2.1. L'apprentissage des méthodes

Une première catégorie présente comme hypothèse que l'apprentissage ne peut se faire que grâce à l'environnement. La méthode situationnelle et la méthode audio-orale sont par exemple essentiellement fondées sur une conception béhavioriste de la psychologie en ce qu'elles reposent sur l'acquisition d'habitudes et d'automatismes répondant à des sitmuli linguistiques. Le béhaviorisme skinnerien part de la constatation que le langage est un moyen de communication et postule que c'est en imitant les comportements communicatifs observables dans son environnement que l'enfant construit sa propre capacité à communiquer. L'apprentissage linguistique s'effectue de même lorsque sont réunies les conditions par lesquelles des renforcements, positifs ou négatifs, vont pouvoir s'appuyer sur des comportements afin d'en développer de nouveaux. Cet ensemble théorique, le "conditionnement opérant", est à l'origine en méthodologie de l'enseignement des langues étrangères des méthodes audio-orales et de ce qui en est resté , les laboratoires de langue et leurs exercices structuraux.

Deux critiques importantes ont été apportées à cette vision de l'apprentissage. D'abord, en ce qui concerne la langue, elle semble inadaptée lorsqu'il s'agit de savoirs non formels : si on peut en effet apprendre les règles orthographiques et grammaticales, il n'est pas sûr qu'on soit capable de les pratiquer grâce à cette seule connaissance théorique. D'autre part, on ne tient pas compte des représentations, des projets, des motivations du sujet apprenant, puisque le concepteur des processus pédagogiques est le seul décideur de ce qui est susceptible de faire progresser l'apprenant dans son apprentissage.

C'est le cas également de la méthodologie structuro-globale audio-visuelle (SGAV) fondée sur une approche gestaltiste de la psychologie. La grammaire, les clichés, la situation et le contexte linguistique visent à faciliter une réorganisation par le cerveau des différents éléments perçus par les sens, des stimuli extérieurs. Même si le sens n'est pas oublié, c'est pourtant la forme qui est privilégiée dans la mesure où le choix des éléments linguistiques se fait par des critères de fréquence et de facilité.

Une deuxième catégorie considère l'apprentissage, en réaction à la première, comme un processus interne au sujet. C'est le cas de l'approche communicative et de l'approche axée sur la compréhension qui repose sur une conception cognitiviste de la psychologie, fortement marquée par l'innéisme chomskyen de la grammaire générative-transformationnelle. Il ne s'agit plus de former un ensemble d'habitudes linguistiques, mais d'apprendre à former des règles permettant de produire de nouveaux énoncés plutôt qu'à répéter des énoncés déjà entendus dans l'environnement extérieur. Le sujet apprenant est créateur de sa langue. On n'apprend pas une langue par simple imitation puisqu'on est amené à produire des énoncés qu'on n'a jamais entendus auparavant. L'apprenant est acteur de son apprentissage.

L'approche naturelle de Krashen et Terrel propose un autre angle d'attaque de la réflexion méthodologique d'apprentissage d'une langue étrangère. Il s'agit en effet moins d'un apprentissage fondé sur une conception linguistique de la structure de la langue que sur une conception psychologique de l'apprentissage ou de l'acquisition d'une langue. On passe d'une conception linguistique à la conception psychologique présentée dans sa "Monitor Hypothesis."93 On y distingue l'acquisition, processus implicite, inconscient, axé sur le sens, en usage lors de l'acquisition de la langue maternelle, de l'apprentissage, processus explicite, conscient, axé sur la forme ou la grammaire, utilisé lors de l'apprentissage d'une langue seconde. L'apprentissage ne conduit pas immédiatement à l'utilisation "naturelle" de la langue. Il convient donc de réactiver chez l'apprenant d'une langue seconde - notamment chez l'adulte - l'ordre naturel d'acquisition des structures de L2. Krashen et Terrel postulent alors l'existence d'un "Monitor" chez l'adulte, qui représente l'‘"ensemble des connaissances explicites, des règles formulées, de la compétence consciente de l'apprenant qui se manifeste surtout au moment de l'énonciation et seulement pour contrôler la grammaticalité des énoncés, le moniteur ne pouvant enclencher lui-même un énoncé"94.’ Il s'agit bien ici aussi d'une approche de l'apprentissage axée sur des facteurs internes à l'individu, cognitiviste.

La méthode par le mouvement d'Asher95 repose sur une conception neurobiologique de l'apprentissage. Le siège du langage étant l'hémisphère gauche et celui des activités motrices l'hémisphère droit, une langue ne peut s'acquérir, selon Asher, que par une mise en activité de l'hémisphère droit avant que la langue, code du langage, ne soit traitée par l'autre hémisphère. Le premier observe et "apprend" ce que l'autre produit comme actions. Ici aussi, il s'agit ici d'une conception plutôt innéiste de l'apprentissage.

Une dernière catégorie se fonde sur l'interaction de l'environnement et du sujet. Deux méthodes sont ici plus particulièrement représentatives de cette interaction. La méthode communautaire de Curran96 et la méthode suggestopédique de Lozanov97, sous des formes sensiblement divergentes, en sont les représentants en ce qu'elles postulent qu'on ne peut apprendre sans tenir compte de l'environnement et qu'il convient par conséquent d'adapter l'environnement à son apprentissage. Apprendre une L2 est considéré comme un acte d'engagement personnel qui implique la totalité de l'individu, non seulement son intelligence, mais encore sa personnalité affective et émotive. Apprendre une L2 entraîne l'acceptation par l'apprenant d'une transformation plus ou moins profonde de sa personnalité. Ces deux méthodes postulent que l'apprentissage ne peut se réaliser efficacement lorsque l'apprenant n'est pas psychologiquement et physiquement détendu. Une sorte d'effet Pygmalion, promu par l'enseignant lui-même, conforte l'apprenant dans la sécurité qu'il doit ressentir pour accéder à un apprentissage optimal. Dans la méthode suggestopédique, le recours à une nouvelle personnalité, à un décor détendant, à la musique classique permettent à l'apprenant de concevoir l'apprentissage d'une L2 comme une activité agréable et relaxante, et fonctionnent comme agents de renforcement du processus d'apprentissage.

Notes
93.

KRASHEN, Stephen D., & TERREL, Tracy, D. (1982), Principles and Practice in Second Language Acquisition, New York, Pergamon Press. Cf. également KRASHEN, Stephen D., & TERREL, Tracy, D. (1981), Second Language Acquisition and Second Language Learning, New York, Pergamon Press

94.

BIBEAU, Gilles (1983), "La théorie du Moniteur de Krashen : aspects critiques", in Bulletin de l'ACLA [Association canadienne de linguistique appliquée], 5/1.

95.

ASHER, James J. (1969), "The total physical response approach to second language learning", Modern Language Journal, 53. Voir également Learning Another Language through Actions : The Complete Teacher's Guidebook. Los Gatos, California, Sky Oaks Productions, 1977-1979.

96.

CURRAN, Charles, A. (1961), Evaluative and Emotional Factors in Learning Foreign Language, Desclée.

97.

Cf. SAFERIS, Fanny (1978), Une révolution dans l'art d'apprendre, Coll. Réponses, Robert Laffont, 231 pages.