3. Le langage et ses fonctions

Les différentes fonctions du langage, montrent également la spécificité du genre humain. Le langage dispose bien plus que d'une fonction communicative qui, comme le dit Roman Jakobson, ‘"met en jeu un message et quatre éléments qui lui sont liés : l'émetteur, le récepteur, le thème du message et le code utilisé."9 ’ Cette communication, ‘"fonction centrale de cet instrument qu'est la langue"10 ’, contribue en effet non seulement à l'instruction, à la transmission des connaissances ou des rites de la collectivité, elle peut aussi contribuer à l'échange d'informations, à l'élaboration de contrats, d'obligations, de droits. La communication est alors un échange plus riche qu'un échange matériel : l'échange d'une bille contre une bille fait que les échangeurs n'ont toujours qu'une bille à la fin de l'échange. L'échange d'une idée contre une idée enrichit chacun des échangeurs en ce que chacun ajoute une idée à celle qu'il avait auparavant.

Cette communication révèle certes parfois des imperfections, son caractère inachevé. Une véritable transparence entre les hommes ne sera sans doute jamais possible, car le langage peut exprimer une fausse information, voire une information fausse. On ne parle pas ici que de la seule équivalence des langues à travers les problèmes que pose la traduction. Il faut aussi reconnaître, à l'intérieur d'un même idiome, d'une même culture, que l'émission et la réception des messages ne se font pas toujours dans un souci d'information honnête de l'autre.

Le langage revêt, à côté de cette fonction communicative, une fonction expressive qui transforme le langage en cette ‘"manière pour le corps humain de vivre et de célébrer le monde" (Merleau-Ponty)’. Les analogies phonographiques sont ici suffisamment singulières pour ne voir dans la réalisation graphique du son [o] que l'image de la bouche qui le prononce. Les onomatopées, présentes dans toutes les langues décrites, montrent aussi l'universalité de cette fonction expressive de la langue. Gaston Bachelard souligne par ailleurs que ‘"si le philosophe voulait bien remettre les mots dans la bouche au lieu d'en faire trop tôt des pensées, il découvrirait qu'un mot prononcé ou même simplement un mot dont on imagine la prononciation est une actualisation de tout l'être. Voyez par exemple avec quelle sincérité on prononce le mot miasme. N'est-ce pas une sorte d'onomatopée... du dégoût ? Toute une bouchée d'air impur est rejetée et la bouche se ferme avec énergie."11 ’ On pourrait facilement en conclure que le mot joue et mime le monde. Qu'en est-il alors de l'universalité des mots par rapport au monde, au réel ?

En nommant et en faisant exister la chose nommée, le langage revêt une fonction magique. Le langage permet alors de dominer, de gouverner la chose parce qu'il la détache de sa dénomination. Le langage est magique en ce qu'il ne se contente pas de nommer ce qui est, ce que l'on voit, ce que l'on touche, mais il peut aller jusqu'à nommer ce qui n'est pas là, ou ce qui n'est pas encore, voire ce qui n'est plus. Cette fonction magique du langage est le fondement des questionnements de l'homme sur sa nature, mais aussi sur son devenir jusques et après la mort. C'est sur cette fonction que repose également notre pensée philosophique ou religieuse.

Le langage revêt enfin une fonction esthétique dans la mesure où il est le truchement privilégié de la création poétique par l'intermédiaire de la littérature. Cette fonction permet à la communication de ne pas se réduire à l'émission et à la réception de signaux destinés à déclencher des comportements adaptatifs.

Les fonctions du langage humain ne sont pas les seules caractéristiques qui nous différencient des autres êtres.

Notes
9.

JAKOBSON, Roman (1963), Essais de linguistique générale, éd. de Minuit, pages 28 et 29.

10.

MARTINET, André (1967), Eléments de linguistique générale, Colin, page 8.

11.

BACHELARD, Gaston (1948), La Terre et les rêveries du repos, Corti, page 76.