6- Une campagne à deux objectifs

Les traces écrites et les souvenirs des quelques survivants, comme Robert LOFFROY ou Robert SIMON, tous deux militants communistes de l’Yonne ou Robert SERAUT de Saône-et-Loire convergent pour indiquer qu’à partir du procès de Nancy, l’axe de la campagne menée par le Comité PHILIPPOT, relayée par France d’abord s’organise autour de deux objectifs : obtenir la libération du seul détenu du “ groupe de Semur ”, à la suite d’une grâce présidentielle, et constituer un dossier permettant de mettre en cause les magistrats, les juges BOUCHARD et VOISENET en particulier, qui ont eu à traiter du cas PHILIPPOT pendant et après la guerre, donc au service de l’Etat vichyste comme de la République restaurée.

La campagne pour obtenir la libération de PHILIPPOT est principalement initiée et portée par ses proches compagnons. Dès novembre 1948, GRILLOT, PROUDHON, PALAZZI (annexe n°57) s’adressent ce sens à Robert SIMON. Bien au-delà de ce que chacun peut savoir et penser de ce que fut l’hiver 1943-1944 dans la région de Semur, tous les représentants de la Résistance de l’Yonne, regroupés dans un Comité d’entente, prennent position dès le 20 novembre. A l’appel à la libération des patriotes emprisonnés, PHILIPPOT et ROUSSEAU, mis en exergue, est intégrée une prise de position sur les enjeux prolongés de l’affrontement entre forces résistantes et “ ennemis de la France ”. Ce texte est significatif à deux titres. Le soutien sans réserve apporté à PHILIPPOT et autres emprisonnés manifeste que pour des hommes comme le commandant HERBIN, fondateur à Joigny (Yonne) du groupe Bayard, qu’il affilia successivement à Libération-Nord puis au réseau SOE-Buckmaster tout en coopérant, en toute autonomie, avec les FTP de Migennes, les circonstances mises en cause lors des procès passent bien après la nécessité de défendre ce qu’il considèrent comme l’héritage de leur engagement. Il est suivi en cela par des hommes comme le capitaine ANTIER, lui aussi lié au SOE ou les responsables du National maquis et de l’Amicale des réseaux, tous peu suspects d’être de près ou de loin liés au PCF. Par ailleurs, l’intitulé même du texte relève d’une mythologie résistante complètement déconnectée des enjeux politiques de 1948, dominés par l’éclatement de la guerre froide et la rupture du tripartisme au sein duquel cette mythologie avait pu naître et s’épanouir. L’appel à l’union “ autour de la Résistance ”, de tous “ les patriotes du département, sans distinction de parti, d’opinion religieuse ou philosophique ” quelques semaines après que l’ancien dirigeant de Libé-Nord Robert LACOSTE, alors ministre de l’Industrie, s’en soit pris aux mineurs, que son collègue de l’Intérieur ait lancé les CRS contre les mêmes mineurs plongés dans une grève brutale, désespérée, montre la force de ce mythe, organisé autour de l’idée d’unité et du rappel quasiment incantatoire d’un programme du CNR et de son abandon.

Néanmoins, la campagne trouve un point d’ancrage dans la réalité qui est la venue à Auxerre, pour l’inauguration d’un monument érigé en mémoire des victimes de la guerre, du président de la République AURIOL, homme qui a toujours manifesté son attachement à la Résistance et à ses acteurs. Cette visite, initialement prévue pour septembre 1948 fut repoussée au printemps 1949, certains comme Robert SIMON y voyant le souci de prendre distance avec la campagne précédant le procès de Nancy. Le projet qui naît est alors d’obtenir du président une grâce pour un homme dont le patronyme figure à trois reprises sur le monument à inaugurer. En conclusion d’un long dossier (annexe n°58) qui reprend point pour point les circonstances de l’histoire de PHILIPPOT, comme l’avait fait la défense au procès de Nancy, Robert SIMON demande donc au président de ‘“ rendre à sa famille l’ancien résistant, l’ancien interné Emile PHILIPPOT ”’, au nom des “ traditions démocratiques et humaines ” retrouvées par le pays “ avec la Libération ”. Si le texte exprime un profond respect à l’égard du président, la campagne d’opinion menée à Auxerre fait planer la menace d’une action de comité PHILIPPOT lors de l’inauguration 1 . Suite à des négociations, la cérémonie se passe paisiblement et Vincent AURIOL gracie PHILIPPOT.

Simultanément à la campagne en faveur de la libération de PHILIPPOT, vigoureusement relayés par France d’abord, ses soutiens locaux tentent de porter devant l’opinion et devant la justice le cas de deux magistrats ayant siégé en Bourgogne, les juges BOUCHARD et VOISENET. De nombreuses traces écrites (annexe n°59) témoignent du travail de recherche de témoins ayant eu affaire à ces deux magistrats pendant l’occupation, afin de mettre en exergue la présence dans les juridictions de la République rétablie d’hommes ayant contribué au combat contre les résistants. Cette dimension, dont nous verrons plus loin qu’elle fait partie des questions majeures soulevées par l’affaire PHILIPPOT, ne débouche pas. Les plaintes déposées, notamment par Mme PHILIPPOT, mère d’Emile, Robert SERAUT, pourchassé par le juge BOUCHARD à Chalon-sur-Saône en 1942 et Pierre NEIRYNCK, au nom de son père Maurice, résistant, mort en déportation, jugé cependant à Nancy, ne donnent rien.

Notes
1.

Entretien 23 novembre 1995.