2-Des hommes précocement engagés dans le combat résistant

Aucun des hommes dont les difficultés ont été retracées n’est un résistant “ de la dernière heure ”. Tous ont connu, en 1942 et 1943, les temps difficiles des chutes collectives, de l’isolement, des hivers où nature et adversaires conjuguent leur effets pour les traquer. Certains ont affronté la prison, la torture, la déportation parfois.

Ils furent tous de ce qu’il convient de désigner par le terme désormais générique et légendaire de “ maquis ”, alors que les FTPF privilégiaient celui de “ camp ”, à forte connotation politico-militaire, comme en Saône-et-Loire les camps Jean PIERSON, GAMBETTA, Pierre SEMARD, des SANS-CULOTTES. Cette occurrence constitue probablement une donnée majeure de l’origine des actes en cause. L’expression, et l’acte, “ prendre le maquis ”, “ monter au maquis ” implique beaucoup plus qu’il n’en est généralement retenu, associé aux images glorieuses de l’été 1944. Ce choix, aux motivations diverses, amène plusieurs ruptures avec l’univers mental, les systèmes de représentation constitués. Le rapport à la mort est forcément modifié, la majorité des combattants intégrant l’idée que leurs chances de sortir vivants de la guerre sont fort minces. Cette attitude explique bien sûr le comportement de certains par rapport aux risques qu’ils courent, mais aussi un autre rapport à la mort des autres. Le surgissement de la violence guerrière, la barbarie de l’adversaire, la conscience d’échapper aux quelques garanties accordées aux combattants par les conventions internationales contribuent probablement à banaliser la mort, y compris lors d’exécutions de sang-froid. L’usage d’images familières pour désigner ces dernières est d’ailleurs significative comme celle du verbe “ sulfater ”, encore utilisé dans la Côte chalonnaise, associant le travail banal du vigneron à l’acte de guerre, via le surnom d’une arme automatique, réputée pour disperser ses balles. La rupture avec les normes sociales concerne aussi les biens matériels. Les réquisitions étaient certes imposées, et de ce fait légitimées, par les terribles contraintes du combat clandestin. Elles n’en constituent pas moins une rupture avec la tradition du respect du bien d’autrui, pourtant fortement ancrée dans les consciences d’une population à forte composition rurale, et cela crée inévitablement un terrain favorable à des dérapages, comme dans le cas de PHILIPPOT et de PLONKA.

Donc à la rupture avec les cadres familiaux et territoriaux que constitue le maquis, se superpose celle avec les cadres mentaux. Que des hommes aient dû assumer cela, de plus dans la durée, contribue largement à apporter une part d’explication aux actes ou comportements qui leur furent reprochés.