II-L’APPAREIL CONTRE LES HOMMES

Une conséquence directe des choix analysés précédemment, prolongeant les méthodes héritées de la période dite de “ bolchevisation ”, est l’étroite soumission des militants, cadres comme gens de la base, aux volontés et directives de l’appareil.

Au sein du dispositif des maquis FTP, cette réalité prend habituellement la forme du commissaire aux effectifs ou plus généralement de ceux que les maquisards appellent “ les politiques ”, le plus souvent de passage. L’intitulé constitue dans la bouche des combattants une distance révélatrice. Le maintien fréquent des cadres politiques en dehors des maquis, le plus souvent en ville, signifie clairement d’où vient la décision. Un corollaire de cet aspect est la fréquente mutation des cadres dont nous avons pu observer, à travers les cas d’hommes comme RITOUX-LE DON ou ASMUS-DUPRE, les difficultés qu’elle soulève pour ces militants, propulsés dans des situations qu’ils découvrent parfois au cœur de circonstances dramatiques 2 , exposés à des réactions de méfiance là où ils arrivent. Ceux de ces hommes qui eurent à subir les foudres de l’appareil du PCF après la guerre se virent d’ailleurs à l’occasion reprocher de ne “ pas être d’ici ”, argument repris parfois par les ouvrages d’histoire quelque peu complaisants. Ce type de rapport entre militants et appareil politique prit un tour encore plus dramatique lorsque fut décidée l’élimination de tous ceux qui étaient assimilés à des traîtres, catégorie dont il est établi que si elle recouvrait d’authentiques ralliés à la collaboration elle incluait aussi des militants identifiés comme “ dangereux ”, “ incontrôlables ”. Ceux-ci, à l’instar de GRILLE, étaient souvent des combattants de la première heure, parfois entrés en Résistance avant le PCF.

Les conséquences organisationnelles de la double soumission des FTP et des hommes à l’appareil du PCF et de ses différents dispositifs politiques sont parfois surprenantes. Ont pu cohabiter sans relations particulières trois dispositifs contrôlés par des communistes, dans un espace géographique réduit, celui du Morvan septentrional, sur son versant icaunais. Y coexistent un maquis FTP “ le ” VAUBAN, constitué principalement de communistes locaux autour d’Armand SIMMONOT-THEO, futur garde du corps de Charles TILLON après la guerre, le dispositif structuré autour d’Antoine SYLVERE, disposant de moyens de communication radio, probablement relié à des réseaux internationaux, enfin le maquis CAMILLE officiellement Libé-nord. Ce maquis, qui fut en 1944 un des plus importants de la zone a une histoire singulière. Il est fondé au printemps 1942 par deux hommes venus de la région parisienne, officiellement pour trouver refuge après la chute de leur groupe Front national à Paris, Jean LONGHI- GRANDJEAN 1  , futur chef départemental des maquis FFI et Paul BERNARD-CAMILLE. Le premier est frère d’un ancien conseiller général communiste de la banlieue parisienne et a participé à la direction d’une usine d’aviation à Albacete en Espagne républicaine pendant la guerre civile. Ce ne sont donc en rien de simples militants qui arrivent en Morvan et la thèse officielle qu’ils ont choisi cette destination parce qu’enfants ils y vinrent en colonie surprend d’autant plus qu’ils bénéficient d’un des deux premiers parachutages sur la France occupée, le 22 novembre 1942, avec armes et postes émetteurs. Officiellement identifié comme envoi des Anglais à la Résistance française, il est en réalité un geste venu des services gaullistes à destination du PCF dans cette période de fin novembre 1942 où s’esquissent les manœuvres de rapprochement, autour du colonel REMY et de Fernand GRENIER. Cette réalité singulière exprime l’étroite soumission des forces résistantes qu’il contrôle à ses objectifs par le PCF, comme le choix de l’insurrection nationale n’impliquant en rien une politique prolongée à l’égard des populations.

Privés de toute autonomie politique, étroitement soumis aux choix de l’appareil politique du PCF, les FTP et leurs chefs ne pouvaient trouver d’autre place que celle des héros célébrés, avant d’être progressivement écartés ou exclus de toute fonction dirigeante. L’allocution de Marcel PRENANT, lui-même future victime d’une purge, au Xe Congrès du PCF, en mai 1945 scelle cette soumission lorsqu’il proclame que THOREZ fut “ le premier des Francs-Tireurs et Partisans français ”.

Notes
2.

Jean RITOUX arriva en Saône-et-Loire alors que le dispositif FTP était en pleine dislocation.

1.

Jean LONGHI-GRANDJEAN, Entretien 25 novembre 1995.