I-DE LA POLITIQUE D’INSURRECTION NATIONALE AU RALLIEMENT AU PARLEMENTARISME : UNE CONTINUITE ?

L’insurrection nationale est une formulation commune au PCF et au gaullisme. Elle a une double résonance chez les maquisards. Pour tous, c’est la référence aux épisodes révolutionnaires qui agit puissamment. L’appellation  Sans-culottes de maquis, la fréquence de la revendication d’avoir été “ des soldats de l’An II ” en témoignent. Chez les FTP, tout du moins chez ceux qui sont communistes, se superpose une autre référence historique, celle d’Octobre 17, modèle d’insurrection puisqu’elle ouvre à la naissance de ce qui était à leurs yeux “ la patrie des travailleurs ”. Si les deux références ont ceci de commun de désigner un ou le moment d’affrontement majeur, au sein d’un combat politique, elles présentent de sérieuses différences. Pour les sans-culottes, l’insurrection intervient au sein d’un combat politique prolongé, forme de ‘“ l’exercice de la souveraineté populaire , de la démocratie au sens d’une forme de conscience de masse impliquant le débat, la décisions et l’action politique ”’ ‘ 1 ’. Fusionnant le politique et le militaire, sans que cette seconde dimension soit forcément présente, l’insurrection populaire de la sans-culotterie parisienne intègre débat, décision collective, action. La prise de pouvoir des bolcheviks en octobre 1917, si elle partage avec ce qui précède d’être l’aboutissement d’un processus politique qui a vu l’intervention des forces du peuple au sein des soviets croître au cours de l’été 1917, est en grande partie l’héritière d’une tradition dont la Conjuration des Egaux a constitué la préfiguration et que le blanquisme a systématisée et théorisée, avant que Lénine ne l’intègre. Il s’agit alors d’une action armée, décidée et orchestrée par un état-major, exécuté par des forces organisées, devant des masses en situation de spectatrices, fussent-elles approbatrices. Le choix stratégique par le PCF de la politique de préparation d’une insurrection nationale suscite de ce fait un écho à la fois puissant et ambigu chez ceux auxquels il s’adresse. Si les éléments d’enquête permettent de penser que subjectivement, c’est la référence à la grande Révolution française qui l’emporte, elle laisse néanmoins ouverte la question de savoir à quel type de pouvoir et de son exercice son succès ouvrira.

De plus, telle qu’elle est conçue par le PCF comme par les états-majors de Londres et d’Alger, l’insurrection nationale constitue un moment, au sein d’une stratégie mondiale, décidée de façon centrale. Ce choix exclut celui d’une guerre de libération prolongée et de ce fait crée des situations de déphasage avec des processus politico-militaires locaux. La résistance à l’occupant vit des situations d’une véritable guerre de libération, en particulier en Limousin, sous la direction de Georges GUINGOUIN, et de façon plus embryonnaire et dans un espace plus limité, en Saône-et-Loire au cours de l’été 1944. Combinant contrôle d’un territoire, protection des populations, mise en place de structures pré-étatiques et refus de conquête prématurée des villes, cette forme de combat, proche de la guerre populaire théorisée par MAO ZEDONG, constitue un processus inscrit dans la durée, impliquant les populations dans la construction d’un “ ordre nouveau ” 2 et assurant à ses dirigeants une autonomie politique. A l’inverse, l’insurrection nationale, constituée essentiellement par un assaut coordonné et ponctuel, suppose décision centrale et étroite soumission aux plans d’un état-major unifié. Son application donna ici ou là lieu à des drames comme celui de Tulle.

L’Yonne faillit connaître des situations identiques au moment du débarquement lorsque le commissaire aux effectifs ASMUS lança l’ordre d'insurrection à des maquis FTP ainsi enjoints de prendre des localités avec lesquelles ils n’entretenaient aucun rapport. Si le bilan militaire se limita à un retrait piteux dès lors qu’il s’avéra que la libération de la France résulterait d’un combat prolongé, le bilan politique en apparaît proprement catastrophique. Il contribua à enlever du crédit à ceux qui avaient procédé à l’opération. L’exemple confirme que la stratégie de l’insurrection nationale faisait des FTP un instrument étroitement soumis aux choix de l’appareil du PCF lui-même lié à son compromis politique avec de GAULLE, privés de ce fait de tout l’espace politique que bien souvent leur action antérieure leur ouvrait. Leur combat est désormais étroitement limité à sa dimension militaire, dont les résultats sont alors la seule mesure de leur réalité et efficacité. Cet aspect pèse lourdement sur la constitution de la mémoire comme dans l’historiographie de la Libération. Les surenchères sur le nombre, l’ampleur, les effets des actions dont les ordres de bataille fourmillent comme la sous-évaluation des actions de libération en témoignent. Eloquente à cet égard est la carte nationale établie par Philippe BUTON 1 . Analysant les modes de libération des villes de France, à l’appui d’une argumentation tendant à démonter “ l’échec de l’insurrection nationale ”, Philippe BUTON distingue trois catégories de situations, d’où il ressort qu’à l’exception de 33 villes, partout ‘“ la libération ne fut pas perçue comme le produit manifeste de l’action de la Résistance, soit qu’elles fussent libérées par les Alliés, les résistants locaux n’intervenant qu’à titre d’éclaireurs, soit que la fin de l’Occupation résultât du départ sans combat des troupes allemandes ”’ ‘ 2 ’ ‘.’Toutes les villes de Bourgogne sont incluses dans cette catégorie à l’exception d’Autun et de Chalon-sur-Saône, “ villes d’insurrection limitée ”. La formulation peut laisser entendre une action armée venue de l’intérieur de la ville, alors que dans les deux cas, si les forces résistantes intervinrent, ce fut par la pénétration de maquisards infiltrés, agissant en coordination avec les troupes de l’Armée B, contre des unités allemandes en repli. Une différence décisive pour le déroulement des événements et la lourdeur des pertes fut que cette coordination fonctionna parfaitement pour Chalon, alors qu’elle n’intervint, pour des raisons encore obscures, qu’avec retard à Autun. Quoi qu’il en soit, il apparaît ici clairement que l’évaluation de l’action résistante à l’aune du seul bilan de l’insurrection nationale tend à occulter la réalité, le poids, les effets de cette action. L’histoire de l’entrée sans combat des unités des FTP de Roland CHAMPENIER à Nevers comme celle de CASTAGNE à Auxerre sont là pour le montrer 1 . Même là où les maquis, FTP ou AS, allèrent au-delà de la seule préparation de l’insurrection nationale, la nature même de celle-ci les réduisit à un rôle d’exécutants, de forces d’appoint sans la moindre autonomie.

Pour ce qui est du PCF, ce dispositif politico-militaire n’est en réalité que la résultante inévitable du compromis passé avec Londres dès fin 1942 et du choix conséquent de l’intégration du PCF dans le CNR et la pyramide des comités de libération constituée progressivement en 1944. Claude BOURDET a éloquemment montré 2 combien la mise en place du CNR a permis de donner une légitimité à des “ fossiles ” de la IIIe République tout en rendant “ impossible le développement de nouvelles forces politiques ”. La contribution du PCF à cette entreprise en fait alors un des acteurs majeurs de la restauration du parlementarisme et de l’exclusion de toute autre hypothèse politique. Ce constat permet d’éclairer ce qui fut observé de son attitude au sein des Comités de Libération, notamment son acceptation finale de leur effacement, puis de son positionnement gestionnaire au sein du gouvernement. Tout comme les FTP étaient étroitement soumis à la politique de l’appareil aux temps de la préparation de l’insurrection nationale, les organisations périphériques, Front national et organisations de jeunesse ou féminines, n’ont d’autre fonction, y compris en saturant les comités, que de faire passer la politique du parti chez des électeurs, sympathisants ou militants ayant pris au sérieux les perspectives de transformation radicale du pays. Cette réflexion nous projette au cœur du débat historiographique sur les intentions de la direction du PCF entre la Libération et 1946 dont l’ouvrage de Philippe BUTON a posé un des derniers jalons. Pour simplifier, soit la dimension légaliste, allant jusqu’au soutien aux premières formes de répression colonialiste, n’était qu’une façade pour masquer une réelle volonté de saisir toute occasion de prise de pouvoir en s’appuyant sur des mouvements de masse, soit à l’inverse les discours enflammés, les mobilisations contre une épuration incertaine, contre la vie difficile, les entreprises comme les EGRF n’avaient d’autre but que d’offrir des exutoires à tous ceux qui ne pouvaient se satisfaire d’une restauration. politique, économique, sociale 1 . Tout ce qui précède de cette étude va manifestement dans le sens de cette seconde hypothèse.

Notes
1.

Jean-Yves BOURSIER, La politique du PCF, 1939-1945, L’Harmattan, 1992, p. 205-206.

2.

L’expression est de Georges GUINGUOIN. Elle est à rapprocher de “ l’ordre….selon une formule jeune ” de Claude ROCHAT.

1.

Philippe BUTON, op. cit. p.105.

2.

Idem p. 104.

1.

L’histoire de Simo CONSTANTINO-CASTAGNE est une véritable épopée, allant du combattant de la colonne DURUTTI pendant la guerre d’Espagne au petit patron d’une entreprise de conditionnement de volailles faisant face au géant BOURGOIN dans l’Yonne des années 80. Interné aux camps du Vernet puis de Sept-Fonds, il arrive dans l’Yonne pour être intégré à la Compagnie des travailleurs étrangers. Rallié aux FTP, cet anarchiste devient chef de maquis, ce qu’il explique par le fait que “ le PC n’avait guère le choix ”. Il dut attendre 1996 pour obtenir une naturalisation sollicitée depuis 40 ans. Même sur le plan professionnel “ on ne (lui) fit pas de cadeaux ”. Entretien, 27 mai 1998.

2.

Claude BOURDET, L’aventure incertaine, Ed. du Félin, 1998, p. 216-217.

1.

AD21 40M233. Selon un rapport des RG, une réunion des cadres communistes de la fédération de Côte-d’Or tenue le 29 janvier 1946, Juliette DUBOIS affirma : “ Certains ont pensé ces derniers jours que le moment était venu de déclencher un mouvement insurrectionnel. Le Comité central met en garde contre ces assertions et déclare que ces insurrections seraient vouées à l’échec ”.