1-2- La Brigade de Gendarmerie de Semur-en-Auxois : l’affaire BOCHER et le rôle du capitaine NOBLE :

Le parcours de PHILIPPOT rencontre à deux reprises cette brigade de Gendarmerie : lors du procès de 1945, il est accusé d’avoir dénoncé, pendant sa période de détention de février à septembre 1944, l’adjudant BOCHER, adjoint du capitaine NOBLE, commandant la brigade. Arrêté par les services allemands de Dijon, déporté, l’adjudant BOCHER ne revint pas des camps. A Nancy, dans le procès d’Assises du “ groupe de Semur ”, l’accusation soutien la thèse que PHILIPPOT et ses camarades furent arrêtés par les gendarmes de Semur, à la demande d’Henri CAMP, exaspéré de voir l’image de son maquis entachée. Une telle thèse s’appuie sur l’affirmation que le capitaine NOBLE était lié avec CAMP et l’IS, jouait double jeu, connaissant, couvrant et aidant en sous-main la résistance de Semur.

Ces deux circonstances de l’histoire de PHILIPPOT touchent à la question complexe du rôle des gendarmeries locales, instrument répressif de l’Etat vichyste mais souvent amenées, du fait de leur immersion dans une population peu à peu gagnée à la Résistance, à nouer des liens avec des groupes de résistants locaux et avec des réseaux comme le SOE. Au cœur de ces circonstances, on trouve donc le capitaine NOBLE, acteur et témoin, mis en accusation par les soutiens de PHILIPPOT. Du travail de recoupement des témoignages divers concernant NOBLE, on peut dégager quelques certitudes et reconnaître des coins d’ombre. Que NOBLE ait participé sans rechigner à des opérations contre des maquis n’est en rien contestable. Trois situations au moins le voient en action : contre des résistants venus de Saône-et-Loire 1 , dans l’exécution de deux combattants russes, soldats de l’Armée rouge prisonniers évadés appartenant au maquis de l’abbé NOEL à Quincy-le-Vicomte et dans l’opération qui aboutit à la mort au combat du “ père MATHIOT ” lié au maquis FTPF Vauban (annexe n°61). Deux de ces trois circonstances ont en commun de concerner des maquisards relevant du dispositif FTPF. Il est par ailleurs l’auteur d’un rapport classé 28/4 “ secret ”, du 26 octobre 1942, adressé aux autorités allemandes de Dijon, chef régional des SS et Feldkommandantur, faisant état de l’échec d’une souricière tendue aux destinataires, en gare de Laignes, de “ 4 colis de tracts communistes ”, le destinataire, un dénommé LARAIT (en réalité Robert SERAUT de Saint-Jean-des Vignes en Saône-et-Loire), ayant “ pris la fuite ” 2 (annexe n°62). Tout ceci révèle pour le moins une certaine constance dans la chasse à certaines forces résistances, en l’occurrence FTPF, là où certaines autres unités de la gendarmerie font preuve d’une plus grande passivité. En contrepoint, les témoignages d’habitants de Semur-en-Auxois, de témoins à charge comme Guy CHEVALIER ou de soutiens ou compagnons de PHILIPPOT, comme Paul GOBILLOT, PALAZZI (par ailleurs beau-frère de NOBLE) ou Roger RICHARD attestent de ses liens avec Henri CAMP, chef du groupe Henri BOURGOGNE, agent (le terme est pris ici dans son sens le plus neutre d’élément d’un réseau) du War Office et de sa connaissance des réalités et activités de la résistance à Semur-en-Auxois. S’ajoutent de fréquentes références à son intempérance, qu’il partage avec le fils de l’adjudant BOCHER, gendarme à Semur. Robert LEQUIN, dans son témoignage au comité PHILIPPOT du 16 juillet 1944, estime que “ jusqu’à preuve du contraire ”, NOBLE est “ un honnête homme ”, qu’il boit depuis la mort de sa femme mais que s’il avait été un dénonciateur, “ la moitié de la ville aurait été arrêtée ”, qu’il “ était à peu près au courant de tout, connaissant les patriotes, les réunions, les trafics d’armes ” et que “ personne ne se gênait devant lui ”. La mise en vis-à-vis de ces deux dimensions de l’action du capitaine NOBLE pose problème et l’explication classique du double jeu ne saurait être satisfaisante. L’hypothèse probablement la plus proche de la réalité est qu’à l’intérieur du gigantesque affrontement entre Alliés et forces de l’Axe, s’emboîtaient d’autres conflits secondaires, NOBLE menant dans une certaine cohérence la lutte contre l’occupant allemand tout en s’appuyant sur ce dernier pour détruire les résistants identifiés comme communistes.

Restent deux points d’ombre dans le rôle de NOBLE, directement liés à l’histoire de PHILIPPOT : celui de son rôle éventuel dans l’arrestation de son adjoint BOCHER père le 15 avril 1944 et dans celle de PHILIPPOT, en février 1944. La première circonstance constitue le principal chef d’inculpation de PHILIPPOT lors de son procès de 1945. On l’a vu : accusé de trahison pour avoir dénoncé aux Allemands ce sous-chef de la brigade de Gendarmerie de Semur, responsable de sa déportation à Dachau et de la mort qui s’en suivit, PHILIPPOT est condamné pour cet acte à 20 ans de travaux forcés par la Cour de Justice de Dijon, après que le procureur VOISENET ait requis la peine de mort, NOBLE étant le principal témoin à charge. Or de forts éléments d’information rendent cette responsabilité de PHILIPPOT, même sous forme d’aveux sous la torture, hautement improbable. Lors du procès du SRA de Dijon, en 1946, l’Oberstürmführer de la Gestapo dijonnaise Ludwig KRAMER reconnut qu’au cours de l’interrogatoire de PHILIPPOT, il ne fut pas question des gendarmes de Semur, précisant que la surveillance des services de gendarmerie relevait de son collègue HULF. Lors de son interrogatoire, celui-ci déclara que BOCHER père avait été arrêté par la Gestapo après un rapport du lieutenant-colonel BARTHUET, de Dijon, exécuté par les FFI lors de la libération de la ville, alors qu’il s’apprêtait à fuir avec les Allemands. Ce témoignage est recoupé par celui de Paul GOBILLOT, déporté à Dachau, rapportant que BOCHER faisait état de sa conviction d’avoir été “ dénoncé par ses chefs ”. Si la responsabilité finale de l’officier dijonnais semble établie, reste la question de la nature de son informateur. Le témoignage, transmis le 28 juin 1948 au Comité PHILIPPOT par le gendarme BIDEAUX de la brigade de Gevrey-Chambertin, ancien du maquis Tabou, après avoir salué “ l’action magnifique ” de PHILIPPOT, fait état de deux circonstances troublantes : l’arrestation par la Milice, début 1944, du fils BOCHER “ porteur de documents compromettants ”, sa libération “ le jour même ” et la convocation, en avril, de NOBLE, BOCHER père et fils à la Gestapo de Dijon, seul BOCHER père étant retenu puis déporté. Le déplacement d’office, après la Libération, du fils BOCHER, la mise à la retraite de NOBLE, contribuent à faire planer un doute sur le rôle des deux hommes, ou bien d’un seul, dans l’arrestation de BOCHER père. Robert LEQUIN, dans le témoignage déjà cité, émet une opinion peu favorable au fils BOCHER, que son intempérance rendait “ dangereux ”, tant “ il ne se rendait pas toujours très bien compte de la portée de ses paroles ”. Pour sa part, M. HORLACHER, lui aussi ancien du groupe Henri BOURGOGNE, témoigne le 9 septembre 1944 de sa circonspection à propos de l’hypothèse d’une responsabilité de BOCHER fils, qu’il considère comme “ un peu simple, bluffeur, de par son âge, mais donnant l’impression d’un bon patriote ”. D’autres témoignages font état du rôle d’un troisième personnage, dénonciateur de BOCHER père, NOBLE n’ayant eu comme seul rôle celui d’exécuter l’ordre d’amener son adjoint au bureau du lieutenant-colonel BARTHUET à Dijon, d’où il fut livré aux Allemands. Le doute reste donc sur l’origine de la dénonciation de BOCHER père ; tout au moins ces éléments convergent pour innocenter PHILIPPOT. La seconde circonstance qui met en vis-à-vis ce dernier avec NOBLE est son arrestation de 1944 et sa remise aux mains des services policiers de Dijon. L’incertitude porte sur l’origine de l’initiative. Si les partisans de PHILIPPOT focalisent l’attention sur NOBLE, Guy CHEVALIER, lieutenant de CAMP, soutient que c’est sur ordre de ce dernier, décidé à défendre l’image son maquis, que les gendarmes de Semur ont arrêté celui qu’il considérait comme un dissident. Ils ne pouvaient soupçonner, selon CHEVALIER, qu’il serait remis aux Allemands.

Ainsi, il apparaît que PHILIPPOT, au cours des différentes étapes de son parcours résistant, se trouva au cœur du jeu complexe, confus, mettant en mouvement police et gendarmerie françaises, forces de répression allemandes, services alliés et organisations résistantes. Pour ce qui est des premières, il ressort, notamment à travers le personnage du capitaine NOBLE, qu’en de nombreuses circonstances elles contribuèrent à la chasse à certains maquisards, tout en ménageant des relations avec d’autres, confirmant en ceci qu’à l’intérieur de l’affrontement majeur, se nouaient, se jouaient d’autres conflits, liés aux enjeux politiques internes à la France.

Notes
1.

Il s’agit notamment d’Henri ROY, agent de liaison de FERRAND, pris dans une embuscade montée par NOBLE, à Fontagy en Côte-d’Or le 23 mai 1944. Cité à l’ordre de la division, ordre général n°3 de la 7eRM du 12 février 1947, référence n° 2097/FFCI.

2.

Témoignage de Max NEVERS, entretien cité.