IV- LE PROCES DE NANCY

1-Inculpés et chefs d’inculpation

Se superposant aux procédures en cours à propos de l’affaire PHILIPPOT, demande de révision, de libération, cassation, intervient le 8 juillet 1948 un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui stipule :

‘“ Vu la transmission de ladite demande de renvoi faite à la Cour par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE,…attendu qu’il existe au procès des motifs suffisants de renvoi pour cause tant de suspicion légitime que de sécurité publique ; ordonne que les susnommés PHILIPPOT, RICHARD, femme ACOUR, COLLAVINO, femme DUBAIL, GOBILLOT, NEYRINCK, PALAZZI, PAREL, PERRIER, PERRON, PIGUET, femme RAMAGE, RAVO, seront traduits devant la Cour d’Assises de la Meurthe-et-Moselle pour y être jugés sur les accusations portées contre eux- vols qualifiés, complicité, recel de vols qualifiés- par l’arrêt de la Chambre des Mises en Accusation de la Cour d’Appel de Dijon, en date du dix-sept juin 1947 ”.’

De ce fait, PHILIPPOT se retrouve inculpé pour une nouvelle affaire, alors que les procédures suivant la condamnation de 1945 se poursuivent. Cette fois, il ne s’agit plus d’accusations de dénonciation et d’assassinat mais de “ vols qualifiés ”. Le contraste apparaît d’emblée entre la lourdeur des accusations de 1945, avoir livré aux Allemands l’adjudant BOCHER, mort en déportation et exécuté sans motif Alice BITOUZET, et des affaires de prélèvements et réquisitions dissimulant des “ vols qualifiés ”. La liste des objets volés inclut de façon quelque peu triviale du lard et des fromages.

Une autre différence significative est ici le caractère collectif de l’accusation puisqu’il s’agit de huit personnes qui sont associées à PHILIPPOT. Or la liste présente de fortes singularités, qui donneront au procès une résonance particulière : six des inculpés furent déportés, dont trois ne revinrent pas des camps de la mort, COLLAVINO, NEYRINCK, PIGUET. Sans vergogne, en 1948, des procès sont donc intentés à des fantômes des camps de la mort. Parmi les trois autres figurent GOBILLOT et PALAZZI, fondateurs avec Henri CAMP du maquis BOURGOGNE, officiers FFI, déportés. Cet aspect amène quasi inévitablement la défense à mettre l’accent sur la dimension de victimes de la majorité des inculpés, s’indignant à juste titre de la présence dans l’arrêt de la Cour de Cassation de victimes du système concentrationnaire. Pour sa part, l’importance des accusés survivants exclut une interprétation limitant les faits à des dérives marginales, dues à des desperados incontrôlés.

Telle qu’elle est formulée, l’accusation apparaît donc banale, portant sur des faits dérisoires par rapport aux enjeux de tant de procès d’après-guerre et au rôle des inculpés ; décalée par sa forte postériorité aux faits ; déplacée, tant la référence à l’ordre public de l’arrêté de renvoi peut surprendre, concernant des morts ou des survivants, dont l’un est déjà aux mains de l’appareil carcéral.

De ce fait, la campagne d’opinion autour du procès en faveur des inculpés put se déployer en portant quasi exclusivement sur ces aspects, en se gardant bien d’affronter la réalité des questions soulevées sur les difficultés internes de la Résistance.

L’autre conséquence est que les débats autour et dans le procès portèrent plus sur des questions déjà jugées, comme les chefs d’accusation contre PHILIPPOT de 1945 ou plus globalement l'attitude de l’appareil judiciaire pendant et après la Libération. De ce fait ce procès, bien au-delà de ses propres enjeux, touche à des questions majeures de la période.