3. Une didactique universelle du FLE ?

Comment s'étonner alors que cette situation en France des étudiants étrangers ne soit pas sans poser parfois de sérieux problèmes ? Plusieurs cas peuvent se présenter, qui dénoncent des difficultés issues de l'appréhension des problèmes didactiques. Nous n'en retiendrons que quatre : un système d'immersion totale dans un contexte scolaire tel qu'on le connaît par les programmes d'échanges inter-établissements, une immersion totale dans un contexte universitaire du type des programmes de l'Union Européenne (ERASMUS, SOCRATES), une immersion partielle dans le cadre d'un programme d'une université étrangère, une immersion partielle dans une institution comme le C.I.D.E.F.30

Comment présenter simultanément à des étudiants d'origines culturelles différentes des faits - linguistiques ou culturels - que les enseignants français, donc francophones et de culture maternelle française, appréhendent avec un arrière-plan culturel franco-français ?

La formation universitaire des enseignants de FLE devrait pallier cette difficulté. Pourtant, les enseignants de FLE en France ont bien souvent tendance à trop considérer leurs étudiants comme des scolaires du primaire ou du secondaire, d'autant que les méthodes31 qui leur sont proposées en France, pour des raisons éditoriales, s'adressent essentiellement à des adolescents. Il en résulte un malaise dans l'appréhension des méthodes, tant du côté des enseignants que de celui des étudiants.

Ce malaise concerne tout d'abord la langue utilisée. Les méthodes audiovisuelles, même corrigées par l'expérience, restent d'un abord que l'on tient pour primitif à cause de la méthodologie dite d'induction32. Cette méthodologie peut se révéler utile à une approche philosophique du langage en tant que code de communication, car elle permet une appropriation de l'objet langue par des tâtonnements successifs qui n'en démontent pas les mécanismes intrinsèques. Elle manque pourtant d'efficacité, à cause du temps que ces hésitations exigent, ce qui ne correspond pas souvent à un projet non exprimé de l'étudiant d'apprendre vite et bien une langue étrangère. Elle abandonne en outre l'apprenant étranger dans une sorte de flou qui n'a rien d'artistique et qui ne le sécurise pas. La réflexion sur la langue est en effet loin de constituer le premier objectif de l'apprenant. Une méthodologie positive au sens de l'étranger doit lui apporter davantage la maîtrise d'un code et d'une culture différents des siens.

Ce malaise vient ensuite des thèmes culturels ou civilisationnels abordés dans les méthodes. Comme nous l'avons dit plus haut, les méthodes, pour des raisons éditoriales, s'adressent essentiellement aux adolescents et suivent les thèmes supposés graviter autour de la vie des adolescents. Il s'ensuit là aussi un sentiment d'insatisfaction, car les thèmes abordés ne concernent pas toujours la vie telle qu'elle est vécue par l'étudiant étranger dans son programme d'immersion. On pourrait aisément résoudre ce malaise si l'apprentissage allait davantage de pair avec le vécu de l'apprenant. La didactique des sciences, à cet égard, nous apporte des éléments de réponse en se fondant davantage sur les expériences des apprenants avant d'aborder un sujet nouveau. Cette réflexion, parcellaire dans le domaine des langues, devrait apporter des débuts de solution à ce malaise. Se pose en outre là un problème de déontologie dans la présentation par l'enseignant de son propre pays : quelle véritable objectivité peut-il exister dans la présentation de certains problèmes de société comme, entre autres plus nombreux, le racisme des Français, ou même l'illettrisme, sans parler des problèmes du SIDA, ou celui du traitement des "sans-papiers" ?

Comme on le voit, l'enseignant de FLE, même après avoir suivi une formation de spécialiste, aura bien des difficultés à élaborer seul un diagnostic de ce malaise afin d'y apporter les solutions adéquates.

Notes
30.

CIDEF : Centre International d'Etudes Françaises, créé en 1947 par Monseigneur Yves Lagrée au sein de l'Université Catholique de l'Ouest (Angers). Son objectif premier était d'accueillir les étudiants étrangers de l'Université dans une structure qui leur permette d'acquérir suffisamment de connaissances linguistiques et culturelles sur le français et la France pour pouvoir suivre des études au même titre que leurs condisciples français.

31.

Citons, dans ces méthodes, celles publiées par les trois grands éditeurs de FLE en France et utilisées couramment aujourd'hui : Archipel, Bienvenue en France et Libre Echange chez Didier/Hatier International ; Bonne Route et Espaces chez Hachette ; Sans Frontières chez CLE International. (cf. la quatrième partie de la bibliographie).

32.

En réaction contre la présentation explicite des phénomènes grammaticaux dans des unités didactiques prévues à cet effet et n'ayant pas de rapport direct avec les textes étudiés, la méthodologie d'induction, suivant en cela le Père Grégoire Girard, contemporain de Pestalozzi, qui rappelait, pour défendre l'enseignement naturel de la langue maternelle, la phrase de Bernardin de Saint-Pierre : "Nous n'apprenons pas plus à parler selon les règles de grammaire que nous n'apprenons à marcher selon les règles de l'équilibre", préconise la découverte des faits grammaticaux par l'apprenant sans que les phénomènes ainsi découverts aient été auparavant explicités par l'enseignant.