La façon dont est présentée la mémoire de ceux qui ont disparu, au cours des manifestations politiques de l’après-guerre, est elle aussi chargée de signification politique.
‘“ La rhétorique de la pompe ”’ ‘ 1 ’ du PCF vise à constituer un terrain subjectif favorable au traitement de l’histoire du Parti.
Ainsi, selon le rapport des Renseignements généraux de Mâcon rendant compte 2 du meeting communiste du 5 avril 1945, hommage aux disparus et histoire révisée furent étroitement connectés. D’emblée, le meeting est mis sous la “ présidence d’honneur des dirigeants du Parti et des fusillés et martyrs de l’occupation ”. La constitution d’un “ bureau ” fait partie des habitudes politiques du moment, avec l’intégration fréquente de personnalités appartenant à d’autres forces. En l’occurrence, le bureau du meeting est constitué du secrétaire général de la Préfecture, représentant le préfet, de Louis ESCANDE, secrétaire fédéral de la SFIO, de Mme CHAPUIS de l’UFF, enfin de représentants du FN et du FUJP. Par contre l’association, sous le vocable d’une “ présidence d’honneur ”, des dirigeants communistes et des victimes de l’occupation est politiquement significative. L’article défini intègre dans un même ensemble des dirigeants communistes dont la place dans la résistance fut fort différente. Cela n’est pas sans rappeler la proclamation, sur ordre, de Marcel PRENANT, faisant de Maurice THOREZ le premier FTPF de France, l’antériorité comme la première place dans la hiérarchie relevant ici d’une véritable falsification historique. Symétriquement, c’est aux “ fusillés et martyrs ” que s’adresse l’hommage de la présidence d’honneur. Ce sont donc les victimes qui sont ici identifiées, sans la moindre distinction sur l’origine de leur martyre. Cette mise en avant exclusive de la souffrance est en phase avec l’attente des participants, puisque le rapport signale que l’arrivée de Prosper MOQUET est “ frénétiquement applaudie ”. Ce n’est évidemment pas le député de l’Yonne, inconnu de la plupart, mais le père de Guy MOQUET, fusillé à Châteaubriant, constitué par le PCF en figure majeure martyr et incarnation d’une jeunesse héroïque, qui est ainsi salué.
L’association de son nom au sein de la présidence d’honneur vise à légitimer la direction du PCF, en l’enracinant dans le martyrologe de la guerre. Cette volonté d’établir une continuité historique est confirmée par les discours des différents intervenants. Le secrétaire de section fait l’éloge du Parti pendant l’occupation. Ensuite MEIGNIER, membre du Comité régional de Lyon, “ blanchit le PCF des accusations portées contre lui ” et n’hésite pas à affirmer que “ dès 1920 ”, le PCF avait décelé les dangers du fascisme. Il associe cette capacité à avoir toujours raison à des jugements sur l’actualité politique. Ainsi, il regrette l’absence de listes uniques aux élections municipales et estime que les Etats généraux de la Renaissance française seront “ une étape ” dans la rénovation du pays. Pour sa part, Prosper MOQUET, après avoir reçu des fleurs, prononce une vibrante “ apologie ” de l’URSS, saluant la “ vigilance ”, la “ clairvoyance ”, la “ diplomatie ” manifestée par ses dirigeants jusqu’à “ la veille de la guerre ”, ce qui revient à valider, sans le dire, le choix du Pacte germano-soviétique . Ces trois discours, s’appuyant sur l’énoncé politique implicite de la constitution de la présidence d’honneur, vise à affirmer une continuité politique sans faille depuis le Congrès de Tours, adossée au grand frère soviétique. Ainsi, le Parti, comme l’URSS, a toujours eu raison : être politique produit des lois de l’Histoire, toujours en phase avec celles-ci. Ce déterminisme historique va de pair avec des considérations électoralistes : Prosper MOQUET, met en garde les femmes, “ moins athées que les hommes ”, contre le désintérêt “ pour les questions matérielles ”. A l’approche des élections municipales, la rupture que constitue l’introduction du suffrage féminin révèle de bien étranges inquiétudes et suscite d’étonnantes considérations. Enfin, la vente de portraits des dirigeants du Parti par des militants des JC à la sortie du meeting, vient renforcer la nature du lien que la direction cherche à constituer avec ses militants, ses sympathisants, ses électeurs, un lien révérenciel excluant toute initiative, toute singularité. Là aussi nous sommes dans la stricte reproduction du modèle stalinien, là aussi gît la défaite d’une dimension créative, délibérément et joyeusement novatrice de la Résistance.
La même source rend compte des meetings de Chalon-sur-Saône le 6 avril devant 1500 personnes, du Creusot le 7, de Dijon le 9 devant 1400 participants, avec les mêmes rituels, la même volonté de magnifier sans la moindre nuance le rôle du PCF, des années 30 à la Libération, le même rapport constitué avec des assistants nombreux mais réduits à une approbation passive.
Quatre mois plus tard, une note des Renseignements généraux informe 1 le préfet de l’apposition sur les murs du Creusot, le 6 août, d’une affiche établissant le même type de connexion entre le martyrologe de la guerre et la politique du PCF. Elle proclame en effet :
‘“ Ils sont morts pour que vive la France,Ainsi, le PCF, constitué en “ parti des fusillés ”, veille à inscrire la totalité de son histoire durant la guerre dans une continuité historique, sans rupture. Il peut de ce fait s’annoncer comme celui qui mènera le pays vers “ des lendemains qui chantent ”. Pour cela, il étale sans la moindre vergogne les victimes survivantes. Dans la Nièvre, Mme CHAMPENIER, dont le mari et le fils Roland sont tombés, le premier dans les combats de la Libération, le second sur le front, le 9 novembre, est mise en avant comme une sorte de figure emblématique. Cela permet d’ailleurs d’éviter soigneusement les questions politiques posées par le départ de Roland. Dans un ordre d’idée identique, à Montceau-les-Mines, c’est Mme LEROY ainsi que son fils qui sont systématiquement aux premières loges de toutes les manifestations publiques des premières années. Son fils, doté à ce moment là du prénom de son père, témoigne aujourd’hui de la gêne qu’elle en ressentait. C’est à lui qu’échut l’insigne honneur de remettre une gerbe à THOREZ lors de sa venue à Montceau en 1946. L’héroïsationd’Elsof LEROY, fondateur de l’OS sur le bassin minier, permettait là encore d’éviter la confrontation aux redoutables problèmes politiques soulevés par l’attitude à l’égard du Pacte germano-soviétique, par l’exécution des traîtres et par l’isolement des petits groupes activistes.
Tous les exemples locaux convergent pour montrer que tout cela se déployait à l’intérieur d’une politique se résumant par : ‘“ Nous ne nous sommes jamais trompés, donc nous méritons votre confiance, alors suivez-nous et votez pour nous ”’. Venant de la principale force organisée issue de la Résistance, cela sonnait le glas des espoirs d’une politique de rupture avec les appareils, les logiques étatiques et parlementaires, signifiait le refus de prendre en compte les figures et les situations complexes de la période précédente.
L’expression est empruntée à Jean-Pierre A. BERNARD, La liturgie funèbre des communistes (1924-1983), in Vingtième siècle, n°9, janvier-mars 1986, PFNSP. P.37-52.
AD21 40M233.
AD71 W123855.