Chapitre 2
Méthodes et méthodologies d'aujourd'hui

L
'enseignement des langues étrangères a subi de profondes modifications dues notamment aux constantes évolutions de la recherche en didactique. Il est intéressant, avec Christian Puren67 et Claude Germain68, de prendre la mesure de cette évolution et de rechercher, en liaison avec le chapitre précédent sur la dialectique acquisition et apprentissage, les fondements théoriques de ces différentes méthodes.

Il reste toutefois utile, avant même d'aborder ce chapitre, de recourir à certaines définitions nous permettant, dans ce qui suit, de lever des ambiguïtés sur les termes utilisés.

Le concept de "méthode" n'est en effet pas univoque. La réalité que nous souhaitons approcher dans ce qui suit correspond davantage à l'analyse même des composants de ce mot : meta et hodos, à la recherche de la route, direction qui mène au but. Notre propos traitera en effet des différentes directions prises par la didactique pour améliorer l'apprentissage des langues étrangères en étudiant de plus près la façon dont elles sont enseignées. C'est pourquoi le mot méthode tel qu'on l'emploie aujourd'hui ne peut correspondre tout à fait à ce que nous voulons traiter.

Le mot méthode, dans son utilisation habituelle, désigne en effet tout d'abord un matériel didactique développé par un auteur ou par un groupe d'auteurs. Ce matériel se compose généralement d'un livre destiné à l'apprenant (souvent appelé "Livre de l'élève"), divisé en unités d'apprentissage ou en dossiers, d'un cahier d'exercices renforçant les notions vues ou étudiées dans le livre, de cassettes audio permettant l'illustration ou la reprise des particularités phonétiques de la langue d'arrivée, voire d'un guide pédagogique aidant l'enseignant à exploiter au mieux les objectifs de l'auteur, et parfois, d'une cassette vidéo illustrant de façon moderne les faits de la civilisation du pays de la langue cible à travers des reportages et des interviews (authentiques ou non). On peut citer, pour le français langue étrangère, la "méthode de français" Le nouvel Espaces 69 (sic).

La méthode peut en outre représenter un ‘"ensemble de procédés et de techniques de classe visant à susciter chez l'élève un comportement ou une activité déterminés"70.’ Pour ce qui est du domaine qui nous intéresse, cette méthode peut être "active" lorsque l'enseignant suscite chez ses élèves une participation effective à leur propre apprentissage, "directe" lorsqu'on ne fait pas référence à la langue maternelle des apprenants, "orale" lorsque l'approche de la langue étrangère se fait dans un objectif de pratique orale.

Une troisième acception du terme de méthode est ce que Henri Besse appelle ‘"un ensemble raisonné de propositions et de procédés (...) destinés à organiser et à favoriser l'enseignement d'une langue seconde."71 ’ Cette interprétation du terme de "méthode" est ici conçue sous un aspect historique et a eu ou a encore pour effet une organisation méthodique de l'enseignement d'une langue étrangère à un moment donné. Ces méthodes reposent en outre sur celles qui l'ont précédée, soit en les complétant, soit en s'y opposant d'une façon plus ou moins catégorique. On reprendra ici le terme proposé par Puren de "méthodologie".

Ces trois axes, pour différents qu'ils soient, n'en sont pas pour autant séparés les uns des autres. Un matériel pédagogique se fonde toujours sur des méthodes qui, elles-mêmes reposent sur une, voire plusieurs méthodologies. Si l'on considère l'ensemble Le Nouvel Espaces, on remarque qu'il dépend de la méthode directe fondée sur une méthodologie notionnelle-fonctionnelle.

Présenter de façon succincte les méthodes ne saurait se réduire à un catalogue des ensembles pédagogiques utilisés aujourd'hui dans les diverses formations de français langue étrangère, ni même à une description des caractéristiques de chacune des méthodologies à leur origine.

Il nous a paru plus intéressant de ne considérer que les aspects méthodologiques caractéristiques de certaines d'entre elles et de les rapprocher de façon, en les comparant, à en mettre en avant les fondements théoriques, tant en ce qui concerne les contenus linguistiques que les présupposés psychopédagogiques.

C'est pourquoi on aura recours dans ce chapitre aux travaux de Jean Houssaye et de Renald Legendre.

Jean Houssaye, dans Le Triangle pédagogique 72, définit les interrelations et les interactions sujet-objet-agent qui sous-tendent tout acte pédagogique. Le sujet représente l'être humain mis en situation d'apprentissage, l'objet symbolise le contenu de l'apprentissage et l'agent est celui grâce à et par qui ou ce grâce à et par quoi cet apprentissage s'effectue (personnes enseignantes, moyens d'enseignement et processus d'enseignement).

Renald Legendre73 y ajoute le concept de milieu, constitué par l'environnement éducatif humain, les opérations et les moyens et illustre cette conception à l'aide de la formule mathématique :

qui s'énonce ainsi : ‘"L'apprentissage APP. est fonction des caractéristiques personnelles du sujet apprenant S, de la nature et du contenu de l'objet O, de la qualité d'assistance de l'agent A et des influences du milieu éducationnel M".’

Cet instrument d'analyse nous apparaît opérant dans la mesure où il nous permet, en considérant tous les "acteurs" de la relation pédagogique, de présenter d'une façon comparative les différentes méthodologies d'enseignement d'une langue étrangère.

Qu'est-ce qu'une relation pédagogique ? Legendre la définit comme ‘"l'ensemble des relations d'apprentissage, d'enseignement et didactique dans une situation pédagogique".’

La relation d'apprentissage est une ‘"relation biunivoque entre l'objet et le sujet dans une situation pédagogique"’. Ainsi le développement de S dépend-il de O, lui-même fonction du niveau de développement de S : on ne peut soumettre un sujet à un objet ne correspondant pas à ses facultés inhérentes, mais cet objet doit être projectif du développement du sujet.

La relation d'enseignement est une ‘"relation biunivoque entre le sujet et l'agent dans une situation pédagogique"’. Le développement de S dépend ici de l'aide apportée par A, aide qui est fonction du niveau de développement de S : un agent doit être adapté aux facultés inhérentes du sujet et le développement des facultés du sujet est dépendent de l'agent.

La relation didactique est une ‘"relation biunivoque entre l'objet et l'agent dans une situation pédagogique"’. Ainsi, la nature de O est fonction des ressources disponibles de A pendant que les ressources de A dépendent de l'identité de O: l'agent dispose de ressources qu'il adapte à l'objet lui-même soumis à l'agent.

En allant plus loin dans cette représentation mathématique, on pourrait dire que:

Ce qui implique que le sujet est fonction en même temps de l'objet et de l'agent, que l'objet est fonction à la fois de l'agent et du sujet, et que l'agent est fonction de l'objet et de l'agent.

Si l'on considère que les méthodologies font partie intégrante de l'agent, c'est-à-dire, comme on l'a dit plus haut, des personnes impliquées dans l'apprentissage (enseignants et autres apprenants), des moyens mis à leur disposition (ensembles pédagogiques ou matériel d'enseignement, allant du livre au micro-ordinateur), et des processus participant à cet apprentissage (travail individuel ou collectif, cours magistral ou échanges sous forme de séminaires), on voit que ce cadre conceptuel de Legendre suppose l'interaction entre les trois éléments de la relation pédagogique. On trouve ainsi trois types de variables présents dans toute situation pédagogique : des variables humaines, les variables de la discipline et les variables de l'environnement.

Rapporté au domaine précis qui nous occupe de la didactique des langues étrangères, ce cadre conceptuel peut être rapporté à la proposition de Claude Germain.

L'objet d'apprentissage (O) est la langue cible, L2, cette langue étant à la fois constituée par la nature de la langue (qu'est-ce qu'une langue ? A quoi cela sert-il ? comment cet objet est-il concrétisé ?) et la nature de la culture qu'elle est supposée véhiculer.

Le sujet de l'apprentissage (S) représente à la fois l'apprenant (son rôle dans son apprentissage) et la nature de l'apprentissage (comment le sujet apprend-il ?).

L'agent de l'apprentissage (A) définit de façon plus détaillée le rôle que jouent à la fois l'enseignant et le matériel didactique dans l'apprentissage.

C'est grâce à cette grille conceptuelle de Legendre que nous avons pu observer les diverses méthodes d'apprentissage d'une langue étrangère. Cette grille systémique ne doit cependant pas faire oublier ce que nous signalions au début de ce chapitre, à savoir que les diverses méthodes ont évolué dans un cadre historico-social, l'histoire des sociétés étant bien souvent à l'origine des réflexions que se sont faites les didacticiens contemporains de l'élaboration des méthodes.

Notes
67.

PUREN, Christian (1988), Histoire des méthodologies de l'enseignement des langues, Nathan / CLE International, Coll. Didactique des langues étrangères, 447 pages.

68.

GERMAIN, Claude (1993), Evolution de l'enseignement des langues : 5000 ans d'histoire, CLE International, Coll. Didactique des langues étrangères, 351 pages.

69.

CAPELLE, Guy & GIDON, Noëlle (1995), Le Nouvel Espaces, méthode de français, Hachette Français Langue Etrangère, Tomes 1, 2 et 3, comportant Livres de l'élève, Cahiers d'exercices, Guides pédagogiques, Cassettes audio et vidéo.

70.

PUREN, Christian (1988), op. cit., page 16.

71.

BESSE, Henri (1985), Méthodes et Pratiques des manuels de langues, CREDIF/Didier, page 14.

72.

HOUSSAYE, Jean (1988), Théorie et Pratiques de l’éducation scolaire, t. 1, Le Triangle pédagogique, Berne, Peter Lang.

73.

LEGENDRE, Renald (1988), Dictionnaire actuel de l'éducation, Larousse.