2-Une sale affaire sur le dos

Antoine BAR est arrêté une première fois en 1945 et déféré devant le Tribunal militaire de Dijon qui prononce un non-lieu. Le 25 février 1948, sur mandat du Juge d’instruction de Charolles, il l’est à nouveau et commence pour lui un périple de 5 mois qui le mène dans les prisons de Mâcon, Besançon, la Santé et Fresnes où il bénéficie en juillet d’une liberté conditionnelle précédant une nouvelle ordonnance de non-lieu. Les trois chefs d’accusation motivant ces deux arrestations portent sur l’exécution d’un collaborateur, en temps de guerre, qu’il revendique au nom des ordres reçus, un prélèvement de 50 000 F le 20 décembre 1944 servant à la solde de ses maquisards non démobilisés ; l’accusation majeure porte sur l’exécution de Jean-Marie TISSIER 2 , le 13 septembre 1944, à son domicile.

L’affaire reste quelque peu mystérieuse et touche à des questions complexes. J.M. TISSIER est avant la guerre mineur et militant syndicaliste. Il se rallie à la politique de Vichy, remplace à la direction du syndicat officiel Marius M. à la suite de son exécution, et accepte de diriger la délégation spéciale de la petite ville de Ciry-le-Noble. Il est membre 1 du “ Comité d’initiative ” qui participe à la communication aux autorités d’occupation des noms des mineurs manifestant leur opposition à la situation et donc contribue à la lutte contre la Résistance. C’est un ami de jeunesse d’Antoine BAR et de Camille VAILLOT. Il est donc la manifestation de l’éclatement du mouvement ouvrier face au choc de la défaite.

Les témoins à charge, l’épouse de TISSIER et le témoin B. accablent BAR. Ce qu’ils disent des faits est repris dans le rapport de police 2 qui met en vis-à-vis les déclarations de BAR, et par le rapport fait au chef hiérarchique de ce dernier, le colonel LE DON chef départemental des FTP de Saône-et-Loire, Zone Sud, par un dénommé REVEILLE qui reprend intégralement le récit des deux témoins et emploie étrangement le terme de “ camarade ” à l’égard de la victime. S’y opposent les dénégations de BAR, formulées à son chef le commandant CHARLOT et le témoignage de plusieurs de ses hommes attestant ne pas l’avoir quitté au banquet de l’Ecuyer comme la conviction de ses proches camarades, Antoine TISSIER, Camille VAILLOT après son retour en décembre 1944, Léon ALLAIN-HECTOR, lieutenant FTP, ancien militant de la JOC d’avant-guerre. Camille VAILLOT affirme avoir été voir le principal témoin, B., qu’il connaissait, et que ce dernier face à ses questions, avait perdu son assurance et admis qu’“ il n’était plus très sûr ”. Cette rencontre avait eu lieu chez un beau-frère de TISSIER (époux de la sœur du défunt), lui-même militant communiste. Ce témoin avait par ailleurs reçu, avant sa déposition auprès de la police, la visite d’une délégation de la CGT conduite par Edmond MARC l’incitant à charger Antoine BAR. Ces circonstances sont révélatrices de données locales qui mettent en proximité des protagonistes que les événements ont séparés. Ancien camarade de jeunesse de Camille VAILLOT, Jean-Marie TISSIER avait rencontré ce dernier sur le marché de Montceau-les-Mines, au cours de l’été 1942 et s’était fait alors vertement reprocher son ralliement au vichysme et avait été prévenu que cela finirait très mal pour lui. Les drames qui se nouent de l’été 1944 au premiers mois de liberté opposent donc des hommes issus du même monde, celui de la mine, qui se sont côtoyés dans les luttes d’avant-guerre et qui se sont déterminés différemment face au enjeux politiques nés de la défaite et de l’occupation.

Même si les déclarations des témoins à charge l’accablent, un certain nombre de détails plaident en faveur de l’innocence de BAR. La quasi similitude des rapports, de police et interne aux FTP surprend, donne l’impression d’un scénario construit a posteriori. Les hésitations du seul témoin à charge, si l’on excepte l’épouse de TISSIER, ayant de plus fait l’objet avant déposition de pressions venues de gens mal disposés à l’égard de ce que représentait BAR, viennent conforter cette hypothèse. Enfin BAR a toujours, jusque là, revendiqué ses actions, y compris les exécutions, le passé vichyste de la victime apparaissant comme donnant un sens à son acte. Quant à son comportement, au cours des semaines suivant la Libération, marqué par une certaine intempérance, il s’explique à la fois par la rupture subjective avec le temps de guerre, commune à beaucoup de maquisards et par l’angoisse qui le taraudait à propos du sort de son épouse. Enfin, l’attitude des responsables syndicalistes comme le peu d’empressement de la direction fédérale du PCF à le soutenir pendant sa détention permettent de penser que des cadres surgis d’un certain néant à la Libération ont intérêt à dévaloriser des figures marquantes comme celle de BAR. L’effacement d’autres personnages majeurs de la résistance locale, en particulier son chef Louis BOUSSIN, les difficultés que d’autres combattants rencontrèrent viennent à l’appui d’une telle hypothèse.

Notes
2.

Ne pas confondre avec Antoine TISSIER (voir supra partie II, chapitre 4).

1.

Témoignage de “ Dus ” VAILLOT, entretien 2 juillet 1996.

2.

AD21 40M394.