Le personnage de J.P. KABACINSKY suscite beaucoup d’agressivité chez ses adversaires et des propos réservés chez certains de ceux dont il aurait pu attendre plus de solidarité.
Le journal local, Le Courrier de Saône-et-Loire se situe brutalement dans le premier camp. Dans son compte rendu du procès 1 , il se livre à une charge brutale contre l’accusé, insistant sur sa ‘“ figure ingrate s’il en est , comme on en voit à ces visages cireux échappés des vieux livres à enluminures ”’. Si ces considérations sur le physique de KABACINSKY permettent au quotidien départemental de s’abstenir de trop s’étendre sur la matérialité des faits et sur les témoignages à décharge, elles sont significatives des ruptures intervenues entre les différentes forces résistantes à partir de 1947, réactivant et creusant des divergences constituées dès les années de guerre. Les difficultés du directeur du journal, René PRETET avec le CDL dès 1945, son ralliement au RPF en 1947 expliquent pour une large part cette agressivité.
L’arrêt de mise en accusation du 3 octobre 1947, repris par l’acte d’accusation au moment du procès 2 , présente le dossier de façon unilatéralement défavorable aux accusés, décrits comme “ violents, querelleurs, joueurs et sans scrupules ”, ayant fait l’objet de plusieurs tentatives des FFI pour les neutraliser. Le récit de l’exécution ne laisse pas le moindre doute sur la culpabilité des deux hommes, reconnus par des témoins, identifiés par trois “ maquisards de la région qui regagnaient leur unité ”. Par contre aucune référence n’est faite aux activités de D. comme policier, avant le 6 juin 1944.
Le jugement porté sur l’accusé par un des survivants de l’appareil communiste départemental du département pose lui aussi question. Marcel CHAUVILLE 3 estime aujourd’hui que, s’il était un “ entraîneur d’hommes ”, KABACINSKY “ réfléchissait peu ”, était “ fou-fou ” et ne bénéficiait pas “ de l’estime de tout le monde ”. Ces propos, venant d’un homme de l’appareil portant volontiers des jugements abrupts sur les combattants fondateurs de l’OS et des FTP, sont révélateurs d’un certain embarras du PCF à l’égard du cas KABACINSKY. France d’Abord pourtant engagé dans une campagne d’une certain ampleur en 1948 en faveur des résistants condamnés ne lui consacre que quelque lignes, l’associant généralement à d’autres cas, sans aucune comparaison avec un engagement déterminé en faveur du capitaine MOREAU condamné à mort le même mois par les Assises du Pas-de-Calais. Ces réticences n’échappent pas à la perspicacité d’un inspecteur des Renseignements généraux de Saône-et-Loire qui est intrigué 4 par le soutien tardif et mesuré apporté au condamné par le PCF et ses organisations périphériques. Constatant que “ au moment de la condamnation de cet étranger , le PC de même que les organisations communistes du département (UFF, UJRF, FTP…) ne se sont pas livrés à des commentaires spéciaux sur cette affaire dans leurs organes de presse ”, il observe à l’automne 1948 qu’‘“ un mouvement en faveur de KABACINSKY semble naître au sein du PCF et au sein de l’Association FTP de Saône-et-Loire ”’. Dans le rapport qu’il adresse à ses supérieurs, il avance l’hypothèse d’un lien entre cet infléchissement et l’acquittement, à Dijon, de deux chefs maquisards de Saône-et-Loire, François FLAMAND-MARIUS et Jules ROSSI-JULOT et la campagne menée en faveur d’Antoine BAR-BARBU. Deux aspects sont à retenir de cette analyse : sa prudence d’abord concernant la réalité et l’ampleur du “ mouvement ” de soutien ; ensuite ce que représentent les hommes cités dans le rapport. Ils ne sont en rien des figures politiquement homogènes et conformes à une image idéalisée du résistant. Si cela explique la prudence et les limites de l’engagement militant communiste à leurs côtés, cela ne rend pas compte de l’infléchissement identifié. Survenant à partir de l’automne 1948, on peut avancer l’hypothèse du rôle du contexte social, tendant la situation politique, amenant le PCF à tout tenter pour rompre son isolement. Pour autant son engagement reste limité à quelques manifestations, même si aujourd’hui les acteurs tendent à les magnifier. Outre les visites individuelles au détenu et les communiqués de presse de soutien, une première manifestation en faveur de KABACINSKY consiste en un rassemblement devant la prison de Chalon-sur-Saône le 12 novembre 1950. Si l’on y remarque la présence de cadres du PCF comme François MERCIER, ancien député du Creusot, LAGRANGE, NICOLAS , CHAUVILLE, par contre l’assistance est maigre puisque ce ne sont que 20 personnes que remarquent les RG 1 . Il est vrai que l’heure choisie, 10h15, ne manifestait pas une volonté déterminée de rallier beaucoup de monde. Le 23 décembre de la même année un appel plus large à manifester voit les autorités municipales interdire tout rassemblement sur la place publique. Ce sont alors 250 personnes qui se réunissent à la Bourse du Travail pour exiger la libération de KABACINSKY. Cela reste bien limité, avec pour preuve le refus de autorités judiciaires de déplacer le détenu, estimant que sa présence à Chalon n’était pas susceptible de troubler l’ordre public.
L’argumentaire du soutien s’organise autour de trois thèmes. L’agent de police D. fut un acteur majeur de la chasse aux résistants FTP du bassin minier. A ce titre, il avait été condamné à mort par “ une cour martiale ” du régiment FTP Valmy, siègeant à La Planche-Millay le 15 juillet 1944, avec ordre “ à toutes les unités ” de l’exécuter, ce qui incluait le bataillon polonais. Si l’accusé s’était muré dans un silence troublant tout au long du procès, confirmant son embarras aux yeux de ses accusateurs, c’était en respect d’un engagement pris entre combattants du bataillon MICKIEWICZ d’adopter une telle attitude. Si le premier argument semble bien établi, le doute est permis pour le suivant. Si le serment fait au maquis est avéré, il concerne la situation de guerre, en cas d’arrestation par les occupants ou la police française. L’attitude de KABACINSKY lors du procès reste sans explication. Quant à l’ordre d’exécution à l’issue d’un procès au maquis, il est authentifié par plusieurs cadres du Valmy, son chef BOUSSIN-CHARLOT, Roger TRAMOY, Léon ALLAIN-HECTOR dans une lettre au procureur de la République du 13 avril 1948 ainsi que par un télégramme venu de Pologne le 9 du même mois. MASLANKIEWITZ, cadre des FTP-MOI, devenu commandant de la milice du district de Lublin, ce qui identifie un cadre de haut niveau, confirme la réalité des faits. Ces témoignages ne peuvent être considérés comme des preuves formelles. Ils ont cependant un fort caractère de probabilité. L’agent de police D. sévissant dans la zone d’origine de la majorité des combattants du Valmy, le fait que ses victimes soient d’anciens compagnons de travail puis de résistance de certains d’entre eux, la volonté probable d’anticiper l’épuration en visant quelqu’un en train de se donner des gages du côté de l’AS, tout cela tend à montrer la cohérence de la décision.
CSL du 2 février 1948.
Idem et AD71 1545W16.
Entretien 23 mars 1998.
AD71 W123867.
AD71 1545W74.