1.2.1. La culture est particulière aux 'native speakers'

Une des deux conceptions dominantes de la culture est le fait qu'elle est particulière aux "native speakers". Louis Porcher dit que ‘"la culture est faite de diversités inscrites dans (et constitutives d') une cohérence d'ensemble. [...] Toute culture est mode de classement, et nous sommes, selon la célèbre formule de Pierre Bourdieu, "des classeurs classés par (nos) classements."86

Cette assertion est lourde de conséquences sur la perception qu'on peut en avoir. Si la culture est particulière aux "native speakers", cela ne signifie-t-il pas qu'un non natif ne pourra jamais entrer dans cette culture, qu'il ne pourra jamais la comprendre (cum+prehendere), l'assimiler, la concevoir comme étant une culture à laquelle il puisse un jour participer, puisqu'il est dans l'impossibilité matérielle de faire partie de cette culture, d'y prendre totalement part ?

Les méthodologies sont ici avares de renseignements, d'autant plus qu'elles ne sont conçues pour la plupart que comme des méthodologies incitatives, pour débutants. Quels aspects culturels peut-on introduire dans une classe de débutants qui ne soit pas une culture de stéréotypes ? La réflexion sur ses propres stéréotypes, sur ses propres représentations culturelles ne risquent-elle pas ici de se transformer peu à peu en un rejet, ou, au contraire, en une défense intolérante de sa propre culture ?

Traditionnellement, en effet, la culture est ce que les anciens nous ont légué, les beaux-arts, l'architecture, la sculpture, la peinture, la musique, la littérature. C'est la littérature - on parle même souvent des "bons auteurs" pour les différencier de ceux qui, souvent par le seul contenu culturel de leurs productions, pourraient se révéler dangereux - qui apparaît, dans la méthodologie traditionnelle de grammaire-traduction, comme prédominante, dans la mesure où la langue qu'on y trouve représente le modèle à imiter. L'approche de la culture étrangère n'est donc pas une ouverture à l'autre, mais un moyen de perfectionner l'apprentissage de la langue par l'imitation des "grands" auteurs. Cette conception de la culture restera vivace jusqu'au moment où, les contacts se multipliant et les distances devenant plus courtes, l'apprentissage d'une langue ne se suffira plus d'être un exercice intellectuel, mais deviendra la composante d'une véritable éducation et où l'on recherchera alors des justifications plus humanistes à l'enseignement universel des langues étrangères.

L'apparition de la Méthode Directe remet ce modèle traditionnel en cause en insistant davantage sur la fonctionnalité de la langue enseignée et donc de la culture qu'elle véhicule. La culture est alors conçue comme l'ensemble des réalités quotidiennes communes aux locuteurs de la langue cible. La culture n'est plus synonyme des seuls beaux-arts, littérature ou autres, mais inclut des notions d'histoire et de géographie permettant d'approcher de façon plus approfondie le mode de vie quotidien des locuteurs de L2.

Cette conception nouvelle se retrouve dans presque toutes les méthodologies nouvelles, même si son importance est plus ou moins développée.

On reproche souvent, par exemple, l'absence de notions culturelles dans les méthodes audio-orales et structuro-globales audio-visuelles. Cela ne vient-il pas de ce que la culture est considérée comme étroitement associée à la langue ? Pourquoi dans ce cas procéder à un traitement particulier du problème culturel, tant du point de vue institutionnel ou sociologique que du point de vue personnel ou psychologique ? Si l'on excepte certains ouvrages spécialisés dans la présentation culturelle de la France87, la présentation de la culture ne consiste dans la plupart des matériels didactiques qu'en un prétexte permettant de présenter de façon plus attractive les faits de langue. Il ne saurait être question, d'ailleurs, pour les auteurs de ces matériels didactiques, de séparer langue et culture, même si le parti-pris peut se révéler parfois comme étant un phénomène de mode s'inscrivant dans une perspective excessivement synchronique : il n'est besoin que de reprendre la méthode Voix et Images de France, dont l'élaboration est presque trop facile à dater...

La transmission de la culture apparaît en outre très souvent comme aléatoire en ce qu'elle dépend beaucoup de la conception personnelle que le transmetteur a de ce qu'est la culture. La culture personnelle de l'enseignant, la liberté qu'il exerce dans ses choix méthodologiques, son autonomie constituent autant de facteurs qui laissent au contenu culturel des méthodologies d'enseignement des langues étrangères l'aspect kaléidoscopique de juxtaposition de faits culturels particuliers que l'on signalait plus haut.

Notes
86.

PORCHER, Louis (1986), La Civilisation, CLE International, pages 12-13.

87.

Cf. Les Français, La France de toujours, La France d'aujourd'hui (CLE International), Vivre au Pays (Hatier), Nouveaux Regards sur la France, La France aux cent visages (Hachette), pour ne citer que les derniers titres publiés.