Dès le 24 mai 1946, le sous-préfet de Clamecy 1 fait part au préfet de la Nièvre 1 bis du projet d’érection d’un monument “ aux morts de la Résistance ”. Le projet émane d’un comité présidé par lui-même, avec un bureau constitué du maire, de deux adjoints et du capitaine MOREAU ancien chef d’un des plus grands maquis du département, LE LOUP 2 . Ce comité a donc une forte légitimité, les hommes qui le dirigent émanant directement de la Résistance.
Le 17 juillet, le même sous-préfet communique à son supérieur un dossier avec descriptif détaillé et photographie de la maquette. Celui-ci est transmis le 22 du même mois au 2e bureau (Erection des monuments) de la 2e Division de la Direction des Arts Plastiques de la Direction générale des Arts et Lettres du Ministère de l’Education nationale. Cette structure administrative transmet le 2 août au préfet, qui en fait part le 8 à son subordonné, une réponse négative, estimant que ‘“ le projet serait acceptable, mais la figure sculptée manque absolument de caractère et d’accent. Il faut qu’elle soit entièrement revue pour être digne du souvenir à commémorer ”.’
L’affaire s’achève par une ultime missive du préfet au ministère de l’Education nationale, pour lui indiquer qu’il vient ‘“ d’apprendre la mise en place du monument, déjà réalisé au moment où le dossier venait d’être transmis ”’. L’affaire en resta là.
D’une situation voisine relève le monument de Luzy. Ce chef-lieu de canton est situé à l’extrémité sud-est de la Nièvre, au contact de la Saône-et-Loire, plus proche de villes comme Autun ou le Creusot que de la préfecture nivernaise. Située sur le flanc sud du Morvan, il est pendant l’été 1944 au cœur du dispositif constitué par le maquis LOUIS 1 . Constitués en Amicale du maquis LOUIS, les anciens maquisards souhaitent naturellement l’érection d’un monument commémoratif. A leur demande réglementaire, transmise par l’autorité préfectorale à la Direction des Arts plastiques, il est répondu le 28 juin 1946 que celle-ci prononce un rejet ‘“ absolument définitif car le projet est totalement dépourvu de toute qualité de composition et de style ”’, avis transmis le 9 juillet au sous-préfet de Château-Chinon. Finalement, le préfet avise le 18 juillet le Ministère que “ le monument serait en voie d’exécution ” et “ que l’inauguration serait fixée pour le 19 septembre prochain ”. L’évasif conditionnel utilisé par le préfet peut surprendre puisqu’il fait état d’une réalisation très avancée. Conjugué avec des temps de réaction inhabituellement long, ce point de détail dénote de la part du préfet un souci de laisser les choses s’accomplir, puis de s’incliner devant le fait accompli. A ces informations, il joint un commentaire personnel où il demande que soit “ examinée avec bienveillance la demande d’autorisation ” qui a été présentée. Il appuie sa demande sur son souci ‘“ d’éviter d’une part l’engagement pour la commune de dépenses inutiles, d’autre part le mécontentement qui ne manquerait pas de résulter d’une décision défavorable ”.’
Ces arguments ne semblent pas ébranler les autorités parisiennes puisque le 12 août 1946 le Bureau des élections 1 du ministère de l’Intérieur s’élève, après avoir rappelé la chronologie des faits, contre “ la procédure suivie dans cette affaire ”, allant ‘“ à l’encontre des prescriptions législatives applicables en la matière ”’ et demande au préfet ‘“ de donner toutes instructions pour que les travaux entrepris soient provisoirement arrêtés… ”.’ Alors que cet avis a été transmis le 19 août au sous-préfet de Château-Chinon, c’est seulement le 16 septembre que celui-ci informe le préfet qu’ ‘“ au moment où (il a) reçu (sa) correspondance, le monument était déjà érigé et prêt à être inauguré ”’. L’inauguration a été célébrée le 15 septembre. Il admet n’avoir pu ‘que “ constater l’état des choses ainsi créé sans être à même d’y porter remède ”’. La chronologie des correspondances révèle de la part du sous-préfet un manifeste souci de laisser les faits s’accomplir puisqu’il attend le lendemain de l’inauguration pour accuser réception d’une demande d’interruption des travaux vieille de près d’un mois. Cette occurrence est une des multiples illustrations de la situation particulière des sous-préfets de la Libération, au contact direct des réalités locales, ici des associations d’anciens résistants. La réplique ministérielle, même si elle n’eut pas d’effets pratiques, manifeste un fort désappointement. Le Bureau des élections prie le préfet de “ faire comprendre ” au sous-préfet et au maire de Luzy ‘“ que la façon dont l’autorité supérieure a été mise dans cette affaire en présence du fait accompli est inadmissible ”’. Rappelant l’avis négatif porté sur la qualité du projet, l’auteur de la note estime que ‘“ l’intérêt général s’oppose à ce que des monuments inesthétiques soient élevés ”.’
Les deux situations envisagées révèlent de fortes convergences. Presque simultanées, succédant d’environ dix-huit mois à la Libération, elles correspondent à des manifestations de mémoire directement liées à un maquis à forte implantation locale rendant hommage à ses compagnons disparus, légitimées par les autorités issues de la Résistance. Dans les deux cas, l’opposition de l’administration porte exclusivement sur les critères esthétiques pour finalement céder devant le fait accompli de l’érection sans autorisation.
Ce ne sont là que deux exemples, certes importants compte tenu du poids des maquis à leur origine, d’une situation quasiment générale. Elles expriment la difficulté de l’organisation d’une mémoire de ce qui fut aux temps du combat résistant.
Cette petite sous-préfecture de la Nièvre est située aux confins septentrionaux du département, au pied du Morvan. Elle fut une importante zone de résistance.
bis AD58 11W26.
Ancien coiffeur de Clamecy, Georges MOREAU vit très douloureusement l’effondrement de 1940. En particulier, il est épouvanté par le massacre par les troupes allemandes, dans cette sous-préfecture nivernaise, de 43 tirailleurs sénégalais prisonniers. Il fait alors le serment de les venger, le jour venu. Il fait partie de ces français qui spontanément, récupèrent des armes abandonnées. Naturellement, il est l’un des premiers passeurs de la ligne de démarcation. Lié au FN jusqu’au début de 1944, c’est sous la double homologation de l’ORA et du BOA qu’il est retenu par l’histoire des affiliations. Le premier avril, il prend le maquis avec quelques hommes au lieu dit la Cage aux Loups. Il est désormais LE LOUP, appellation partagée avec son maquis. Fin août, celui-ci compte 738 hommes et participe à plusieurs affrontements de grande ampleur. Il libère Clamecy, en deux temps, les 19 et 23 août, le passage d’une colonne allemande ayant imposé aux maquisards un repli temporaire. Il a honoré son serment le 7 août, au cours d’une embuscade contre un camion chargé de soldats allemands. Ce jour-là, il n’y eut pas de prisonniers. Après la Libération, ses FFI deviennent le 7e bataillon de la Nièvre, avant d’être intégrés au 4e Régiment d’infanterie.
A la différence de MOREAU, Paul SARETTE- capitaine LOUIS n’est pas un homme de la région. Originaire de Nice, engagé volontaire à 18 ans en 1939, il fait partie des évacués de Dunkerque qui se mettent directement au service du War Office. Après des missions diverses, il est chargé en décembre 1943 de rejoindre le Sud-Morvan pour y fonder un maquis. Il y bénéficie de l’apport de groupes déjà constitués, en particulier de jeunes fuyant le STO, regroupés autour de l’abbé Henri BONIN, curé de Millay, commune du canton de Luzy. S’il n’est à la tête que de 12 hommes le 1er juin, date de constitution du maquis, il a organisé un réseau de groupes villageois armés formant une solide réserve de sédentaires. La zone n’est en rien un refuge tranquille : elle est traversée par la voie ferrée Nevers-Le Creusot-Chagny qui constitue une transversale reliant deux axes ferroviaires majeurs, Lyon-Nantes et Paris-Lyon-Méditerranée. C’est par ailleurs un carrefour routier, traversé particulièrement par la Route nationale 81 reliant la RN7 depuis Nevers à la RN6 à Arnay-le-Duc, via Autun d’où l’on peut aussi rejoindre Dijon et les régions de l’Est de la France. La maquis LOUIS présente donc cette doublecaractéristique d’un fort enracinement local et d’une intense activité sur des troupes en repli au cours de l’été 1944.
Il est notable que le dossier est suivi par deux bureaux de deux ministères différents, l’Intérieur et l’Education nationale.