Les années suivant immédiatement la Libération, notamment 1946 et 1947, voient manifestement se multiplier les projets cherchant à inscrire en des lieux divers, sous des formes diverses la trace de ce récent passé.
Le dossier des demandes de subventions adressées au Conseil général de la Nièvre 1 et constitué en mars 1946 témoigne de cette diversité.
Elles émanent de municipalités comme Sainte-Colombe, de cantons comme celui de Decize qui décide d’ériger un “ monument cantonal ”, sur une place portant le nom légendaire de Roland CHAMPENIER, d’associations locales comme l’Amicale des anciens maquisards du canton de Saint-Saulge, de sections locales d’associations départementales comme la section de Tannay de la Fédération des anciens maquisards et résistants de la Nièvre. La possibilité d’obtenir des subventions joue un rôle d’entraînement : le 3 décembre 1945, l’Amicale prémeryçoise des anciens du maquis MARIAUX en sollicite une, ‘“ ayant appris que les associations d’anciens résistants ayant décidé l’érection de monuments à la gloire de ceux qui se sont sacrifiés pour la liberté du peuple français pourraient bénéficier sur le budget départemental de subventions destinées à épauler leurs actions… ”.’
Les demandes portent sur des formes diverses de réalisation matérielle. Si les monuments ou stèles et plaques dominent largement, leur lieu d’implantation manifeste l’hésitation entre un lieu public central donnant au monument un sens et une reconnaissance officiels et les lieux particuliers où tombèrent les hommes auxquels ils sont dédiés, comme à Saint-Saulge où l’Amicale des anciens maquisards érige deux stèles au sein des bois de Sancy et de Forey. Parfois l’association à l’origine de l’initiative choisi d’acquérir un terrain pour l’érection du monument. C’est le cas de Prémery et de l’Amicale des anciens du maquis MARIAUX. Cette forme de privatisation du lieu de mémoire ne pose apparemment pas de problème puisque le 9 avril 1946 le préfet informe l’association que cet particularité ‘“ n’empêchera en rien (son) groupement de bénéficier de la subvention votée par le Conseil général ”’ ‘ 2 ’ ‘.’
A l’hommage collectif s’associe souvent la manifestation individuelle, sur la tombe du défunt. Dans sa demande de subvention du 22 février 1946 au préfet de la Nièvre la section de Tannay-en-Bazois de la Fédération des anciens maquisards et résistants de la Nièvre manifeste le souhait d’ériger une stèle mais aussi d’honorer personnellement chacun d’entre eux (il s’agit de six hommes, dont un officier anglais) en apposant une plaque sur leur tombe.
Une forme d’hommage pose problème : il s’agit de l’attribution du nom d’un enseignant résistant à son établissement scolaire. Le problème se pose notamment à Cosne-sur-Loire où le 16 février 1946 1 , le conseil municipal émet le vœu, sur proposition de l’Association des anciens élèves du collège, de donner à ce dernier le nom de Michel FROMENT, mort en déportation. Le vœu bénéficie d’un “ avis très favorable ” de l’Inspecteur d’Académie. Il est donc transmis au Ministère de l’Education nationale. La réponse de celui-ci, du 1er avril 1946, est négative. S’appuyant sur une circulaire du 7 décembre 1945 publiée dans le Bulletin officiel de l’Education nationale n°66 du 13 décembre, il rappelle que ‘“ le souvenir des héros de la Résistance serait perpétué par l’apposition de plaques commémoratives, par l’organisation de cérémonies annuelles et par des manifestations propres à l’établissement intéressé qui évoqueront le disparu pour ceux qui l’ont connu…Il me serait très difficile d’y apporter des dérogations sans être saisi aussitôt d’un très grand nombre de demandes de changement de dénomination… ”’. L’auteur rappelle enfin que selon lui, aucun établissement ne porte le nom d’un professeur ou ancien élève mort pour la France.
Cette affirmation est erronée, puisqu’en plusieurs occasions, le Ministère de l’Education nationale a autorisé des opérations identiques. Par exemple, à Imphy, ville ouvrière du sud nivernais 2 , l’attribution par le conseil municipal, le 10 octobre 1945, du nom d’André DUBOIS, instituteur tué le 13 juin 1940, a été ratifiée par arrêté ministériel du 27 décembre. Il en est de même en avril 1946 dans la commune de Gascogne, attribuant à son école le nom de son ancien maître, tué le 11 juin 1940. La chronologie des trois cas semble manifester de la part de la tutelle ministérielle une certaine souplesse jusqu’au printemps 1946, puis une volonté d’endiguer le flot des demandes. L’explication plausible de ce revirement gît probablement dans l’importance des sollicitations, manifestant une forte volonté mémorielle, mais suscitant chez l’autorité centrale la crainte que sous la pression d’une hypersensibilité à des faits tragiques et récents ou de groupes partisans soient créées des situations porteuses de disputes à venir. A coup sûr, cela résulte de l’absence d’une politique d’ensemble.
Une diversité et une incertitude se manifestent aussi dans le contenu des inscriptions, dans l’identification des catégories célébrées comme dans les listes de noms. Selon les cas, ce sont des “ martyrs ” ou des “ héros ”, des “ fusillés ” ou des “ morts au combat ”, “ morts pour la France ” qui sont honorés. Ainsi à Montceau-les-Mines, seule ville de Bourgogne à avoir reçu la Médaille de la Résistance, le monument inauguré en 1949 est dédié “ aux fusillés et déportés du Bassin minier ”. Alors que le monument comporte des noms de résistants morts les armes à la main, c’est la dimension de victimes qui est ici mise en avant. Certains monuments appellent à la “ mémoire ” de leurs actes, d’autres proclament leur “ gloire ”. Les listes des noms inscrits sur les monuments et stèles soulèvent des questions lourdes de sous-entendus politiques. Lorsque le maire de Château-Chinon sollicite 1 du préfet de la Nièvre, le 4 juin 1947, l’autorisation d’inscrire sur le monument aux morts de la ville les victimes du conflit de 1945, il en précise la liste : 6 maquisards tués le 31 juillet 1944, deux déportés à Buchenwald, un prisonnier de guerre mort au stalag , enfin un soldat tué à Meknès au Maroc le 12 novembre 1942, répondant du nom de René WOLKINSINGER. La réponse affirmative du préfet demande cependant de vérifier que toutes les victimes sont bien “ de nationalité française ”, le nom de la victime des ultimes combats de l’opération Torch se voyant accoler au crayon rouge la question “ nationalité ? ”, alors que les circonstances de la mort ne semblent pas retenir l’attention. Le maire ayant confirmé que tous ces hommes étaient bien français de nationalité, le préfet donne finalement son aval. Il reste que ses précautions révèlent que pour lui un nom étranger ne saurait figurer sur un monuments aux morts. La même question se pose, mais cette fois pour un monument exclusivement dédié à la Résistance, à Decize. Le 4 décembre 1947, la maire de la commune sollicite l’autorisation du préfet de faire figurer sur le monument érigé place Roland CHAMPENIER les noms des étrangers morts dans les combats de l’été 1944, dont des mineurs polonais du bassin charbonnier de La Machine. Il estime que ‘“ les familles des victimes sont domiciliées depuis longtemps à La Machine et ce serait un réconfort moral pour elles de savoir que leurs fils sont considérés comme des enfants du pays, ayant donné leur vie pour la même cause ”.’ L’inscription aux côtés de leurs camarades français des noms des Polonais de La Machine apparaît ici, aux yeux de l’élu, comme un élément de confirmation d’une intégration réussie et méritée à la communauté nationale. Satisfaction lui fut donnée.
Ces initiatives multiformes suscitent de la part des structures de l’Etat de fortes réticences dont l’expression tend à se durcir au cours de l’année 1946. En mars 1946, le préfet de la Nièvre, afin de normaliser tout cela lance une enquête auprès des municipalités concernant les monuments déjà érigés ou en projet 1 dans le but explicite de régulariser les situations de fait et d’encadrer les initiatives à venir. Les effets pratiques restent limités puisque, le 20 mai 1946, la Direction des Arts plastiques du Ministère de l’Education nationale s’adressant au même fonctionnaire 2 , ‘“regrette vivement que l’acte dit loi de 1942 n’ait pas été observé par les municipalités pour un certain nombre de monuments érigés dans la Nièvre ”’. Cinq communes sont citées comme ayant sollicité une régularisation a posteriori dont deux chefs-lieux de cantons, Saint-Saulge et Dornes. Sans illusions, le texte suppose que le nombre de situations irrégulières est très supérieur à celui des demandes de régularisation. Rappelé à l’ordre, le préfet se voit demander ‘“ de bien vouloir veiller rigoureusement à l’application des dispositions de la loi susvisée ”’. Le problème n’est en rien spécifique au département nivernais puisque, le 6 juin 1946, le Ministère de l’Intérieur, chargé de ces dossiers avec celui de l’Education nationale, envoie une circulaire à tous les préfets de France 3 . Son attention ayant “ été appelée sur les demandes fréquentes ” dont les préfets sont “ saisis en vue de l’érection de monuments commémoratifs ”, il rappelle au respect de l’acte de février 1942, imposant l’autorisation administrative pour ces opérations et prévoyant la démolition des constructions non autorisées. Ne se contentant pas d’un rappel légal, il s’appuie sur un avis de Ministère de la reconstruction qui lui ‘“ a fait savoir que l’édification de monuments gigantesques, voire de monuments plus modestes, était particulièrement inopportune dans un moment où nous devons concentrer les moyens encore réduits qui sont les nôtres à reloger nos sinistrés… ”’ et qu’il estime que ‘“ ces appels à l’épargne ou aux budgets départementaux…restent déplacés… ”. ’
Il est révélateur que les deux textes s’appuient sur un acte du régime de Vichy ayant force de loi et sur des considérations strictement économiques pour tenter d’encadrer dans les deux premiers cas, puis stopper le mouvement, certes incertain et confus, de mise en place de traces mémorielles du fait résistant. La brutalité des propos du Ministère de la Reconstruction sur l’inopportunité de ce mouvement et son caractère déplacé manifestent l’absence de volonté politique d’organiser et unifier ce mouvement et permet de s’interroger sur le rapport subjectif existant entre les gens des ministères et le fait résistant..
L’analyse de la situation du département de la Nièvre permet d’avancer qu’il n’y eut pas d’entreprise unifiée, centralisée, étatique de mémorialisation du fait résistant. Alors que les combattants du premier conflit mondial avaient eu droit à un monument public, installé le plus souvent sur la place du village, lieu matérialisant à la fois l’unité de la communauté villageoise et l’appartenance à une République “ Une et Indivisible ”, ni les combattants de 1939-1940, ni ceux des FFL ou des FFI n’ont bénéficié d’un tel traitement. L’Union sacrée de 1914 ayant réuni dans un consensus belliciste une large majorité, marginalisant la petite frange restée fidèle à son pacifisme d’avant guerre, la célébration officielle apparaissait alors dans la quasi totalité des communes de France comme le salut consensuel aux vainqueurs. Rien de cela ne s’est produit en 1945-1946. La dispersion des initiatives, des lieux, les incertitudes sur l’identification de ce qui est mémorialisé, les réticences sinon les oppositions venues du pouvoir central sont bien la démonstration que les combattants de la liberté et de l’indépendance du pays de France ne sont pas reconnus comme les vainqueurs d’une guerre engageant la Nation toute entière. Il y a bien là la manifestation d’une défaite politique, car les résistants, leur chef, leurs organisations n’eurent de cesse de réaffirmer la légitimité nationale de leur combat, dont l’énoncé gaullien au moment du débarquement, “ C’est la bataille de France, c’est la bataille de la France ” constitue l’ultime formulation. Qu’au bout du compte ce soit sur les monuments érigés au cours des années vingt, porteurs d’une symbolique fort éloignée du sens du combat résistant, que soit apposée la liste des combattants morts aux combats de 1939 à 1945 ne fait que confirmer cette réalité.
Cette absence de forme unifiée d’organisation de la mémoire a pour résultat pratique des traces matérielles très différentes dans leur contenu, leur forme, leur lieu, leur date d’érection. Les traces mémorielles érigées en Saône-et-Loire au cours des premières années de liberté, de 1945 à 1949 témoignent de cette réalité.
AD58 999W1570.
Idem.
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Héritière de la tradition métallurgique de la région, la ville est un important centre de production d’aciers spéciaux et constitue de ce fait une forte concentration ouvrière.
AD58 11W26.
AD58 11W26.
AD58 999W1570.
Idem.