9-Une affaire touchant à des aspects décisifs de l’histoire de la guerre de maquis

Les chefs d’accusation qui firent l’objet du procès de Dijon ne concernent en rien la réalité résistante du chef comme des hommes du maquis MARIUS. L’efficacité de son action, en particulier dans l’application du Plan vert sur l’axe majeur reliant la France et l’Italie du Nord, la possibilité avérée d’actions communes avec d’autres maquis, y compris FTP, l’intégration sans problème particulier d’hommes du bataillon au 2e BCP, constitué en quasi totalité de résistants bressans, à l’exception d’un groupe du maquis FTP SERGE venu du Morvan, l’attestent.

Ce qui est en cause est d’une part la relation aux échelons hiérarchiques supérieurs, d’autre part la nature des liens avec la population, à partir du moment où l’espace territorial du maquis, quasiment libéré, exige de ce dernier d’y établir des formes provisoires d’autorité et où l’importance numérique des hommes ralliés au combat pose de lourds problèmes de logistique.

Nous avons observé que l’insubordination, perçue comme une véritable dissidence par rapport aux chefs du secteur du Louhannais et à la direction départementale de l’AS, avait constitué le socle de la déposition à charge de Claude ROCHAT à Dijon. L’émergence de ce que l’on peut appeler un “ seigneur de la guerre ” s’explique par des facteurs objectifs comme par les dimensions subjectives des relations de MARIUS avec ses supérieurs. Des données géographiques et culturelles constituent une difficulté certaine pour un Etat-major situé aux confins du Charolais et du Chalonnais. Plus que la distance, c’est la Saône qui opère. Barrière naturelle, sa traversée pose problème, tant la surveillance des ponts y est facile pour l’occupant, dès qu’il occupe la totalité du département. Mais c’est aussi une barrière qui opère dans les consciences, les gens de la rive droite de la rivière affectant un certain mépris pour les Bressans, ceux-ci tendant à réagir en se refermant sur eux-mêmes. Bien que ni FLAMAND ni ROCHAT ne soient originaires du département, il ne fait guère de doute que cette dimension a pu contribuer pour une part, fut-elle mince, dans la crispation de la politique du dissident dont les hommes étaient en majorité originaires des lieux. Enfin, la nature même de l’autorité exercée par les supérieurs de MARIUS permet de saisir comment et pourquoi celui-ci s’en délesta, pour mener une politique autonome. Claude ROCHAT utilise pour identifier les liens l’unissant aux chefs de maquis et de groupes francs, une métaphore féodale, lui étant le “ roi ”, ses subordonnés au sein de l’AS, ses “grands vassaux ”. La fidélité de ces derniers tenait à sa capacité à leur assurer armement, financement, ravitaillement et qu’à l’inverse ils en aient besoin. Or il apparaît clairement que c’est à partir du grand parachutage de juin 1944 que MARIUS s’émancipe de la tutelle départementale. Désormais solidement doté en armement, capable d’accueillir tous les jeunes qui “ montent au maquis ”, quadruplant ainsi ses effectifs, il put alors rompre tout lien par rapport à des structures départementales dont il n’avait plus besoin. En filigrane, cette situation confirme donc l’analyse de Claude ROCHAT sur la nature des liens hiérarchiques au sein de l’AS. Pour ce qui est de MARIUS s’ajouta, de son propre aveu, comme du témoignage de nombreux témoins, le sentiment d’être seul maître à bord. Gonflé d’orgueil, sûr de sa force, il put mettre en place un système de pouvoir échappant à toute tutelle.

A l’égard de la population, MARIUS est confronté aux mêmes problèmes que tous les chefs de maquis. Il se retrouve de fait, au cours de l’été 1944, dans l’obligation de contrôler un territoire, alors que la pratique de la guérilla n’avait pas spécialement préparé à cette tâche, étant données la faiblesse des effectifs et surtout la mobilité géographique des groupes. Les deux problèmes majeurs sont le ravitaillement et la sécurité. Le premier problème fut, on l’a vu, traité par MARIUS d’une façon qui diffère peu des autres zones libérées du département. Il combine les détournements de marchandises destinées à l’occupant, les réquisitions sur le dos des collaborateurs ou praticiens du marché noir et la mise sous tutelle des fonctionnaires de Vichy acceptant de passer sous l’autorité du maquis. Par contre, la façon dont MARIUS instaura son ordre sur la population, dans un contexte peu différent, tranche nettement avec la pratique de GUILLAUME, dans la zone contrôlée par le maquis de Cruzille. Même si ce dernier ne put éviter des erreurs, il tint à assurer le mieux possible des rapports de confiance avec les populations. Deux occurrences en sont la manifestation : celle où, au moment de la moisson, il envoie une partie de ses hommes participer auprès des paysans à un travail rendu difficile par les circonstances de la guerre ; et celle où il renvoie des brigades de gendarmerie montées au maquis, dont il estime que leur action sera plus efficace à leur poste. A cette méthode, MARIUS oppose une mise sous surveillance plutôt brutale de la population, estimant que la seule façon de réduire les dénonciateurs potentiels à l’inactivité était de faire exemple sans pitié pour ceux qui étaient suspectés de collaboration. Les traces mémorielles, même si elles sont comme on l’a vu, partiellement phantasmées, manifestent que l’objectif fut de toute évidence atteint.

Cette différence tient à coup sûr à l’appréhension des autres que l’on retrouve chez chacun des deux hommes. A l’optimisme philosophique, nourri de référence révolutionnaire de GUILLAUME s’oppose chez son subordonné une perception plutôt pessimiste de l’Homme, appuyée sur l’amère expérience de la défaite, nourrie d’une forte agressivité envers les composantes non gaullistes de la Résistance.