3-Le procès

La tenue du procès lors de la dernière session de 1948 des Assises de Côte-d’Or suscite des craintes importantes parmi les forces chargées du maintien de l’ordre. Dans une note de trois pages adressée “ à tous les services ”  2 par le Commissariat central de Police de Dijon organisant le service d’ordre pour le procès, un dispositif policier et de gendarmerie impressionnant est mis en place. L’objectif qui leur est assigné consiste à “ prévenir les incidents qui pourraient se produire à l’occasion du procès ”, “ permettre le déroulement normal du procès ”, “ assurer les transferts des accusés ”, “ maintenir le cas échéant l’ordre dans la rue ”. Au Palais de Justice sont affectés 50 gardiens de la paix et leur encadrement ainsi que 2 sections de CRS, l’une “ stationnée rue Verrerie ”, où est installé le Commissariat central, “ en alerte permanente ”, l’autre “ stationnée à la prison et qui pourra être appelée le cas échéant ”. Pour sa part, la gendarmerie se voit chargée de fournir “ les effectifs nécessaires aux transferts ”, “ un peloton de réserve stationné à la caserne de gendarmerie ”, “ le personnel de sûreté disponible ” afin d’assurer l’ordre “ à l’extérieur de la salle d’audience ” pour “ empêcher l’envahissement de la salle des pas perdus ”. Ce dispositif apparaît bien disproportionné compte tenu de la mobilisation plutôt modeste qui a précédé le procès. Une fois de plus, il est probable que le souvenir de l’affaire MARSAC pèse sur ces précautions. Pourtant les deux situations n’ont rien de commun, ni les cibles, ni le contexte émotionnel, intense et brutal en 1945, désabusé ou indifférent en 1948.

Les comptes rendus de la presse locale, particulièrement du Bien public des 4, 5, 6 novembre permettent de cerner ce que furent les débats. Les grandes lignes des faits sont établies de façon assez claire. ROUSSEAU-MINE DE RIEN, âgé de 41 ans, était avant la guerre ouvrier ajusteur à Espalion. Mobilisé en 1939, prisonnier en 1940, il s’évade et séjourne en Côte-d’Or à l’automne 1943 pour travailler. C’est à ce moment que, aux dires de la défense, il aurait découvert les activités pro-allemandes du couple d’éclusiers. Reparti au sud, à Nîmes, il s’implique dans la Résistance, à la Libération s’engage dans l’Armée B, dans la Brigade légère du Languedoc. Stationné en région dijonnaise, ROUSSEAU aurait été exaspéré par la libération du couple après leur arrestation lors de la Libération et les aurait alors exécutés, son supérieur hiérarchique immédiat EXBRAYAT couvrant les faits, lui-même ayant procédé à l’exécution de la troisième victime. EXBRAYAT a une autre histoire : âgé de 27 ans, il s’est engagé en 1939, a participé aux campagnes de Syrie pour rejoindre la Résistance après la dissolution de l’armée d’armistice. Au maquis, il gagne les galons de lieutenant. Les deux hommes reçoivent un soutien de poids, en la personne du commandant de la brigade, le colonel THOMAS, qui, s’adressant aux jurés, leur lance : “ Si vous les jugez, coupable je suis ”. Un autre officier de la brigade intervient dans le même sens. La ligne de défense de Me BRUGUIER, avocat habituel de ces causes, s’arc-boute sur l’idée que, derrière les deux hommes et leur comparse BALDASSARRI, c’est toute la Résistance qui est jugée et condamnée.

L’accusation vise pour sa part à nier la dimension résistante de l’exécution, estimant pour sa part qu’il ne s’agit que de règlements de comptes pour de sordides histoires remontant à 1943. Elle cherche à mettre les accusés en contradiction, s’appuyant sur des déclarations d’EXBRAYAT au cours de l’instruction, qualifiant ROUSSEAU de “ lâche, ivrogne, fainéant ”, propos qu’il renie au procès, estimant avoir parlé “ sous l’emprise de la colère ”. En procédant ainsi, l’accusation cherche à donner corps à la thèse d’une défense politique, organisant artificiellement une image limpide et solidaire des trois hommes.

A l’issue des débats, dont France d’abord rend compte de façon assez détaillée (n° 276 du 11.11.1948), ROUSSEAU est condamné à 5 ans de prison, les deux autres accusés étant acquittés. Chose surprenante, immédiatement après le procès, 7 jurés signent une supplique au Garde des Sceaux (France d’abord n°277) demandant “ la grâce ” de ROUSSEAU, décision que seul le Président de la République peut prendre.

Cette affaire difficile noue plusieurs dimensions de la période que son récit met en lumière. La place et la fonction des troupes libératrices dans le processus d’épuration, le sens résiduel de procès intervenant quatre ans après les faits, dans un contexte national et international nouveau, l’image de la Résistance défendue par les uns et les autres en constituent les aspects complémentaires. Il apparaît que les résistants se retrouvent alors fort isolés, avec des adversaires renforcés par la situation du moment et des soutiens rares et pour ce qui concerne le PCF, très prudents dans leur engagement.

Notes
2.

AD21 41M279.