1-Dans la Nièvre, une scission au sein de l’ANACR

Le Journal officiel du 12 juin 1970 publie la déclaration datée du 20 mai, à la préfecture de la Nièvre, de l’ ‘“ Amicale des anciens Franc-tireurs et partisans français du groupement Cher et Nièvre et des anciens volontaires du 3e bataillon du 1er régiment du Morvan ”’. Les buts annoncés sont de “ resserrer les liens ” unissant ceux qui relèvent des deux catégories incluses dans le nom de la nouvelle association : “ donner aide et assistance à chacun des ses membres ”, faire “ connaître aux jeunes générations l’action des FTP et des volontaires du Morvan ”, “ honorer la mémoire de ceux tombés pour la libération du territoire ”. L’aspect local et la banalité des objectifs cachent une brutale scission au sein de l’ANACR de la Nièvre et un profond déchirement entre ceux qui revendiquent l’héritage du grand chef de maquis que fut Roland CHAMPENIER.

Le problème prend racine dans les circonstances de la guerre, en particulier dans les relations parfois difficiles entre les politiques et les combattants au sein du dispositif FTPF, comme dans celles des premiers temps de liberté. Les diatribes d’un homme comme Paul MATRIOLET contre “ le Parti de la rue Saint-Etienne ”, siège de la fédération de la Nièvre du PCF, illustrent la coupure entre ceux qui reprirent en main l’appareil fédéral et ceux qui se réclamaient de la légitimité du maquis.

C’est à la fin des années 60 que se nouent les termes de la rupture. Ils portent d’abord sur l’évaluation de la réalité et de l’importance du maquis constitué par Bernard FREMION-GERGAND et Paul MATRIOLET-LE VENGEUR dans la forêt des Bertranges, près de Guérigny, petite ville ouvrière située à 15 km de Nevers, sur ordre de Roland CHAMPENIER. Lorsqu’il s’agit de sortir du maquis pour marcher sur les villes, ce sont 350 hommes qui, issus de la forêt des Bertranges, libèrent Fourchambault, centre industriel de la périphérie de Nevers. Or les documents officiels, en particulier le bulletin officiel n° 328 du Ministère de la Guerre concernant l’homologation des unités combattantes de la Résistance, font état de trois maquis FTPF, DUPRILOT, BALTHAZAR et DRAC, alors que ces appellations sont celles des trois compagnies constituées par FREMION, commandées respectivement par Pierre TACHON, Marcel HENRY et Roger TIPHAINE. Ceci suscite chez les anciens de ce maquis le sentiment d’avoir été effacés, alors qu’ils constituaient une des plus fortes unités FTPF de la Nièvre, et qu’à l’origine de cet effacement se trouvait le liquidateur FTP, Raymond BELHAIRE, CE de l’EM FTPF du groupement Cher et Nièvre. Dans la conclusion de sa contribution à l’histoire de son maquis dans l’ouvrage de Pierre DEMONGEOT 1 , Bernard FREMION emploie d’ailleurs à trois reprise l’expression : “ nous avons été écœurés par ce qui s’est passé après ”, sans préciser plus. En décembre 1968, les anciens cadres du maquis élaborent un document, dont les signatures sont certifiées, qui affirme la réalité d’un seul maquis, à trois compagnies, commandé par Bernard FREMION, dans la forêt des Bertranges 1 .

Le deuxième élément déclenchant, sur fond de fortes tensions internes à l’ANACR de la Nièvre, est constitué par des déclarations de deux dirigeants de l’ANACR, Pierre BARBIER et Jean SIMON, tenues le 22 juin 1969, lors d’une réunion de l’association, tendant à établir que MATRIOLET avait usurpé son grade de capitaine, qu’il avait été condamné à mort par son chef de maquis et que Pierre CORBIER, lieutenant FTP avait été destitué de son commandement après l’attaque d’Arriot le 5 juillet 1944. Cette agression déclenche une vigoureuse riposte de quatre comités de l’ANACR, Guérigny, Imphy, Fourchambault, Chaulgnes qui organisent une véritable contre-offensive. Face au refus de Jean SIMON de participer à une réunion de conciliation sous l’égide de TILLON, irrités de plus par les discours de Pierre GAUTHE à Fourchambault le 10 septembre 1969 2 , les quatre comités se constituent en inter-comité, en vue du congrès départemental du 19 avril 1970. Les trois premiers comités correspondent aux trois principales concentrations ouvrières du département. Les énoncés montrent que le problème va bien au-delà des questions de personnes. La mise en cause des propos désobligeants de GAUTHE à propos des “ tard venus ” soulève la question de l’antériorité de l’engagement résistant ; la demande, rejetée, de vote à bulletin secret pour la désignation du bureau départemental au congrès de 1970, celle de la démocratie au sein de l’ANACR.

N’ayant obtenu que des propos dilatoires de la part de Pierre BARBIER, se contentant de reconnaître qu’il n’existait pas de preuves de ce qu’il avait avancé à propos de MATRIOLET, les comités en question font scission et le 20 mai 1970 et fondent l’association susnommée. Le bureau désigné compte plusieurs membres de l’EM de Roland CHAMPENIER : Max THENON-MICHEL, fondateur du premier maquis FTPF du Cher, Jean VAIREAUX-BOURDICHE, Pierre CORBIER-FRANCOEUR et Paul MATRIOLET-LE VENGEUR.Depuis cette date, les relations entre l’ANACR et la nouvelle association sont restées fort tendues, émaillées d’incidents. Un exemple révélateur est constitué par l’interdiction officielle faite par la veuve de Louis BODIN, camarade de MATRIOLET, à Marcel HENRY de prendre la parole, comme élu, devant la stèle de Sichamps, érigée sur le lieu du combat où son mari est tombé. Cet incident, datant de 1978, fait suite à des propos jugés diffamatoires de HENRY concernant l’activité résistante de celle qui devint après la guerre madame MATRIOLET. L’association prend sérieusement en compte le dernier volet de ses objectifs statutaires, la défense de la mémoire des siens. A ce titre, elle intervient dans le champ de la recherche historique. C’est elle qui assura la publication de l’ouvrage de Pierre DEMONGEOT. L’ouvrage est transmis à Henri MICHEL (annexe n°95) et par son intermédiaire à J.C. MARTINET, en cours de réalisation d’un ouvrage sur la Résistance nivernaise 1 . Cet ouvrage fait alors l’objet d’une polémique entre l’amicale et l’historien, accusé d’avoir participé à l’effacement d’un certain nombre de gens dont Paul MATRIOLET. Aujourd’hui encore celui-ci estime que MARTINET se fit en l’occurrence le porte-parole de “ Parti de la rue Saint-Etienne ”. Les commémorations sont l’occasion pour l’Amicale de manifester sa spécificité. Le compte rendu 2 de la cérémonie du 6 juin 1976, essentiellement constitué du discours de Paul MATRIOLET, date anniversaire de la fondation du maquis de la Forêt de la Bertranges est une véritable synthèse des référents des survivants. (annexe n°96). L’initiative fondatrice de Roland CHAMPENIER, la composante ouvrière enracinée dans un combat de sédentaires, l’immersion dans une population complice, la mobilité des installations, les combats et les victimes, la contribution à la capture de la colonne ELSTER, le thème récurrent du retour du pétainisme, enfin le regret de l'absence d’un élu communiste constituent le socle de la geste de ces hommes attachés, contre les appareils, à préserver la mémoire de leur combat.

Notes
1.

Pierre DEMONGEOT, op. cit. p.650-652.

1.

AP Paul MATRIOLET.

2.

Les faits sont loin d’être étrangers aux circonstances de la guerre. SIMON et GAUTHE ont en commun d’avoir été conseillers municipaux de Nevers et restent pour MATRIOLET ceux qui ont voté l’attribution du nom du maréchal à une artère majeure de la ville et ont donc “ beaucoup à se faire pardonner ” (annexe n°94).

1.

Jean-Claude MARTINET, op. cit.

2.

Journal du Centre,7 juin 1976.