité d’être laissé sans “ aucune indication ” depuis l’entrevue au ministère de la Justice et fait état de “ bruits ” selon lesquels un membre icaunais du PPF et de la LVF “ aurait bénéficié récemment d’une mesure de grâce ”. A cette protestation, le député communiste répond en s’alignant strictement sur les positions du comité (annexe n°44) alors que Jean CHAMANT se retranche prudemment (annexe n°45) sur la séparation des pouvoirs pour ne pas s’immiscer dans le domaine des grâces présidentielles. Cette démarche n’ayant donc pas abouti, c’est au président de la République que le comité s’adresse le 24 août, non sans rappeler ses démarches infructueuses et les promesses non tenues, tout en sollicitant une audience présidentielle pour le 6 septembre, date symbole puisque elle se situe 5 ans jour pour jour après l’arrestation des trois hommes PHILIPPOT, point de départ pour un voyage les menant jusqu’à la mort à Gross-Rosen. Cette démarche fut elle aussi infructueuse.

Parallèlement à ces initiatives, le comité travaille à l’élargissement organisationnel et géographique de son action. Cet effort se fait en direction de la Côte-d’Or, département où se déroulèrent les faits reprochés à PHILIPPOT et où il fut jugé en 1945. Avant même que ne soient constitués les comités locaux dans l’Yonne, Robert SIMON, au nom de la FNDIRP, s’était adressé à Juliette DUBOIS, militante communiste de Dijon, déportée, responsable de l’UFF de Côte d’Or, ainsi qu’à Dominique PALAZZI, secrétaire départemental de l’Association nationale des anciens FFI-FTPF , personnage clef dans cette affaire puisqu’ancien du groupe BOURGOGNE, et au Commandant GRILLOT. Les réponses émanant des organisations de Côte-d’Or manifestent une certaine hésitation à mener une campagne spécifique pour PHILIPPOT. Cette affaire apparaît en arrière-plan de l’affaire ROUSSEAU. Certaines réticences semblent se manifester de la part du PCF : dans une réponse du 3 août à une demande de renseignement du comité PHILIPPOT à propos de l’action de PALAZZI, le secrétaire fédéral de ce parti (annexe n°46) indique en exergue de sa lettre l’observation suivante : ‘“ D’autre part, je te ferai remarquer que PALAZZI n’est pas membre du Parti communiste ”’. La remarque n’est pas innocente lorsque l’on sait la méfiance de l’appareil du PCF à l’égard des cadres non communistes des organisations “ amies ” et particulièrement de l’Association des anciens FFI-FTPF. Cette méfiance manifeste des désaccords politiques profonds qui surgiront lors de “ l’affaire TILLON ”. Le 26 août, le même auteur, pour le même correspondant, répond aux sollicitations du comité PHILIPPOT et précise ‘:“ actuellement, nous sommes très occupés par l’affaire ROUSSEAU, ce qui ne nous empêche pas de parler de l’affaire PHILIPPOT ”’ et assure avec grande prudence sa volonté “ d’essayer à nouveau de réunir des renseignements précis sur les personnes citées ”. La citation en question, en vue du procès de Nancy, implique des résistants de Côte-d’Or. A cet égard, la prudence des formulations traduit une réticence certaine. Le comité PHILIPPOT s’adresse aussi à des personnalités comme Maxime COUHIER, ancien membre du CDL au titre du PCF, dont nous avons pu établir la position particulière par rapport à l’appareil départemental de ce dernier ainsi qu’à Claude GUYOT, ancien président du CDL, maire d’Arnay-le-Duc. Dans une lettre du 26 août (annexe n°47), M. COUHIER met violemment en cause le rôle du procureur VOISENET et dans un envoi du lendemain fait état (annexe n°48) d’un vote majoritaire du conseil municipal de Dijon, en faveur d’une révision du procès sur proposition de Juliette DUBOIS. Même le chanoine KIR, qui menait depuis 1945 le combat contre le PCF, s’y était associé. Pour sa part, C. GUYOT se contente d’indiquer (annexe n°49) des pistes de renseignements à propos d’un personnage clef pour la défense de PHILIPPOT au procès de Nancy, le colonel BARTHUET, exécuté par la Résistance et susceptible d’être responsable d’un des chefs d’accusation qui pèsent sur PHILIPPOT. Le conseil renvoie, pour plus d’information, à un personnage d’envergure, puisqu’il s’agit du commandant Guy ALIZON, chef départemental FFI.

La campagne de presse qui se déploie du printemps à l’automne 1948 utilise, sous forme de communiqués de presse le quotidien local, L’Yonne républicaine, mais surtout la presse communiste ou communisante comme L’Yonne libre, journal du Front national, Ce Soir et France d’Abord (annexe n°50). Tous convergent pour constituer une figure héroïque du maquisard PHILIPPOT, rappelant de façon quasi obsessionnelle la liste de ses exploits, sans la moindre concession à ceux qui admettent que les conditions du combat libérateur ouvraient à des dérapages mineurs. En contrepoint, les personnages impliqués dans le difficile parcours de PHILIPPOT sont nommément désignés comme responsables de la situation. Ce sont surtout les organes de presse nationaux qui vont le plus loin en ce domaine. Ainsi, France d’abord, dans son numéro 258 du 8 juillet, établit une césure dans l’histoire de PHILIPPOT lorsque les “ circonstances ” non explicitées le placent sous les ordres d’Henri CAMP, qualifié d’“ individu ”, d’“ aventurier se disant mandaté par un service secret britannique ” et de “ seul responsable ” des faits reprochés à PHILIPPOT. Ce propos eût été difficile à soutenir localement. CAMP, mort au combat, est perçu, y compris dans les rangs des anciens FTP, comme un véritable chef de maquis, effectivement lié à l’IS. Le quotidien national Ce Soir, proche du PCF, développe une approche plus centrée sur le seul personnage de PHILIPPOT. Des trois articles (annexe n°50) qui ouvrent la campagne menée en juillet par ce journal ressort une démarche en boucle : Paul TILLARD, chargé du suivi des procès de résistants part du constat de l’iniquité du premier procès, alors que le second se profile (8 juillet). Il établit le parcours glorieux de PHILIPPOT ( 12 juillet), pour revenir le 15 juillet à la thèse de son innocence, notamment dans l’accusation de dénonciation aux Allemands de l’adjudant BOCHER de la brigade de gendarmerie de Semur-en-Auxois. A ce propos, le rôle ainsi que le passé de magistrat vichyste du procureur VOISENET, accusateur de PHILIPPOT lors de ses deux procès de 1944 et 1945, sont sévèrement mis en cause. Le contenu de cette campagne de presse fait donc ressortir deux caractéristiques majeures : un certain durcissement du discours, renforcé par des références organisationnelles, comme celle aux “ Combattants de la liberté ” dans L’Yonne Libre 1er mai 1948, rendant plus délicat l’élargissement à tous les courants de la Résistance ; un certain flottement dans le positionnement de la campagne, entre la dénonciation, bien tardive, de l’iniquité du procès de 1945 et l’anticipation de la préparation du procès qui s’annonce pour l’automne, portant sur de nouveaux chefs d’accusation.