4- La stratégie de la défense : que demander pour PHILIPPOT ?

La perspective d’un second procès, émergeant au printemps de 1948, apparaît comme un moment charnière dans l’histoire de PHILIPPOT. En vue de sa préparation, il change d’avocat. C’est désormais Me SCHMIDT, du barreau de Dijon, auquel se joindra en août Me WEYL, du barreau de Paris, qui organise sa défense. Son ancien avocat, Me Sylvère GROS, en informe Robert SIMON le 28 avril. Cette lettre manifeste d’ailleurs une harmonie apparente entre les deux hommes quant à la stratégie à suivre puisque Me GROS la décrit comme commune aux deux avocats. A cette date, ils estiment que la demande de révision du procès de 1945 “ a peu de chances de réussir car les éléments juridiques ne sont pas assez forts ”, qu’en conséquence “ la meilleure méthode serait après le passage en Cour d’Assises et la confusion des peines, le recours en grâce… ”.

Le même jour, le nouveau défenseur de PHILIPPOT contacte Robert SIMON. Sa lettre marque une certaine inflexion par rapport à la position de Me GROS puisqu’il fait état de l’audition en cours, à la demande de PHILIPPOT, de “ diverses personnes susceptibles de faire la lumière sur les chefs d’accusation qui ont été reprochés au condamné ”. Cette formulation indique bien qu’il s’agit là de l’instruction de la demande de révision, sans que le nouvel avocat de PHILIPPOT manifeste le même pessimisme que le précédent. Cette relative confiance est d’ailleurs confirmée dans sa missive du 7 juin, où il assure Robert SIMON être ‘“ en tout car sûr dès maintenant d’une étude extrêmement sérieuse du dossier et par le magistrat chargé de donner son avis sur la demande de révision et par la Chancellerie ”.’

Les échanges épistolaires du printemps et de l’été entre l’avocat et Robert SIMON ou Victor BOLZAN expriment la délicate articulation entre les trois dimensions de l’action en faveur de PHILIPPOT : demande de révision du procès de 1945 ; recours en grâce ; préparation du procès d’Assises. Si la collecte de témoignages peut alimenter indifféremment ces trois dimensions, par contre la campagne d’opinion en apparaît quelque peu gênée puisque les différentes prises de position mettent en avant, selon les circonstances, l’un ou l’autre des objectifs.

Une autre incertitude plane sur l’avenir, il s’agit du lieu et de la date du procès d’Assises. En effet, comme le signale Me SCHMIDT à Robert SIMON dans une lettre du 30 août (annexe n°51) l’informant du transfert de PHILIPPOT à la maison d’arrêt de Nancy, le Procureur général près la Cour d’Appel de Dijon ayant formé une requête en suspicion légitime, la Cour de Cassation a renvoyé le procès devant la Cour d’Assises de Nancy. L’automne arrive donc avec une double attente : celle du résultat du recours en grâce et celle de la date du second procès. Pèsent de plus sur cette situation deux données spécifiques au contexte : l’instabilité ministérielle et les difficultés économiques. En effet, l’examen des recours engagés, révision et grâce est, selon l’expression de Me SCHMIDT dans sa lettre du 30 août, ralentie par “ la cascade de ministères qui se succèdent ”. D’autre part, les défenseurs de PHILIPPOT, avocats ou membres de comités de soutien, font fréquemment référence à la nécessité de limiter les déplacements, pour réduire la charge financière de la campagne menée. Même le nombre des “ témoins à décharge ” en vue du procès de Nancy sera diminué, “ en raison de la longueur du déplacement et pour réduire les frais ”.

L’avocat comme les soutiens de PHILIPPOT doivent de plus entretenir le dialogue avec lui. Manifestement, la lenteur des procédures comme une certaine incompréhension face à certaines décisions provoquent chez lui des décisions qui perturbent la stratégie de la défense. C’est ainsi que le lendemain de son transfert du 26 août à Nancy, en vue du procès d’Assises, il prend la décision unilatérale de commencer une grève de la faim, dont il avertit le Procureur général de Nancy, son avocat et son camarade BOLZAN (annexe n°52). Ceci est manifestement peu apprécié de ses défenseurs. Me SCHMIDT, dans sa lettre du 30 août à SIMON, estime qu’il ne peut “ que lui déconseiller formellement ”,  que celle-ci risquerait “ d’indisposer les fonctionnaires chargés de l’étude du dossier ”. L’initiative est tout aussi fraîchement reçue par Robert SIMON : dès le 28 août, s’exprimant au nom du Comité de l’Yonne, il demande à PHILIPPOT de “ renoncer ” à cette grève. A des arguments de raison (transfert lié à la décision de la Cour de Cassation, inutilité d’une grève coïncidant avec une vacance gouvernementale), il ajoute une réflexion révélatrice d’un décalage entre PHILIPPOT et ses soutiens : l’assertion ‘“ nous qui sommes à l’air libre nous savons mieux ce qu’il convient de faire pour toi, car j’imagine que tu es privé d’informations sur tout, y compris sur ton propre cas… ”’. La brutalité du propos, le dessaisissant totalement de sa défense, le réduisant au rôle de spectateur passif de sa propre histoire, ne pouvait que susciter chez quelqu’un privé de liberté depuis plus de deux ans une réaction désespérée, ceci d’autant plus qu’il a manifesté pendant la totalité de la période considérée sa difficulté à conserver l’espoir de façon continue.