5-Combattu, arrêté, emprisonné par ses chefs

Une telle situation est inacceptable pour l’EM départemental, engagé dès juin dans le double objectif de libérer le territoire et jeter les bases de la restauration républicaine. La mise en place de structures provisoires de pouvoirs locaux ne souffre pas de dissidences.

Convoqué à Cruzille, QG départemental, en août, par GUILLAUME, il flaire une piège et l’esquive, convaincu que l’on veut l’abattre. Aujourd’hui, le chef FFI assure qu’il se serait contenté d’une sévère admonestation. Le dissident s’étant dérobé, il faut aller au-devant de lui et s’en saisir “ mort ou vif ” 1 . C’est au groupe FTPF Verdun 2 , commandé par Jules ROSSI-JULOT 3 qu’échoit la rude tâche. ROSSI absent, c’est Georges DEREPAS-MEMETTE, jeune FTP de 21 ans, qui est chargé de tendre une embuscade, à la tête de trois groupes soit une douzaine d’hommes, près de Saint-Didier-en-Bresse. Chacun souhaite ardemment éviter de voir couler le sang de résistants, du fait d’autres résistants. Les voitures de MARIUS sont bien interceptées, mais devant l’attitude extrêmement agressive de sa garde personnelle, commandée par le fidèle OTCHARENKO, MEMETTE 4 préfère renoncer plutôt que de risquer un carnage. L’échec de cette piteuse tentative ne fit que renforcer l’image de MARIUS, le confirmant dans son rejet des autres.

La question est donc repoussée à la Libération. Les circonstances de l’arrestation de MARIUS font d’ailleurs l’objet d’affirmations divergentes entre GUILLAUME, devenu le sous-préfet ROCHAT et son subordonné rebelle. Selon Claude ROCHAT, c’est dès le 11 septembre, dans Beaune libérée, que ses hommes, dirigés par le sous-lieutenant RAOUL (annexe n°72), se saisirent de MARIUS. Ce dernier oppose un démenti formel à cette affirmation. Selon lui, la tentative aurait piteusement échoué, l’escadron de chars du lieutenant GIRAUD, fils du général, qui avait participé au sein de la Ière DB à la libération de la ville aux côtés des hommes de la 3e compagnie du bataillon Saint-Rémy s’étant alors interposé, protégeant le proscrit. Celui-ci aurait suivi les unités de l’armée B jusqu’à Norges-Brétigny où il aurait finalement cédé le 20 aux instances d’OTCHARENKO pour se rendre à une convocation de ROCHAT à Chalon. Après plusieurs jours de discussions, il aurait au bout du compte été arrêté et incarcéré le 26. Il est difficile de trancher entre les deux témoignages. La signature, le 21 septembre par le Colonel Claude MONOD, commandant des Forces Françaises de l’Intérieur de la région D (Bourgogne-Franche-Comté) d’une citation à l’ordre du régiment “ du capitaine François FLAMAND ” (annexe n°70), inciterait à penser qu’il est difficilement concevable que l’on attribue cette reconnaissance à un homme détenu depuis 10 jours, mêlé dans des locaux provisoires aux collaborateurs et trafiquants arrêtés après la Libération. En réalité, elle met en lumière l’extrême confusion des pouvoirs, y compris militaires dans ces premiers temps de liberté. MARIUS ne relève en rien de l’autorité de MONOD mais de la R1, commandée depuis Lyon. Le chef dissident le confirme d’ailleurs, en faisant état, “ quelques jours après ” l’attaque du train blindé, ‘“ de la visite du colonel JABOULAY-BELLEROCHE chef des maquis de l’Ain ”’ qui était aussi, au sein de l’EM de la R1, responsable des maquis de Saône-et-Loire situés en rive gauche de la Saône. Loin de venir à l’appui des affirmations de MARIUS, la citation pose au contraire le problème de savoir à quel titre, au nom de quels faits, sur proposition de qui, le chef d’une région FFI a pu signer un tel acte à l’égard d’un homme considéré dans la région voisine comme néfaste à l’image de la Résistance. Cela révèle pour le moins de réels dysfonctionnements et contribue à relativiser la crédibilité des brevets distribués. A l’inverse, le rapport de l’expédition envoyée par ROCHAT à Beaune semble bien confirmer que l’arrestation eut lieu le 11 septembre. Par ailleurs, il était, lors de son arrestation, en possession d’une importante somme d’argent et de bijoux, ce dont il convient lui-même 1 . Comment concevoir, si les faits s’étaient déroulés comme il l’affirme, qu’un chef de maquis menacé d’arrestation, accusé de faits graves, se rende à la convocation de son chef porteur d’éléments accusateurs ? Enfin, il indique lui-même, dans sa missive (annexe n°73) de Noël 1944 au sous-préfet ROCHAT qu’il est détenu depuis trois mois et demi, ce qui renvoie bien à la date avancée par GUILLAUME, calcul réitéré dans sa lettre du 10 janvier 1945, où il fait état alors de quatre mois de détention. Quoi qu’il en soit, quelque incertitude que nous puissions avoir sur la date de l’arrestation, un des chefs de maquis majeurs du département de Saône-et-Loire est sous les verrous, du fait de ceux dont il a partagé le combat libérateur.

Il consacre les quatre mois et quelques jours de sa détention à entretenir avec le sous-préfet ROCHAT une abondante correspondance et à préparer les dossier de sa défense.

Dans les trois lettres (annexe n°74) adressées à celui dont il rejetait l’autorité au temps du maquis, il manifeste une attitude qui s’écarte de l’image qu’il voulut, avant et après, donner de lui et que donnèrent de lui ses adversaires les plus résolus. A aucun moment il ne met en cause la légitimité des fonctions et pouvoirs, ni du commandant GUILLAUME, qu’il associe d’ailleurs aux “ précurseurs du mouvement ”, opposés aux “ arrivistes de la dernière heure ”, ni du sous-préfet ROCHAT, qu’il assure de son “ profond respect ” dans les formules de politesse de chacune des lettres. Claude ROCHAT n’accorde aujourd’hui pas la moindre part de sincérité à ces formulations, mais y voit le signe que, dès lors qu’il était coupé de ses hommes, de son territoire, des situations où il s’était constitué comme chef, le personnage perdait de sa superbe et se soumettait aux hiérarchies établies. Pour sa part, MARIUS esquive la question, insistant plutôt sur l’ignominie de sa détention et des conditions matérielles de celle-ci.

Ceci constitue un thème récurrent de ses lettres. Il y oppose “ le soldat qui a lutté et souffert deux ans dans le maquis ” aux “ miliciens qui courent les rues ”. Il s’y présente donc sous la double réalité de la victime et du justicier, rêvant de pouvoir participer à l’épuration. A la protestation contre le fait de sa détention, s’ajoute qu’il est délibérément mêlé à d’anciens collaborateurs, miliciens ou trafiquants. Ce fait, confirmé par Claude ROCHAT, tout en relevant que cela ne dépendait pas de son autorité, est révélateur à la fois des désordres de l’épuration, au cours de premiers mois de la Libération et de la volonté de ses supérieurs de faire payer cher à MARIUS de les avoir défiés. La vigoureuse protestation dans la lettre d’octobre, devenue lourde ironie dans celle du 24 décembre, contre les conditions matérielles de sa détention, en particulier la nourriture, les références fréquentes au sort de son épouse et de ses filles révèlent un MARIUS jouant sur tous les registres pour convaincre, séduire peut-être par les références au combat commun, émouvoir probablement son ancien supérieur. Il y ajoute le registre de la mise en garde insinuante. Dans sa lettre d’octobre, il recommande au sous-préfet de se méfier, car, écrit-il “ un accident est si vite arrivé ”. Même si cela est formulé sur le ton du conseil entre “ précurseurs ” de la Résistance, ces recommandations résonnent étrangement. Faisant référence à une “ liste de la plupart des méfaits ” s’étant produits dans d’autres unités, il précise ‘“ ces notes se trouvant à l’heure actuelle entre les mains de personnes dignes de foi et qui le cas échéant, c’est-à-dire si ma détention continue, sauront s’en servir en publiant au grand jour ces accusations. Ce sera peut-être bien un scandale, mais on l’aura voulu ”’. Comme ancien responsable départemental des maquis, Claude ROCHAT peut difficilement ne pas se sentir visé par l’insinuation menaçante. Enfin, dans son ultime lettre, du 10 janvier 1945, après avoir redit son refus d’assumer la responsabilité de tous les actes de ses subordonnés, il glisse insidieusement ‘:“ Entre nous, vous même n’aviez-vous pas un groupe de 5 à 6 types qui ont fait pas mal de coups de mains contre des collabos et autres ? Ce groupe, un beau jour, vous a quitté pour partir dans un autre maquis. Que leur avez-vous fait ? N’êtes-vous pas, vous aussi responsables de ces hommes ? Et que de détails que je n’ignore plus ”’. De la sorte, il tisse un premier axe de sa défense, sur le thème de sa capacité à démasquer des faits identiques à ceux qui lui sont reprochés (pillage et exécutions, y compris sous la responsabilité de celui qu’il tient pour responsable de tous ses ennuis, Claude ROCHAT-commandant GUILLAUME. La suite des événements montrera la faiblesse de cette défense, MARIUS ayant largement surestimé ou feint de connaître les faits en question et celui qu’il menace ainsi ayant délibérément choisi de couvrir de l’autorité de l’ordre donné, au cours de plusieurs procès, toutes les accusations adressées à certains de ses hommes par la justice.

L’autre axe de défense que met en place MARIUS au cours de son incarcération consiste à minimiser ou justifier les faits qui lui sont reprochés ou, lorsqu’ils apparaissent injustifiables, de s’en décharger sur ses subordonnés, argument quelque peu surprenant de la part de quelqu’un se targuant de bien tenir ses troupes. Dans un copieux dossier de six pages, (A.P. F.FLAMAND) il fait état des exécutions et des arrestations qui lui sont reprochées et qu’il revendique. S’il esquive la question de l’exécution de “ la belle Mado ”, Madeleine D., il justifie toutes les autres par le rôle d’agents de la Gestapo et de dénonciateurs de leurs victimes, couvertes de ce fait par les consignes de Londres. Dans les observations concernant des détenus du maquis MARIUS, il tente manifestement de se constituer une image de justicier prudent et équitable, plutôt indulgent. Le cas de P. fils est significatif, MARIUS lui accordant l’indulgence, malgré “ des renseignements très défavorables ”, du fait de “ son attitude très brave ” au cours d’un accrochage. De même, “ Georgette X ”, de Gergy aussi, bien qu’elle soit suspecte, en plus de mœurs légères, de “ fournir des renseignements à son cousin SAVOY et CORDOLA, deux agents de la Gestapo ”, n’est que “ tenue en surveillance pendant trois mois ” pour finir par être chassée de la zone, “ car elle détournait pas mal de jeunes de la compagnie ”. Les motifs des arrestations concernent le marché noir, la moralité douteuse, la suspicion de dénonciation et, ce qui peut étonner car ce sont précisément les faits reprochés à MARIUS, les réquisitions abusives avec détournement, pratiquées par certains de ses hommes comme Raymond HABRAHAM ou ROUZIER. Un sort particulier est réservé au cas de DAVANNE, ayant droit à une page de récit. Au delà de la complexité des faits, le cas DAVANNE met en lumière deux réalités des temps de résistance : l’existence, au sein d’une structure dissidente, de dissidences secondaires et, dans l’espace mouvant qu’est le territoire du maquis, les relations de coopération-rivalité entre des maquis d’obédience différente, ici le groupe FTPF de Jules ROSSI-JULOT et le bataillon Saint-Rémy relevant théoriquement de l’AS. Dans une telle situation, le partage des parachutages, des butins, le passage d’hommes d’une structure à l’autre tendent les relations, créent des suspicions, des rancoeurs durables, des haines inextinguibles. La participation de DAVANNE à l’expédition de Beaune, le 11 septembre 1944, pour arrêter le dissident ne fait que saturer la dégradation de leurs relations.

Ainsi, à travers ses écrits, MARIUS tente de banaliser son action, en la comparant aux autres zones et de se montrer sous un jour favorable de chef exigeant, intègre, équitable, imputant à des vengeances personnelles les témoignages à charge qui ont motivé son arrestation. Les caricatures jointes à la lettre d’octobre, l’annonce de sa démission de son grade de capitaine, le défi lancé à Claude ROCHAT de le faire fusiller s’il est réellement coupable témoignent d’un certain goût pour la bravade, la provocation.

En janvier 1945, son dossier est transmis au Tribunal militaire de la 8e région militaire et, très rapidement, il est mis en liberté provisoire, en attente de comparaître devant une session de cette instance judiciaire, en mars 1948. Il ne reste pas inactif puisque, tout juste une année plus tard, le sous-préfet ROCHAT s’adresse au préfet et au commandant René PELLETIER, juge d’instruction au Tribunal militaire (annexe n°75) pour dénoncer son activité dans son ancienne zone d’action, visant à “ créer une association de résistants ” rivale de l’association officielle existante, facteur de trouble dans une population bressane encore marquée par ce que fut l’action de son maquis. L’affaire en reste là et François FLAMAND quitte la région pour retourner en Bugey et ouvrir un nouvel atelier de mécanique à Virieu-le-Grand, dans le département de l’Ain.

Notes
1.

Claude ROCHAT Entretien 27 mai 1995

2.

Ce choix pose question : des groupes AS auraient-ils rechigné à une telle tâche, à l’égard d’un membre de leur organisation ? Les FTP sont-ils traités comme des supplétifs ?

3.

Homme que MARIUS retrouva comme co-inculpé à Dijon en 1948.

4.

Georges DEREPAS Entretien 22 mai 1995.

1.

Courrier du 9 octobre 1995.