2-2-Diversité des formes de mémorialisation en Saône-et-Loire

Le premier élément de diversité porte sur la façon d’identifier ceux dont les noms sont inscrits sur des monuments, les uns intégrant sans les distinguer des morts victimes de situations allant des combats de 1939-1940 à la déportation, des otages assassinés aux maquisards abattus les armes à la main, les autres faisant état de ces situations.

Les monuments de Charolles, La Clayette, Brancion, Sennecey-le-Grand et La Celle-en-Morvan entrent dans la première catégorie. A Charolles (annexe n°84), il s’agit d’un monument spécifiquement érigé en mémoire de tous les “ héros ” de la deuxième guerre mondiale, inauguré le 21 septembre 1947 par le général de GAULLE. Haute de 3,30 m, cette œuvre monolithe due au sculpteur charolais René DAVOINE, figure une allégorie de la Résistance, aux mains appuyées sur une forte épée et dominant la phrase en exergue : “ la Résistance dans la Paix veille sur ses héros ”. Les listes de noms sont gravées sur le côté du monument, sis sur la RN79, reliant Charolles à Paray-le-Monial, dans le virage d’une forte montée à la sortie de la ville. La phrase est caractéristique de la mythologie gaulliste : le possessif “ ses ” créant un lien d’appartenance de tous les morts à “ la Résistance ” est en phase avec l’énoncé politique associant la personne du général de GAULLE à la Résistance et à la France.

Le monument désigné comme le “ Mur de la Résistance ”, à la sortie nord de Sennecey-le-Grand, au bord de la RN6 relève de la même catégorie. Ses dimensions impressionnantes (7,5 m de long sur 5 m de haut), l’imposante croix de Lorraine qui en constitue l’axe central, les circonstances qu’il mémorise 1 , enfin la solennité de son inauguration le 4 septembre 1946 en présence de Jacques CHABAN-DELMAS et la participation du général de Gaulle aux cérémonies de septembre 1947 en font un des hauts lieux des cérémonies annuelles en Saône-et-Loire. A ce titre, il fut d’ailleurs à plusieurs reprises l’enjeu de passes d’armes entre participants, revivifiant par discours interposés les fractures internes de la Résistance accentuées par les conflits de guerre froide ou les affrontements politiques du moment 2 . Délibérément sobre, il aligne 85 noms de combattants, sous l’exergue “ Passant, souviens-toi de ceux de la Résistance qui sont morts en héros pour que tu vives libre ”. Nulle référence ici à l’ennemi combattu, mais une interpellation associant la nature du combat mené à son objectif, la Liberté. L’indétermination de la formule “ ceux de la Résistance ” correspond à la diversité des catégories représentées sur la liste de “ héros ” : on y retrouve des noms de résistants de la région, de FFI des maquis AS de Corlay et de Saint-Gengoux-le-National, de 15 SAS victimes des combats de la libération de Sennecey-le-Grand, de combattants de l’Armée B, tombés lors des combats de la Libération dans le Val de Saône. Une fusion de même nature est réalisée à La Celle-en-Morvan, au bord de la route Autun-Nevers, au pied du Morvan. Pourtant identifié, en grand caractères lisibles par les automobilistes, comme un hommage “ Aux morts du maquis SOCRATE ”, figurant en médaillon le visage de Georges LEYTON, son fondateur, le monument porte sans les distinguer, les 14 noms de maquisards morts aux combats et les 12 noms de ceux qui furent fusillés ou ne rentrèrent pas des camps de déportation. Il en est de même, et de façon encore plus extensive à Brancion, au pied de ruines d’un château féodal, lieu central d’un maquis FTPF. Le monument, érigé en 1950 et financé par un souscription organisée dans les 12 communes environnantes, inscrit sans distinction 96 noms mêlant ceux des maquisards de cet arrière-pays tournugeois tués lors des combats de l’été 1944, en particulier à Azé, Brancion, Royer, Tournus, ceux de résistants de la région morts en déportation ou fusillés, ceux d’otages, enfin singularité ultime, le nom d’un résistant, GENIN-GUY, engagé par la suite dans l’armée et mort en Indochine pendant la guerre coloniale. L’important monument de La Clayette (prononcer La Clayte), village du Brionnais, aux confins du département de la Loire, au pied du flanc nord-ouest du massif du Beaujolais, zone active de maquis, est situé au sein du dispositif AS-SOE qui contrôlait le Charolais et le Brionnais. Ici (annexe n°85), deux plaques latérales ont été ajoutées à l’imposant monument aux morts de 1914-1918, portant, sans en distinguer la nature, les noms des morts de 1939-1945. Alors que la Patrie, personnifiée en une statue allégorique de femme couvrant l’ensemble de ses bras, veille sur les premiers, les plaques rajoutées échappent à l’envergure de ses bras. Ici, la contrainte matérielle rejoint la marginalisation symbolique du fait résistant. Il est à noter que le nom d’un appelé de la commune tué en Algérie en 1961 a été rajouté sous les listes de morts de 1914-1918. Cette “ mise en page ”, si elle peut trouver des justifications strictement techniques n’en traduit pas moins une différence, délibérée ou inconsciente, dans la perception du sens du combat des uns et des autres.

A l’opposé de ces exemples, des monuments manifestent la volonté d’inscrire dans la pierre les différentes catégories de situations, liées aux circonstances de la guerre. A Chagny, petite ville industrielle et carrefour ferroviaire (la ligne PLM y rencontre la ligne Nevers-Chagny, barreau latitudinal reliant la ligne Lyon-Nantes au PLM) a été édifié dès 1945, au sein d’un square dédié à la mémoire de Jean MOULIN, un monument de 3m sur 3, en pierre blanche de Comblanchien, à forte volonté symbolique. La partie centrale est occupée par un panneau figurant un soldat abattu, revêtu de l’uniforme de 1940, dont le canon du fusil est pris en main par un homme sans uniforme. La volonté de marquer dans la pierre l’inscription de la Résistance dans l’existence de la nation est ici manifeste. Surmonté de la formule “ Aux enfants de Chagny morts pour la Liberté ”, ce bas-relief porte à ses pieds trois dates, 1939, 1940, 1945, scandant les trois temps majeurs d’une guerre déclarée, perdue, finalement gagnée. Encadrant la scène des deux combattants, deux panneaux portent les listes de victimes identifiées en deux catégories, militaires et civils. Sur un mode similaire opère le monument de Saint-Bérain-sur-Dheune, village situé dans le fossé tectonique occupé par la rivière éponyme, à mi-chemin du bassin minier et sidérurgique du Creusot-Montceau-les-Mines et de la ligne de crêtes les séparant du pays chalonnais. Le village est resté célèbre pour avoir été le lieu où le 7 septembre 1944, le tank-destroyer “ Béarn ” de la 1ère DB du général DU VIGIER, immobilisa le train blindé allemand qui servit par la suite pour le tournage de La Bataille du Rail de René CLEMENT. Véritable forteresse sur rail, hérissé d’armes au calibre allant jusqu’à 120 mm, il y fut capturé intact, après que les obus de 76 mm du TD aient détruit les bielles de la locomotive. Le monument, érigé dès 1947, sur la place principale du village, honore les “ enfants ” de la commune “ victimes de la guerre ”. Y sont distingués 8 “ fusillés ”, deux “ déportés ”, deux “ morts aux combats ”, une “ victime civile ” et un “ mort des suites de la guerre ”. Le seul critère commun est d’être natif de la commune puisque sur les fusillés, six le furent dans la Meuse le 6 septembre 1944, un à Mâcon le 28 juin 1944. On retrouve ces caractéristiques à Anost, au cœur du Morvan : dédié aux “ enfants d’Anost résistants, déportés, assassinés par la barbarie allemande”, le monument édifié distingue cinq “ déportés ”, deux “ FFI ” et quatre “ assassinés ”. Du même ordre relève le monument de “ La Commune de Mary à ses martyrs ”. Nichée sur le flanc sud du Mont-Saint-Vincent, horst granitique qui domine de ses 602 m d’altitude le bassin minier au nord-ouest, le charolais au sud et l’axe Cluny-Chalon à l’est, cette petite commune est au cœur du dispositif constitué par l’AS de Montceau-les-Mines après le débarquement du 6 juin 1944, avec quelques 400 hommes au Mont-Saint-Vincent et environs 200 aux Brosses-Tillots, hameau de la commune. Le 10 juin, une brutale attaque fut menée par les troupes allemandes contre le Mont-Saint-Vincent, finalement repoussée par une riposte de revers des groupes des Brosses-Tillots. Les troupes allemandes en repli exercèrent alors de terribles représailles sur le village de Mary, incendiant des habitations, fusillant 10 habitants dont 4 de la même famille et une jeune femme de 17 ans, déportant 5 habitants dont un seul revint des camps. Le monument, édifié en 1947, identifie la date des faits, encadrant la croix de Lorraine, et porte les 17 noms de “ martyrs ” de la commune. Par le possessif “ ses ”, habitants victimes des représailles et maquisards sont intégrés dans une même mémoire communale. Sont distingués les “ fusillés ”, “ déportés ” formule identifiant la cause de leur mort, et les “FFI ”, information neutre sur leur appartenance, sans précision sur les circonstances de leur mort, dans ce cas au cours de combats. 

Une deuxième forme de diversité porte sur l’identification et la désignation des responsables des exactions dont les personnes honorées furent victimes. Même lorsqu’elle fut bien réelle, la participation de Français aux exactions allemandes est exceptionnellement signalée sur les monuments ou stèles érigées dès les premières années. Fait exception une stèle qui à Etang-sur-Arroux indique le lieu où François SZWEDROWSKI a été fusillé “ par les Allemands et les traîtres, le 25 juin 1944 ”. Quant aux lieux et circonstances où la Milice sévit au cours de l’été 1944, particulièrement à Mâcon, il fallut attendre plus pour que des lieux significatifs en portent la trace. Pour ce qui concerne les forces allemandes, elles sont identifiées de façon très variable. Certains édifices se contentent d’une formulation très neutre : “ troupes allemandes ”, “ troupes d’occupation ” ou “ forces allemandes ”. Relève de cette catégorie le monument commémorant à Montmelard le premier grand combat qui opposa le 11 novembre 1943 le maquis de Beaubery, en pays charolais, à d’importantes troupes allemandes. Le lieu comme les faits sont lourdement chargés de sens. La bataille mit face à face environ 150 maquisards, principalement d’anciens militaires du 5e RD de Mâcon, dissout après l’occupation de la zone sud un an plus tôt, et 450 Allemands commandés par le colonel BRUCKNER, commandant le sud du département. Ce dernier eut cette parole, après l’affrontement, ‘“ Nous croyions trouver des bandits, nous avons trouvé des soldats ”.’ Il n’empêche qu’en plus des morts aux combats, il y eut des représailles, des fermes brûlées, un couple d’agriculteurs déporté et mort dans les camps. Néanmoins, le texte du monument de Montmelard rapporte les faits en n’identifiant l’ennemi que par sa nationalité. D’autres édifices s’attachent à caractériser plus fortement les auteurs des actes à l’origine des morts. Le mot “ horde ”, à fortes consonances primitives et désordonnées est associé soit au qualificatif “ teutonnes ”, non exempt de xénophobie et de résonances des guerres passées, comme sur un plaque de Chalon-sur-Saône, apposée sur le pont Saint Laurent (elle indique le lieu de l’assassinat d’un jeune chalonnais, le 13 août 1944), soit à celui d’“ hitlériennes ” comme à La Charmée (annexe n°86). Erigé en 1947 au bord de la route qui relie Chalon à Buxy cette stèle fut financée par une souscription lancée en 1946 par la municipalité communiste du village 1 . Cette identification politique se retrouve associée à la “ barbarie ” sur le monument de Cuisery construit en hommage aux 11 habitants de la commune massacrés le 24 août 1944, par représailles à la suite d’un accrochage entre une colonne allemande et un groupe de l’AS du Louhannais. La “ barbarie allemande ” est fréquemment identifiée, à Fontaines, près de Chalon, en mémoire d’un directeur d’école déporté résistant, et au Thel, village du Rhône, à 2 km de la Saône-et-Loire, où l’imposant monument porte les noms de 17 maquisards AS de Saône-et-Loire massacrés lors des combats du 3 mai 1944. A noter que postérieurement à la construction, furent rajoutés les noms de deux Siciliens, arrivés depuis peu au maquis et victimes eux aussi des combats du 3 mai, manifestation d’une évolution dans l’organisation d’une mémoire hésitant sur l’identification des ceux qu’il s’agissait d’honorer. Le monument érigé en mémoire des 7 déportés du hameau des Journets 1 stigmatise la même “ barbarie allemande ”, faisant silence sur la dénonciation à l’origine de l’intervention, depuis Mâcon, d’éléments des troupes d’occupation.

Le dernier élément majeur de diversité des formes de mémorialisation est constitué par les lieux d’implantation de ces formes. En l’absence de lieu central, deux grandes catégories se rencontrent : lieux où se produisirent les faits, même si sont parfois associés des morts dus à d’autres circonstances ; endroits choisis par une communauté, de quartier, de travail, ayant choisi d’honorer ses morts.

Parmi les très nombreux édifices construits pour signaler les lieux liés à une circonstance particulière, et parmi les plus précocement construits, remarquable par sa facture, apparaît le monument érigé à Charbonnières, dans l’arrière-pays mâconnais, à l’endroit où tomba, le 24 août 1944, la capitaine GENEVES-GERARD, chef du groupe franc portant son nom. Œuvre du sculpteur local Maxime DESCOMBINS (annexe n°87), portant en fort relief le texte établissant les faits, ce monument haut de 4 mètres représente deux formes humaines, un prisonnier brisant ses chaînes et une allégorie féminine symbolisant la Résistance. Inauguré le 27 août 1945, il est le fruit de l’initiative de ses anciens compagnons de combat. Strictement contemporain, le monument élevé dans le bois de Maranges (annexe n°88), sur la commune de Collonge-en-Charolais, salue la mémoire de 5 FTPF de la région, arrêtés par la Gestapo de Chalon-sur-Saône à Germagny, torturés, amenés en ce lieu et fusillés le 27 mai 1944. Construit en pierre du pays, sans la moindre recherche esthétique mais rappelant par sa massivité le Mont-Saint-Vincent proche, le monument porte les noms des 5 victimes identifiés comme “ volontaires FTPF, assassinés par les hitlériens ”. Ici, l’identification est strictement politique. Ce type de trace mémorielle est quantitativement le plus répandu : il matérialise, malgré les oublis, le caractère diffus comme l’importance et la brutalité des combats et actes de résistance comme de la répression de l’occupant allemand et de ses sbires français. La dispersion géographique (annexe n°89) peut masquer l’unicité d’un fait. C’est le cas de plusieurs monuments qui, dans un rayon d’une quinzaine de km autour de Chalon-sur-Saône, matérialisent les différentes étapes du drame des mois de juillet et août 1944. Du 20 juillet au 26 août, les Allemands et des miliciens sous uniformes allemands, commandés par PETRIGNANI, sortirent à plusieurs reprises des prisonniers de la prison de Chalon et les exécutèrent en différents lieux des environs, Crissey ( deux fusillés  le 18 juillet, onze le 20), le Bois de Marloux, sur la route Chalon-Mercurey (trois fusillés le 20 août, trois le 22, huit le 26), Fragnes-La Loyère, commune limitrophe de Chalon (20 fusillés le 20 août), le Bois de la Garenne ( quatre fusillés le 26 août), Dracy (trois fusillés le 30). Une foule nombreuse suivant le cortège des victimes du 26 août au Bois de Marloux, dans le village voisin de Germolles, le 28, est prise à partie par la bande de PETRIGNANI et des Allemands du SD de Chalon. Deux hommes sont abattus, cinq personnes blessées, des maisons incendiées. Très vite après la Libération, cinq monuments ou stèles furent érigés sur les lieux principaux de ces fusillades. Objets depuis leur édification d’un cycle de cérémonies à la fin du mois d’août, ces traces mémorielles ont en commun de n’identifier que la partie allemande comme responsable des assassinats. C’est seulement plus tard que la participation milicienne fut mise en cause. Là aussi, le cérémonial annuel voit d’étranges télescopages avec la conjoncture politique et manifeste la dispersion sinon l’éclatement de la mémoire résistante. Les cérémonies de 1999 donnèrent lieu, de la part de l’un des officiants, à des propos ouvertement xénophobes à l’égard des enfants d’immigrés absents à la cérémonie.

Enfin, une dernière catégorie de monuments, stèles ou plaques émane de communautés de quartier ou de profession, rendant hommage à leurs membres. Dans un rayon de quelques centaines de mètres, on trouve à Chalon-sur-Saône, pas moins de deux plaques de quartiers et un monument dédié aux cheminots. Le quartier Saint-Cosme 1 a tenu à saluer les “ Saint-Cosmiens morts pour la France ”. Erigée en 1948, la stèle (annexe n°90), apposée à l’angle de la Grande Rue Saint-Cosme et de l’avenue Victor-Hugo menant à la gare SNCF, est constituée d’une statue féminine, allégorie de la patrie, dont le paisible visage incliné semble veiller sur les noms des victimes. Quatre groupes sont distingués : les “ morts au champ d’honneur ” (12), les “ morts en déportation ” (4, dont Mme BOUR, première rapatriée de Chalon depuis Ravensbruck, décédée quelques jours après son retour), les “ victimes civiles ” (6), deux “ disparus ” et deux “ STO ”. La présence de ces derniers, l’imprécision de la catégorie de “ morts au champ d’honneur ” révèle qu’en la circonstance l’engagement résistant est intégré, sinon fusionné, avec les autres situations ayant mené des enfants du quartier à la mort. Les quartiers voisins Boucicaut, Verrerie, Champ Fleuri 1 ont adopté la même démarche. La stèle choisie (annexe n°91) a été fixée au mur du cimetière de l’Ouest, au cœur de ces trois quartiers. Surmontées du drapeau national et de la Croix de Lorraine, les listes d’enfants des trois quartiers identifient 20 “ morts au champ d’honneur ”, 10 “ fusillés ”, dont Camille CHEVALLIER (cf partie I), 2 “ morts en captivité ”, 6 “ victimes civiles ”, 5 “ disparus ”, enfin 15 “ déportés ”, l’importance des chiffres mesurant le lourd tribut payé par ces quartiers populaires de Chalon.

Approximativement à mi-chemin de ces deux édifices, aux abords immédiats de la gare SNCF, les cheminots de Chalon ont rendu hommage (annexe n°92) “ à la mémoire des agents de la SNCF et des membres de leur famille morts pour la France ”, signe de la vivacité de la mémoire d’une corporation ayant fortement contribué à la lutte de libération. Encadrées par deux silhouettes de cheminots, surmontées par un médaillon représentant Pierre SEMARD, secrétaire de la fédération des cheminots, né à Bragny en Saône-et-Loire, fusillé en 1942, sont alignés 52 noms, les seules distinctions portant sur 5 “ disparus ” et sur les 12 “ fils d’agents morts pour la France ”. Les gares de Mâcon et Montchanin manifestent, avec des plaques de même origine, la volonté de la corporation des cheminots de laisser trace, en des lieux fréquentés, de la mémoire de leurs camarades disparus. Ce souci légitime n’est pas sans effet pervers lorsqu’il tend à constituer un déterminisme professionnel dont on sait qu’il n’exista jamais, pour aucune corporation.

A travers cette investigation parmi les lieux de mémoire édifiés au cours des premières années de l’après-guerre, il est possible d’affirmer que l’absence d’entreprise unifiée, centralisée et nationale d’organisation de la mémoire résistante a engendré une grande diversité des formes matérielles de la mémoire, des formulations, des énoncés politiques, de la géographie des lieux. Si cette dernière matérialise le caractère diffus de la Résistance, elle contribue néanmoins, avec les autres aspects, à brouiller donc affaiblir le message que les survivants voulait adresser. Les effacements délibérés 1 comme les détournements de sens 2 ne font qu’accentuer cet aspect des choses. Il y a donc bien là une des manifestation de la défaite politique de ceux qui avaient la volonté d’inscrire dans la mémoire nationale et de légitimer toute la dimension patriotique et antifasciste de leur engagement.

Dès lors, en l’absence de volonté nationale et centralisée, l’organisation de la mémoire devient inévitablement un des multiples enjeux des débats politiques des débuts de la IVe République. Ces débats connectent fortement les questions héritées de la guerre et celles que le pays affronte dans le contexte de la paix retrouvée.

Notes
1.

Le 4 septembre 1944, de sévères affrontements opposèrent deux mille Allemands bloqués à Sennecey-le-Grand, entre Tournus et Chalon et les SAS du capitaine de COMBAUD ainsi que les maquisards locaux AS et FTP. Avant de se retirer, les troupes allemandes massacrèrent 15 personnes à Laives, près de Sennecey-le-Grand.

2.

Ce fut notamment le cas en 1981. Le sénateur André JARROT, ancien du BCRA et chef du maquis de Corlay s’étant livré à une sévère attaque contre le nouveau président de la République, le préfet se retira.

1.

Témoignage de Georges REBILLARD. Né en 1930, il vécut douloureusement et intensément la guerre. Cette famille très modeste, avec un père malade, un fils, Gaston, passeur puis maquisard, vit passer dans sa demeure des gens comme Lucie AUBRAC, alors qu’elle venait de franchir la ligne de démarcation. Entretiens multiples.

1.

Dans ce hameau de la Chapelle-de-Guinchay, au cœur du vignoble beaujolais, avait été déposée une partie d’un parachutage effectué le 19 juillet 1944 dans les prairies de Saône. Le manque de discrétion de l’opération suscita dénonciation et intervention de troupes allemandes de Mâcon. Le hameau fut incendié, neuf habitants déportés, dont seuls deux revinrent des camps. Le cérémonial annuel fait soigneusement abstraction des imprudences comme de la non utilisation du délai entre la détection du dépôt et l’arrivée de renforts pour évacuer la population dans des bois tout proches.

1.

Ce qui est aujourd’hui un quartier de Chalon, fut jusqu’en 1855 une commune autonome. Doté d’une forte armature industrielle, brasserie, sucrerie, ateliers SNCF, usine Delle-Alsthom, ce quartier a longtemps manifesté sa singularité ouvrière par rapport au reste de la ville. L’ancien tracé du canal du centre, comblé au début des années 60, matérialisait la coupure.

1.

A l’instar de Saint-Côme, ces quartiers constituent la marge méridionale de la ville de Chalon. Avant la création d’une vaste ZI au nord, au cours des années 50-60, s’y trouvait une importante armature industrielle, aujourd’hui disparue, mais dont la présence du lycée technique industriel et des deux lycées professionnels industriels de la ville constitue l’ultime trace. Le nom de BOUCICAUT est un hommage à l’épouse du fondateur du Bon Marché, née à Verjux dans la plaine de Saône, gardienne d’oie, érigée en modèle de charité privée.

1.

Comme celui de la libération par les FPT du camp-hôpital de La Guiche, avant la pose en juin 1999 d’une plaque commémorative.

2.

Comme la stèle signalant le premier parachutage d’armes en Morvan, fin 1942, identifié comme venant des Anglais pour les maquis, alors qu’il s’agissait du BCRA pour le PCF.