V-DANS UN CONTEXTE DE HARCELEMENT, UN OUBLIE, GASTON COUVERT

A l’arrière plan de ces procès qui occupèrent ponctuellement le devant de l’actualité, c’est tout un contexte de harcèlement qui se constitue pendant plusieurs années. Enquêtes de gendarmeries insistantes 1 , commissions rogatoires répétitives 2 sont pour d’anciens cadres résistants et de survivants des camps, un environnement détestable, leur rappelant de façon lancinante que pour eux les temps de victoire ne sont plus, que désormais les vaincus de la Libération redressent la tête, que resurgissent les histoires difficiles, troubles parfois des temps de guerre. Souvent enfouis dans une mémoire désactivée, les souvenirs de ces moments ne remontent que bien difficilement et douloureusement.

Il n’est donc en rien surprenant que, en plus du contexte politique dont on a vu qu’il contribue à isoler tel ou tel, des hommes aient été littéralement oubliés, avant de resurgir de façon fortuite. C’est le cas en Saône-et-Loire de Gaston COUVERT, libéré de la centrale d’Eysses le 12 décembre 1965, après 18 ans de détention dont l’histoire n’a que pour seules traces un dossier aux archives de l’ANACR de Saône-et-Loire.

Gaston COUVERT est né le 2 février 1917. Pupille de l’Assistance publique, il est berger dans le Jura. Après son service militaire, il se marie en 1938 à Grièges, dans l’Ain, mais à quelques kilomètres de la Saône-et-Loire, sur l’autre rive de la Saône. C’est là qu’il est contacté, dès novembre 1941 par Pierre DELACROIX, alors organisateur de Libération-Sud dans la partie non occupée de la Saône-et-Loire, avant de rejoindre l’EM de la R1 à Lyon.

COUVERT est alors intégré dans un groupe franc de l’AS pour devenir chef de secteur en 1943.

Il apparaît à deux reprises dans l’actualité qui l’amènent devant la justice : une embuscade qui tourne mal, au Port d’Arciat sur la Saône, dont l’échec lui est imputé, justifiant du Tribunal militaire en 1948 et le meurtre d’un juge en retraite, à Pont-de-Veyle, le 12 janvier 1945. Les faits ne sont pas clairement établis. Dans la nuit du 12 au 13, une rixe a opposé deux hommes dont COUVERT au juge en retraite VILLARD, âgé de 75 ans, chargé d’enquêter à titre privé sur les agissements des résistants de la région de Pont-de-Veyle pendant l’occupation, en particulier sur les réquisitions opérées. Le juge opère au service de familles de collaborateurs. Le corps retrouvé le lendemain portait la trace de coups de bâtons. Des témoins attestent que les deux hommes accusés du meurtre avaient rencontré VILLARD le 12 au soir alors qu’il se livrait à ses enquêtes. Le dossier d’enquête conclut à une responsabilité limitée de COUVERT, après avoir établi qu’il n’avait pas porté le ou les coups mortels et n’avait qu’aidé à traîner le corps et refusé de dénoncer son complice. L’affaire, après avoir débouché sur un non-lieu en 1946, est relancée en 1948, alors que COUVERT est détenu avant de passer devant le Tribunal militaire pour l’affaire du Port d’Arciat. Cette instance l’acquitte des faits qui lui sont reprochés, les erreurs militaires n’étant pas des délits. Par contre l’instruction ouverte une seconde fois au sujet du meurtre du juge VILLARD débouche sur un procès devant les Assises de l’Ain, à la session de juin 1949. Les séances voient s’opposer le témoignage à décharge du premier responsable de COUVERT, Pierre DELACROIX et les accusations de deux résistants du secteur. DELACROIX atteste de l’honorabilité de COUVERT et informe la Cour que le juge VILLARD ne se contentait pas d’enquêter sur les réquisitions des FFI, mais intriguait par obtenir la libération d’anciens collaborateurs internés. Par contre, les résistants BROYER et DUBOURG font état de l’indiscipline de COUVERT, de sa propension à opérer des réquisitions de bureau de tabac à son seul profit, d’avoir fait preuve d’incapacité lors de l’embuscade du Port d’Arciat. Bien que ces imputations à charge ne concernent pas directement l’affaire, que les faits ne soient pas clairement établis, c’est la peine de mort qui est requise par le ministère publique et prononcée par la Cour d’Assises le 29 juin 1949, peine immédiatement commuée en travaux forcés à perpétuité par le président AURIOL sur demande du défenseur de COUVERT, Me GEORGE du barreau de Bourg-en-Bresse, par ailleurs conseiller général MRP de cette ville. Il ne bénéficie pas de la loi d’amnistie de 1953, par contre des remises de peine successives ramènent celle-ci à 20 ans de détention.

C’est seulement en 1962 que l’ANACR est alertée sur son cas et que commence une ultime campagne de soutien pour l’un des tout derniers détenus pour faits liés à la guerre. Les ministres FOUCHET et SAINTENY, le député de Mâcon Louis ESCANDE, le PCF, la SFIO interviennent pour sa libération, finalement accordée en 1965, après 16 ans de peine.

Cette affaire dépasse manifestement celui autour duquel elle s’est nouée. Elle a ceci de particulier qu’elle n’a pas de dimension politique particulière, que les situations auxquelles elle est connectée sont plutôt minces. Elle en est d’autant plus révélatrice de l’extrême sévérité de jurys populaires à l’égard d’anciens résistants.

Notes
1.

Ainsi, les enquêtes de gendarmerie au sujet de l’exécution par la Résistance du fils L. de Bissy-sur-Fley (Saône-et-Loire) fit l’objet d’un harcèlement qui exaspéra la famille TORTILLER, dont le fils Jean revenait tout juste de Neuemgame. Jean TORTILLER, entretien 23 mars 1998.

2.

Claude ROCHAT en subit une trentaine. Entretiens cités.