3- La position distanciée du lieutenant-colonel PIERRET (annexe n°56 bis)

Entre les camps constitués agressivement autour du cas PHILIPPOT, se distingue la position exprimée par lettre par PIERRET, ancien chef de l’AS de Lorraine. Cité par la défense, il ne connaît pas le contexte des faits et a appartenu à un autre dispositif organisationnel. Il se prononce donc de façon prudente. Il veille à “ rappeler l’atmosphère dans laquelle se sont déroulés les faits ”, constatant la nécessité “ de recourir à des prélèvements d’argent et de vivres ” pour “ des individus ou des groupes ” se trouvant “ isolés ”. Il n’en estime pas moins que les inculpés doivent être “ considérés comme des délinquants de droit commun et jugés comme tels ” s’ils n’ont pas “ obéi à des ordres ”, s’ils n’ont pas eu “ une action réelle contre l’ennemi ” et s’ils n’appartenaient pas “ à des unités de résistance régulièrement constituées ”. Par ailleurs, estimant ‘“ que ce serait faire insulte pour les morts que de mettre sur les plateaux de la balance d’une part l’argent et des kilos de lard, d’autre part les cadavres de ceux qui ont été fusillés ou ne sont pas revenus de déportation ”’, il tient manifestement à relativiser la gravité des faits reprochés aux inculpés, sans pour autant exclure qu’ils relèvent des situations délictueuses qu’il a décrites. Cette déposition, d’une hauteur de vue certaine, pose néanmoins problème. La mise en vis-à-vis finale entre deux situations qu’il refuse de “ mettre sur les plateaux de la balance ” indique clairement qu’il connaît la réalité des faits reprochés, en particulier celui du vol de lard. Cet aspect revient très fréquemment chez les témoins. Cela va probablement au-delà des seules réalités matérielles, pour toucher probablement à une dimension symbolique. Pour le témoin la gravité de ces faits pèse peu, eu égard aux drames vécus par des proches des inculpés. Par contre, sa distinction entre les situations d’actions légitimes et d’actes délictueux se situe sur le même terrain que le camp de l’accusation ou celui de la défense : leur point d’accord est de traiter les hommes, les groupes comme porteur d’une homogénéité de comportement au cours de tout le processus libérateur, excluant ruptures, déviances, rectifications. Cette attitude, dont il n’est aucunement question de contester la grandeur, fonde ce qui fut et reste bien souvent une constante des mouvements et organisations, une image mythifiée du fait résistant. Croyant ainsi se protéger contre tous ceux qui, ouvertement ou insidieusement, visent à mettre en cause la légitimité et la grandeur de l'engagement résistant, ils contribuent en réalité à affaiblir ce qu’ils croient ainsi défendre, tant l’effondrement d’un mythe, inévitable, ouvre la voie à toutes les mises en doute, y compris les plus sinistrement négationnistes.