CONCLUSION

DEFAITE IL Y EUT :

Cette défaite de résistants de la région Bourgogne s’inscrit d’abord dans la froide réalité des faits. Au prisme des cinq champs d’analyse choisis, elle se manifeste sans ambiguïté.

Que les résistants aient vu l’image constituée au cours des combats libérateurs dans une opinion majoritairement ralliée se dégrader rapidement, dès la première année de liberté, en constitue une première dimension. La confusion politique, les difficultés économiques, les contraintes matérielles, le comportement de troupes FFI désœuvrées ont constitué les facteurs de cette dégradation.

Mais ce qui ressort des enquêtes est que cette dégradation ne toucha pas particulièrement l’image du résistant, donc la légitimité de son combat. C’est bien sur ce qu’il est éventuellement devenu après la Libération qu’elle opéra. Cela met en lumière la coupure subjective dans l’opinion qui s’est constituée entre l’avant et l’après Libération. Gît là la remise en cause implicite de la capacité à établir une continuité entre ce que le combat résistant avait inventé et les formes de rétablissement d’une légalité, après la Libération. Ce décalage qui s’instaure est perçu dès les premières élections par les services du Commissaire de la République qui dans son rapport au Ministère de l’Intérieur du 29 mars 1945 observe que ‘“ les mouvements de Résistance sont désorientés en face des problèmes politiques et ne savent pas exactement sous quelle forme aborder le problème électoral ”’ ‘ 1 ’ ‘.’

Corrélées à cela sont les formes de l’héroïsation des combattants. Sans que cela ait suscité la moindre interrogation, les survivants furent célébrés, honorés, décorés, mais dans leur seule dimension de combattants de la liberté. N’était-ce pas alors une façon de les enfermer, eux-mêmes étant internes à cette entreprise, dans la seule figure du résistant ? N’est-ce pas confirmer et fixer cette césure temporelle qui exclut que la réorganisation du pays puisse s’enraciner dans ce que féconda le combat libérateur ? Ce qui a été constaté dans le champ spatial bourguignon permet de répondre positivement à cette double question.

Les comités de libération apparaissent comme des structures transitoires où ces enjeux se manifestèrent dès leur création. L’intérêt de l’investigation sur ce qui s’y déroula est que les différentes forces politiques, nées de la Résistance ou réintégrées dans une légitimité perdue, leur attribuèrent des vocations fort divergentes. Du projet du CFLN en faisant des organes qui permettaient d’assurer une transition paisible et légitime jusqu’aux rêves de pouvoir révolutionnaire caressé par quelques-uns, toute la palette des comportements politiques s’y retrouva. Cela tourna bien souvent en une sorte de parlementarisation de comités où le discours illusionniste conjugué à l’immersion dans de médiocres tâches quotidiennes constituèrent les traits dominants de leur fonctionnement. L’entreprise des EGRF, la submersion dans les vagues électorales des forces qui les constituaient furent les dernières manifestations de leur fin. Ils avaient assuré ce pour quoi ils avaient été créés, ils avaient échoué à être les ferments d’une France radicalement nouvelle que d’autres avaient voulu y voir. Ceux-là avaient perdu.

Les mêmes enjeux portaient sur les cadres préfectoraux. A la différence des comités de libération, il s’agissait là de structures héritées d’un Etat, vieilles d’un siècle et demi. Y placer, comme ce fut le cas dans le département de Saône-et-Loire, des hommes issus des organismes résistants mettait en balance le poids des structures, leur inertie et la volonté d’individus désireux, au moins pour certains, d’y faire entrer le souffle du maquis. Le bilan est limpide : d’une part ces hommes, par leur légitimité comme par leurs capacités, assurèrent une transition sans drame et dès lors que cela fut réalisé, ils furent écartés, au nom de l’idée qu’ils n’étaient plus en situation. Ceux d’entre eux qui avaient cru pouvoir y imposer des pratiques administratives et des comportements politiques prolongeant le maquis durent bien alors constater l’échec de cet espoir, parfois même, à l’instar de Claude ROCHAT, s’interroger sur la pertinence de leur acceptation initiale. On pouvait revenir à la figure préfectorale héritée, celle du fonctionnaire étroitement soumis à l’autorité centrale.

L’intégration d’une fraction notable des FFI dans l’armée régulière, au sein de la politique d’amalgame touche à une réalité plus diffuse, dont le rôle politique s’inscrit “ en creux ”, en termes d’absence.

Contrairement aux situations précédentes, où des individus s’engagèrent dans de structures, à des postes de responsabilité, l’intégration de FFI à l’armée contribua à diffuser, diluer des hommes au sein des unités combattantes. Il a été démontré que le résultat fut inverse de ce qu’il advint lors de ce qui servait de référence : l’amalgame de 1793-1794 ; qu’en rien, ou si peu, ces hommes sortis du maquis, portés par la volonté d’achever une grande œuvre historique, ne modifièrent le type de guerre à mener, ne pesèrent sur les choix tactiques, n’obtinrent des fonctions à la mesure de leurs capacités. Là encore, la césure entre les formes embryonnaires de guerre populaires observées ici ou là, l’enthousiasme de jeunes maquisards portés par une dynamique révolutionnaire et le rôle de supplétifs auquel ils furent confinés apparaît clairement. Là encore les titres, médailles et manifestations d’estime dévoilent leur fonction de glorieux et médiocre paravent.

Reste ce qui ne peut se poser qu’à l’état de question : quel fut le rôle négatif, par l’absence, de leur départ au front sur les processus politique des premiers mois de liberté ? De même que le mouvement sans-culotte se vit privé de militants actifs au moment des phases paroxystiques du printemps 1794, de même l’absence d’une faction de la jeunesse, celle qui avait manifesté sa capacité à s’impliquer fortement dans de difficiles combats, a bien dû peser négativement sur la période de transition politique. Si rien ne permet de dépasser le stade de l’interrogation, il est loisible de s’appuyer sur quelques données qui tendent à conforter l’hypothèse d’un affaiblissement conséquent des forces transformatrices, au profit des restauratrices. Vont dans le sens de cette réflexion le rôle généralement joué par la jeunesse dans les périodes de rupture, le fait que les jeunes adultes de 1944 étaient politiquement vierges, moins susceptibles de répondre au sirènes du parlementarisme, des appareils politiques ou des médiateurs sociaux, leur intégration familiale et professionnelle moins forte. Ils disposaient alors d’une plus grande autonomie par rapport aux héritages. Si rien ne permet de formuler ce qu’ils en auraient fait, il est possible de poser la question de la perte que constitua le départ d’une partie des plus déterminés d’entre eux.

Au cœur de toutes ces situations, se pose la question spécifique du PCF et de ses militants. Son histoire au cours des ses deux premières décennies d’existence, avec les chocs de la bolchevisation et de la ligne “ classe contre classe ”, son habitude de pratiques organisationnelles clandestines, la force d’attraction qu’il exerce à la Libération, portée par les succès de l’Armée rouge comme par l’héroïsme de combattants communistes, ont font un parti qui apparaît comme irréductible aux réalités politiques héritées, donc potentiellement porteur de renouveau. Le jeu complexe de son discours radicalement en rupture, de sa pratique gouvernementale, de ses liens avec les choix géopolitiques soviétiques rend la lecture de son positionnement au cours des années de référence particulièrement délicate. Sans prétendre clore des controverses qui dépassent l’ambition de cette étude, il faut bien constater au prisme de la réalité de la région Bourgogne, que l’emporta le conformisme aux traditions et structures héritées, au détriment de ceux qui avaient trop cru à un “ Grand Soir ” dirigé par le PCF. Celui-ci apparaît comme une des forces de restauration majeure, du fait de sa capacité militante comme de son influence sur ceux qui espéraient une autre voie.

A l’aune de tout ce qui précède, les procès de résistants apparaissent dès lors comme inévitables. Y concouraient les réalités d’une action résistante sortant forcément de tout cadre légal, l’action pernicieuse d’appareils d’Etat, police et justice, largement maintenus après la Libération et au bout du compte le souci des milieux d’anciens résistants de préserver une image perçue comme sans tache de leur combat, symétrique de la perception horrifiée qu’en avaient les milieux vichystes. S’il arriva que la solidarité sans faille, sans réserve s’impose, bien souvent, on l’a vu, les justiciables furent durablement livrés à eux-mêmes ou au soutien de quelques-uns. Il fallut que le PCF soit exclu, contre son gré, de la pratique gouvernementale pour qu’il fasse de cette question un espace de mobilisation.

Cette défaite inscrite dans la réalité des faits se formula dans la subjectivité de chacun. Même si la double mythologie constituée par les gaullistes et les communistes comme l’organisation d’un cérémonial exaltant leur combat permirent à beaucoup de l’effacer, celle-ci se formula chez certains en des termes allant du “ on s’est fait avoir ” amer au “ c’est comme ça ” fataliste. S’il fallut bien vivre, subsista et se formule aujourd’hui une immense déception.

Notes
1.

AD21 W21441.