Le témoignage de Guy CHEVALIER, aux procès de 1948 et 1950, comme aujourd’hui, se veut dégagé de toute passion partisane et vise, plus qu’à juger les accusés, à défendre, protéger la figure d’un “ chef vénéré ” 1 , Henri CAMP, chef du groupe Henri BOURGOGNE, “ grande et belle figure ” de résistant. “ Socialisant ”, Henri CAMP a organisé avec le maire des Laumes le soutien à l’Espagne républicaine. Il fait partie de ces patriotes qui récupèrent des armes abandonnées au cours de la débâcle et organise l’évasion de soldats prisonniers depuis des camps provisoires comme celui de Massène. Ayant fondé une scierie près de Semur-en-Auxois, fabricant des meubles, il possède un véritable réseau personnel de braconniers, bûcherons et clients urbains qu’il utilise, venu le temps de la Résistance. Lié au BOA de Dijon, il organise plusieurs parachutages dès 1942. A partir de juin 1943, il est lié au réseau Jean-Marie BUCKMASTER. Il tombe le 3 août 1944, lors des combats de Lantilly, avec 22 de ses hommes. Avant de devenir son garde du corps et agent de liaison, Guy CHEVALIER est instituteur aux Laumes. Menacé par le STO (il appartient à la classe “ 43 ”), il quitte son poste le 15 juin 1943, rejoint Henri CAMP avec d’autres réfractaires recrutés à Genay, près de Semur-en-Auxois, sa région d’origine. Pour l’essentiel sa déposition reprend les termes de l’accusation, portant sur des exactions présentées comme des réquisitions exécutées sous ordre de CAMP, de novembre 1943 à février 1944, par un groupe de dissidents auquel PHILIPPOT aurait appartenu. Il témoigne tout en insistant sur le fait qu’il tient plus à défendre l’action de son chef qu’à accabler les prévenus. Sur les faits, il confirme l’arrivée de PHILIPPOT au groupe Henri BOURGOGNE en octobre 1943, considère, contrairement à l’accusation lors du procès de 1945, que l’exécution d’Alice BITOUZET se fit “ sans opposition de la part d’Henri CAMP ”, “ que ce ne fut pas une opération dissidente ”. La prudence de la formulation ne permet pas de faire toute la lumière sur cette affaire. Comme la quasi-totalité des témoignages, Guy CHEVALIER considère que la victime, par ses liens établis avec la Gestapo de Dijon et la Kommandantur de Montbard à laquelle la reliait une ligne téléphonique directe, faisait régner une réelle menace sur la résistance semuroise. Il ne se prononce pas sur la question de l’origine de l’initiative de cette exécution, CAMP ou PHILIPPOT, tout en se souvenant de l’approbation a posteriori, par son chef. Cette prudence contribue à crédibiliser son témoignage sur des points où il est affirmatif. Sur les circonstances de ce qu’il qualifie de “ dissidence ”, Guy CHEVALIER se souvient que :
‘“ Le 31 octobre 1943, H. BOURGOGNE est délogé du Mont Drejet. Par prudence, le maquis de Beauregard émigre sur la ferme abandonnée de Censey (entre Courcelles-les-Semur et Semur). Je suis présent avec une dizaine de “garçons” dont PHILIPPOT-LA DRAGEE. Le 3-11, à un jour près, ce groupe reçoit l’ordre de regroupement général à Villaines-les-Prévôtés (grottes, failles dans la falaise, froides). Philippot, j’affirme, n’a pas suivi , et sa propre aventure a commencé ” 1 .’Se penchant alors sur le pourquoi de cette coupure, il estime que si “ certains n’avaient pas besoin de l’omniprésence du patron pour poursuivre sainement l’action ”, “ d’autres semblaient n’attendre qu’une période difficile pour “poser le harnais”, pour écarter l’autorité et vivre leur vie autonome… ”. Parmi ces “ autres ” se trouve PHILIPPOT que CHEVALIER perçoit comme un “ cul fou ”, expression locale désignant un personnage fantasque, difficilement contrôlable. Commence alors, selon lui, la dérive d’un groupe de quelque personnes, qualifiées d’“ oisifs égarés ”, “ gourmands et paresseux ”, qui auraient vécu d’“ expéditions lamentables ”, n’ayant rien “ de patriotiques ” et installant “ doute et peur dans la population ”. De ce témoignage prudent et précis lorsqu’il le peut ressortent trois points majeurs : les faits sont liés à des circonstances difficiles du groupe Henri CAMP : dispersion et regroupement début novembre, puis le 11 du même mois ; décision de CAMP de disperser le temps de l’hiver tous ceux qui disposent d’un “ refuge normal ”. Il ne garde à sa disposition qu’un groupe franc de huit-dix hommes, “ les plus visés par l’ennemi et qui ne disposaient pas de refuge sûr ”.
S’il s’agit pour certains de “ poser le harnais ”, c’est bien qu’ils l’ont porté, qu’un homme comme PHILIPPOT, on l’a vu, vit depuis près de deux ans l’énorme pression du combat contre l’occupant. La sévérité de l’appréciation de Guy CHEVALIER, nourrie du souci constamment réaffirmé de préserver l’image pure de la Résistance auprès de “ l’opinion semuroise ”, n’exclut pas des nuances, certains membres du groupe faisant l’objet d’un jugement plus balancé, comme Paul GOBILLOT “ resté digne au sein de la débâcle morale ”, LEQUIN “ pas faux résistant ” et même Roger RICHARD, suspecté par CHEVALIER d’avoir “ dénoncé un gars et un dépôt ” après son arrestation du 21 février 1944, se voit reconnaître un comportement “ héroïque ” à Buchenwald. Le contraste est donc marqué entre la sévérité sur les comportements et l’introduction d’éléments explicatifs qui autorisent une approche plus distanciée des personnes.
Courrier du 24 novembre 1997, entretien du 28 janvier 1998.
Lettre du 24 novembre 1997.