2-La campagne de soutien

La première trace policière d’un soutien dijonnais à ROUSSEAU est constituée par un rapport au commissariat central de Dijon 1 , faisant état d’inscription “ en rouge ” faites le 18 août 1948, sur les trottoirs du marché couvert, constituées “ de lettres de 30 cm environ ” et portant le slogan “ Libérez ROUSSEAU !”. Une seconde patrouille, effectuée à 3 h 10 du matin, permit, après constat de nouvelles inscriptions, l’interpellation d’un groupe de cinq personnes, dont une femme, dirigés par Dominique PALAZZI, déjà rencontré dans la défense de PHILIPPOT, secrétaire départemental des anciens FFI-FTPF, accompagné par un membre du secrétariat national de cette organisation, “ de passage à Dijon ”. Tout ce monde fut “ remis en liberté, avec promesse de ne pas récidiver ”. En l’occurrence, la prise en charge de la mobilisation en faveur de ROUSSEAU est manifestement limitée aux seuls anciens FTPF, sans que l’appareil du PCF ne s’engage fortement. Souvenons-nous de l’incidente “ PALAZZI n’est pas membre du Parti ”, marquant une distance politique certaine.

La première grande manifestation de soutien à Martial ROUSSEAU a lieu à Dijon le mardi 24 août avec “ des arrêts de travail limités ” 2 et un meeting de “ plusieurs milliers de personnes ”. Cette mobilisation a d’ailleurs suscité la mise sur pied d’un dispositif policier important. Dans une note de service adressée le 23 août “ à tous les services ”, le commandant du Commissariat central de Dijon ordonne la constitution d’un service d’ordre de 68 personnes dont trente pour la seule protection du Commissariat central, plus des “ cadres de réserve ” 3 . Les policiers dijonnais ont probablement toujours en tête l’affaire MARSAC. La réponse judiciaire à cette mobilisation est le transfert de ROUSSEAU à Fresnes le jeudi 26. Nous retrouvons là la tactique utilisée pour d’autres résistants comme BAR dont le parcours pénitentiaire s’acheva lui aussi à Fresnes, avant sa libération le 20 août, tactique visant à éloigner de lieux d’origine des affaires à traiter les protagonistes détenus.

Le même jour qu’à Dijon, un meeting réunit à la salle Wagram à Paris, sous la présidence de Charles TILLON, les représentants des “ organisations patriotiques ” 1 ce qui dans le vocabulaire communiste inclut, aux côtés du PCF, le FN, l’UJRF, le SPF, un membre de la Bataille socialiste apportant la seule touche d’ouverture politique en l’occurrence très limitée. Le fait que le compte rendu de France d’abord n’indique aucun chiffre de participants montre que son écho fut faible. Le même article signale le soutien des compagnons de route appelés à la rescousse, en l’occurrence un “ ancien  chef du 3e bureau de l’EM FFI ” et un curé de campagne normand ainsi que des prises de paroles de représentants de l’Amicale des Anciens FFI-FTPF devant 14 usines parisiennes, associant rituellement “ la lutte pour (les) revendications ” et “ le combat pour la libération de ROUSSEAU ”. Ce dernier disparaît alors des préoccupations du journal, hormis le compte rendu 2 de la visite au détenu par Fernand VIGNE, et une brève allusion aux trois inculpés de Dijon dans un article consacré au procès de Nancy contre l’équipe PHILIPPOT 3 . Il faut alors attendre le récit du procès des 3, 4, 5 novembre pour retrouver cette affaire dans le numéro 276 du 11 novembre.

Localement, après la mobilisation du 24, une délégation est organisée auprès du préfet de Côte-d’Or le 26. Selon le contenu d’affichettes, elle donna lieu à une scène singulière. Un dispositif policier important ayant été mis en place, les manifestants purent constater la présence “ aux côtés du commissaire aux Renseignements généraux ” de BERTRAND-LE MALGACHE, proche de CASSE-COU, responsable de l’association “ Les maquis de France ” dont la direction nationale s’était désolidarisée des inculpés, estimant 4 que ‘“ le cas de ROUSSEAU dépasse le cadre de la Résistance et appartient à la justice tout court ”’, façon de soutenir qu’il s’agissait d’une affaire de droit commun. Un second meeting est convoqué pour le 27 par le Comité de défense des patriotes emprisonnés. Dans son compte rendu au Procureur de la République, le Commissaire principal de Dijon indique que sur 4 à 500 auditeurs, “ on pouvait estimer aux 2/5 du total le nombre des curieux non intéressés par la manifestation ”. Même en tenant compte de l’habituelle sous-estimation policière, cela fait bien peu de monde. Le rapport signale par ailleurs qu’il “ n’y a pas eu de bureau de constitué ” et que seuls deux orateurs, PALAZZI et COURTOIS, sont intervenus, sans qu’il y ait eu un débat. La première observation, est doublement révélatrice de ce qui était une pratique générale à cette époque, consistant à constituer un “ bureau ” dirigeant l’assemblée, le plus souvent ouvert à des contradicteurs, et de la particularité du meeting du 27 apparaissant ainsi comme replié sur lui-même. Les interventions, selon le rapport de la police, sont principalement constituées de comptes rendus de délégations, près du magistrat instructeur, du préfet ainsi que de Garde des Sceaux. Il est enfin indiqué que ce meeting s’était déroulé sans incident, bien qu’il ait été préalablement interdit par arrêté préfectoral du 26 août. Le fait serait sans grande importance puisque l’arrêté n’a pas été respecté et que cela n’eut aucune retombée particulière, si ce n’était la nature des destinataires de la décision préfectorale. Celle-ci est notifiée à PALAZZI, identifié comme secrétaire départemental du Comité des patriotes emprisonnés, et BLUM, secrétaire départemental du Secours populaire, de ce fait reconnus comme les organisateurs officiels. Ce détail confirme l’absence de volonté de l’appareil du PCF de faire de ces questions un thème central de son combat politique : il en laisse l’initiative à deux organisations qu’il contrôle, mais qui se situent de façon périphérique par rapport à son dispositif. Le comité dirigé par Dominique PALAZZI est l’émanation directe de l’association des anciens FTP, solidement contrôlée par Charles TILLON et dont le journal France d’abord manifeste une certaine distance politique. Quant au Secours populaire, son champ d’intervention de nature humanitaire ne peut en faire le pivot d’un combat politique identifié comme important. Il est donc patent que malgré ses déclarations officielles le PCF ne constitue pas les procès de résistants en terrain majeur en cet été 1948.

La modestie de cet engagement politique est confirmée par un rapport de police 1 émanant d’un gardien de la paix, transmis au commissariat central de Dijon le 28 août. Avec une minutie remarquable, le fonctionnaire de police rapporte avoir repéré le jour même lors d’une patrouille nocturne, à 5 h 30, des “ petites affiches non timbrées ”, “ ronéotées ”, au titre tracé à la main, avec une typographie “ identique à celle des Humanité clandestines ”. Ce détail technique confirme que les anciens FTP ne disposent pour mener leur campagne que de moyens matériels limités, issus des temps résistants. Quand au contenu des affichettes en question, il dénonce la passivité des autorités devant la grève de la faim de ROUSSEAU, exige sa libération et condamne la position des “ Maquis de France ”, “ complices tacites de l’assassinat d’un patriote ”.

La position de cette organisation est révélatrice des fractures intervenues au sein de la Résistance, du fait des questions politiques en jeu depuis la période de l’occupation et surtout sous le choc des ruptures politiques intervenues, après la démission du général de Gaulle et plus encore avec le début de la guerre froide, avec naissance d’organisations concurrentes, mettant en vis-à-vis les communistes ou leurs compagnons de route et les autres forces. Il est révélateur que pour l’affaire dijonnaise, la position des “ Maquis de France ” soit rejointe 1 par la FNDIR, scission anticommuniste de la FNDIRP. Ces organisations considèrent que, contrairement aux soutiens qui qualifient les faits jugés “ d’actes de guerre ”, l’affaire relève de règlements de compte à caractère privé sans contenu militaire ou politique.

Notes
1.

AD21 41M279.

2.

France d’Abord n°265. 26 août 1948.

3.

AD21 41M279.

1.

France d’Abord n°266. 2 septembre 1948.

2.

Idem n°267. 9 septembre 1948.

3.

Ibidem n°273. 21 octobre 1948.

4.

Les Dernières Dépèches, 28 août.

1.

AD21 41M279.

1.

La Bourgogne républicaine 30 août 1948.