3-Après le débarquement, en un territoire quasiment libéré

Le débarquement de Normandie et la mise en œuvre du Plan vert concernent directement le groupe MARIUS : sa base de Saint-Bonnet-en-Bresse est en effet située au carrefour des deux lignes ferroviaires Chalon-Dole et Dijon-Bourg.  “ A partir de ce jour, ce ne fut qu’embuscades et guerilla ” : les deux axes cités sont fréquemment coupés, ce qui oblige l’ennemi à faire venir un train blindé pour tenter d’en assurer la sécurité. Selon son témoignage, confirmé même par ceux qui le condamnent le plus sévèrement pour des faits ultérieurs, son groupe passe d’environ trente hommes début juin à environ 150 deux semaines plus tard, pour culminer à 450 hommes au mois d’août. Devenu  Compagnie Saint-Rémy  début juin, le groupe MARIUS est alors le  Bataillon Saint-Rémy , fort de ses trois compagnies. Cette ample et brutale mutation s’explique par plusieurs facteurs. Le 25 juin, un parachutage massif, destiné aux maquis de Bresse et du Jura, est organisé à 9 heures du matin, à Lays-sur-le-Doubs, près de Charrette. Un double message de Londres l’a annoncé, le 24 à 20 heures : “ le dromadaire a deux bosses, 432 tirailleurs sénégalais viendront avec x cartouches, suite à 21 heures ”, puis, à l’heure prévue, “ 432 tirailleurs sénégalais viendront demain avec chacun trois cartouches ”, ce qui indique le nombre de conteneurs, la date et le lieu de parachutage. 100 tonnes de matériel sont ainsi larguées à l’heure dite ; à midi tout est réparti. Pour la Bresse, VIC et son adjoint GUIGUET-CONDE, ancien commandant de la brigade de gendarmerie de Louhans, attribuent aux différentes unités une part proportionnelle à leur activité. MARIUS est alors suffisamment doté pour ouvrir largement son groupe à tous ceux qui veulent y “ monter ” 2 et participer aux combats de la libération. A cet élément matériel correspond manifestement dans la population, en particulier chez les plus jeunes, le vif sentiment que cette Libération est proche, et qu’il faut en être. C’est pourquoi MARIUS, de chef d’une bande réduite, se retrouve à la tête de plus de 400 hommes, constitués en trois compagnies,(annexe n°71) dotées d’une capacité opérationnelle importante, aptes à contrôler le territoire constitué par le quadrilatère Verdun-sur-le-Doubs/Pierre-de-Bresse/Saint-Martin-en-Bresse/Saint-Bonnet.Au sein de ces unités, il développe une politique intense de formation au combat.

Profitant de la présence de militaires de carrière ou d’anciens des combats de 1939-1940, il axe la formation de ses maquisards autour des principes essentiels de la recherche de l’efficacité et de la sécurité. Cet impératif s’impose d’autant plus qu’il s’adresse à des maquisards dont la grande majorité n’a jusque là reçu aucune instruction militaire, du fait de leur âge en 1939. La modestie relative des pertes des hommes de MARIUS, compte tenu de l’ampleur des engagements, résulte probablement de ces données. Elles s’établissent officiellement, selon l’Histoire des unités combattantes de la Résistance du général de la BARRE de NANTEUIL, à 40 tués du 1er mars au 11 septembre 1944, 26 morts au combat, 11 fusillés, 3 morts en déportation. La formation permet aussi de briser l’ennui qui inévitablement taraude l’esprit de jeunes combattants n’ayant pas tous les jours un combat à affronter, un sabotage à réaliser. Aussi, cette mobilisation permanente permet d’assurer au mieux la discipline. Ce point, concernant le Bataillon Saint-Rémy, fait d’ailleurs l’objet de controverses. Si son ancien chef se réclame aujourd’hui d’une “ discipline très dure ”, lui permettant d’“ avoir ses hommes bien en main ”, ceux qui véhiculent une image unilatéralement négative de ce maquis tendent plutôt à le présenter comme des bandes inorganisées et incontrôlées. Il faut probablement différencier contrôle et discipline. S’il garde la haute main sur la 3e compagnie, MARIUS accorde une assez large autonomie aux deux autres, ce qui fait apparaître la compagnie TEDDY comme largement autonome, puisqu’un jeune maquisard comme Henri THOMAS peut ainsi formuler son appartenance : “ je suis allé chez MARIUS, puis je suis passé chez TEDDY ” 1 .Par contre, il exige de ses chefs de compagnies d’y imposer les règles disciplinaires qu’il considère comme essentielles à la survie de son bataillon.

Le bataillon possède un réseau d’informateurs sédentaires dans son espace d’action mais aussi en dehors. Parmi eux, le patron de l’hôtel de la Poire d’Or à Dijon a manifestement joué un rôle clef. Il reçoit fréquemment des gens de la Gestapo de Dijon et, à travers lui, MARIUS dispose d’une précieuse source de renseignements. C’est ainsi qu’il fut prévenu de l’attaque du 28 juin sur Saint-Martin-en-Bresse, suite au grand parachutage du 25, visant à le briser, et que quelques jours plus tard, il put connaître le bilan des pertes pour l’ennemi, s’élevant à plus de 300 victimes. Ce sera d’ailleurs la dernière tentative directe contre l’espace contrôlé par MARIUS.

La logistique fait aussi l’objet d’une organisation apparemment sans grande faille. Disposant d’un parc d’une centaine de véhicules pris sur l’adversaire ou réquisitionnés, le bataillon peut facilement transporter hommes et marchandises. Les dossiers de remboursement des réquisitions ayant fait l’objet de bons réglementaires font état d’opérations de grande envergure. Ainsi, parmi les plus spectaculaires, figure l’interception “ sous menace des armes ” d’un convoi de fruits et légumes transportant entre autres 2,6 tonnes de pêches, 450 kg de prunes et 50 kg de citrons 1 ainsi que le délestage, le 14 juin, en gare de Saint-Bonnet, de cinq demi-muids et d’un fût de vin de Frontignan prélevés sur un train à destination de l’Allemagne 2 . L’importance des réquisitions va bien au-delà, surtout pour les denrées périssables, des besoins des seuls combattants. Cela accrédite l’affirmation de MARIUS selon laquelle il pratiquait la revente de ces marchandises, au prix de la taxe, ceci pour saper les bases du marché noir. Le témoignage d’Emile MICHAUDET, fils du maire de Saint-Didier-en-Bresse, bien que violemment hostile au chef de maquis, confirme cette réalité. Il se remémore la venue, dans la cour de la ferme paternelle, de gens du maquis vendant le vin de Frontignan. Cette pratique assure de substantielles rentrées d’argent, donc contribue à l’indépendance financière vis-à-vis des échelons supérieurs, souci permanent de MARIUS.

Après l’échec de l’offensive allemande du 28 juin, attaque concentrique dont il avait été prévenu par son antenne dijonnaise, et au cours de laquelle il profita du harcèlement sur les arrières des forces ennemies par d’autres maquis , AS comme FTPF, la zone d’action de MARIUS peut être désormais considérée comme quasiment libérée. Une preuve indirecte nous en est fournie par le recours des Allemands à un train blindé, le 22 août, pour tenter de faire sauter un dépôt d’explosifs. Il avait été imprudemment situé en lisière de bois, près du QG de la ferme de la Pyle. C’est une façon de reconnaître que les Allemands renoncent à une attaque frontale contre un territoire dont le contrôle immobiliserait trop de forces.

Ce contrôle du territoire permet à MARIUS d’instaurer à l’égard des fonctionnaires de Vichy des rapports d’autorité assez semblables à ceux que ses chefs départementaux pratiquent dans l’Ouest du département, du Clunysois à la Côte chalonnaise, mais il le fait sans en rendre le moindre compte à ses supérieurs. Ainsi, le 19 juin 1944, il envoie au président de la Commission de réception N°6 de Verdun-sur-le-Doubs cette injonction 1  : ‘“ Vous êtes considéré comme démissionnaire […] et vous êtes remplacé par une personne désignée à cet effet.[…] Je vous recommande le silence absolu car sinon, je me verrais dans l’obligation d’appliquer les sanctions prévues s’appliquant aux dénonciateurs. ”’ On mesure, connaissant la réputation de tueur sans pitié que MARIUS traînait derrière lui dans les milieux vichystes, que cette dernière formulation ne fut pas reçue comme une simple clause de style.

Notes
2.

Il a déjà été remarqué que cette formulation courante s’applique même à des régions de plaine. Il en est ainsi ici. Cela identifie le sens symbolique de cette “ montée ”.

1.

Henri THOMAS Entretien cité.

1.

AD71 W127353.

2.

AD71 W137599.

1.

AD71 W123867.