5- Une situation mal vécue par le détenu :

Des dix lettres écrites par PHILIPPOT au cours du printemps et de l’été 1948 et qui nous sont parvenues, huit sont adressées à son camarade et ami Victor BOLZAN qui fut directement à l’origine des premières initiatives en sa faveur. Ces lettres (annexe n°53) manifestent à la fois la reconnaissance envers ses camarades et une amertume qui s’exprime par des reproches, des interrogations. De toute évidence, la rencontre d’une histoire tragique et d’un caractère quelque peu difficile et ombrageux font de PHILIPPOT une victime délicate à défendre.

A plusieurs reprises, s’exprime le reproche de ne pas avoir été défendu plus tôt. Le 17 avril, il remercie BOLZAN de ne pas avoir “ complètement oublié que depuis trois ans un de (ses) frères d’armes pourrit en prison ”. Alors que tout ce qui précède insiste sur ses difficultés matérielles et morales, le terme “ complètement ” touche au cœur de la question du retard des entreprises en faveur des résistants emprisonnés, réduits à se “ débattre comme un crabe dans un bénitier ” selon l’expression utilisée par PHILIPPOT. Il revient à la charge, pour la dernière fois, sur cet aspect du problème dans sa lettre du 18 mai, là encore en pratiquant l’euphémisme, en signifiant à ses défenseurs qu’ils s’y sont “ pris un peu trop sur le tard ” pour s’occuper de lui.

A l’égard des actions engagées, il manifeste à la fois le sentiment d’être impuissant et dessaisi, et une certaine perplexité sur leur efficacité, sur fond de profond pessimisme sur lui-même. A plusieurs reprises, notamment dans ses lettres des 13 mai, 3 et 18 août, il fait état de sa déchéance physique et morale, tout en affirmant parfois qu’il va bien comme les 7 mai et 21 juillet, faisant même référence, le 18 août à l’ouverture de la chasse qu’il ne pourra pas faire. Cela traduit sans nul doute, chez PHILIPPOT, l’alternance de périodes d’espoir, suscitées par le moindre signe positif et de plongées dans un noir pessimisme nourri d’affaiblissement physique et d’isolement. C’est alors qu’il exprime le plus fortement les doutes sur la stratégie menée. Lui, l’ancien militant, semble douter de l’efficacité de la mobilisation. Dans sa lettre du 13 mai, il s’exclame : ‘“ Vous me parlez d’une grande campagne de presse en ma faveur. Que voulez-vous que cela fasse à la justice ? A mon avis, il serait préférable que les démarches soient faites auprès de Mr THIBAULT, commissaire du gouvernement, de Monsieur Jean BOUCHARD, juge d’Instruction et du ministre de la Justice. A ce sujet, Me SCHMIDT, mon défenseur, est de mon avis ”’. Cette dernière assertion semble d’ailleurs exprimer le difficile dosage entre les différentes formes d’action et de l’évaluation de leur influence. Militants et avocats ont naturellement une perspective décalée, PHILIPPOT étant au centre du dispositif, ne maîtrisant rien.

Il exprime d’ailleurs ce dessaisissement de fait de ce qui est fait en sa faveur avec quelque agressivité. Dès le 7 mai, alors que la campagne de soutien et de collecte de témoignages ne fait que commencer, il s’adresse en ces termes à Victor BOLZAN : “ Ma mère me dit aussi que vous entrez en campagne, j’aimerais bien être fixé, de quoi est-il question ? ”. Il revient sur la question dès le 13 mai en demandant d’être tenu “ au courant avec précision de vos démarches ”. S’il nuance souvent le propos en réitérant ses remerciements et ses marques de confiance, ceci manifeste sa difficulté, comme celle de ses défenseurs, à être en permanence en phase. La réaction de Robert SIMON à sa grève de la faim confirme d’ailleurs cette difficulté. Celle-ci procède bien sûr des données matérielles, éloignement, disponibilité des militants, mais on peut se demander si ces derniers, convaincus que son enfermement prive PHILIPPOT de la capacité à saisir les données de son combat, ne tendent pas à s’approprier ce qui est à faire.

Le sentiment d’impuissance et de coupure est renforcé par son isolement physique : le 3 août, il s’adresse en trois missives à BOLZAN, au Commissaire du gouvernement et au Procureur de la République pour demander de ne plus être seul en cellule, conformément au régime des condamnés aux travaux forcés.

Enfin pèse sur lui une manifeste misère matérielle. Le 26 mai, il sollicite Victor BOLZAN. Il souhaite qu’il trouve ‘“ une association qui pourrait (lui) envoyer un costume, car (il) sai(t), l’administration ne (lui) fourni(t) pas d’habit et tout ce qu’(il) possède est hors d’usage. A toute fin utile, (il lui) donne (ses) mesures, car (il) pense passer bientôt au tribunal ”’. Suit alors une longue liste de mensurations. Il réitère ses demandes, pour des chaussures cette fois. Dans le même ordre d’idées, il sollicite à plusieurs reprises l’envoi de colis alimentaires, ou d’argent liquide pour payer ses timbres.

Ainsi s’esquisse la figure d’un homme passé en quelques mois des geôles allemandes à celles de la République, oublié pendant deux ans et demi, et qui se retrouve brutalement au centre d’une campagne de soutien qui lui apporte espoir, suscite soulagement et reconnaissance, mais provoque une certaine amertume, nourrie de difficultés matérielles et affectives et suscitée par le sentiment d’être dessaisi de son combat.