4.2.2. Les activités pédagogiques

Il apparaît que les activités pédagogiques proposées par les méthodes dépendent pour une grande part de l'option théorique qui les sous-tend. On a pu en dégager deux types caractéristiques : une option linguistique et une option situationnelle ou communicative.

La méthode audio-orale propose essentiellement des exercices structuraux (substitutions, modifications, insertions, transformations) non situationnels. Ce sont des exercices de conversation qui vont, par une transposition de l'acquis puis par la compréhension écrite à travers des textes de lecture, aboutir à une automatisation de cet acquis. Cette option est une option linguistique par essence, puisqu'elle ne permet pas à l'apprenant d'adapter son apprentissage à ses propres capacités d'expression, elle lui impose des formes d'expression qui peuvent lui être totalement étrangères.

En réaction à cette option trop exclusive, les autres méthodes ont axé leurs activités pédagogiques sur la communication.

Ainsi, la méthode SGAV s'appuie sur la théâtralisation à travers des représentations de sketches mémorisés, sur la communication par des questions auxquelles on apporte des réponses, par des réponses dont on doit reformuler les questions, même par des exercices structuraux, qui participent au renforcement de l'apprentissage et permettent d'introduire une expression libre, par des conversations dirigées qui partent des thèmes de la leçon, par la transposition d'une narration en dialogue, ou d'un dialogue ou récit interrompu, par le libre emploi de la langue, à partir d'un sujet proposé soit par l'enseignant soit par les apprenants. Il en est à peu près de même pour la méthode situationnelle.

La méthode communicative exclut totalement les exercices structuraux pour les remplacer par des jeux de rôle, de simulation, de résolution de problèmes afin de transmettre librement des informations, entraînant un feedback de la part de l'interlocuteur103. Cette conception des activités pédagogiques se retrouve dans la méthode communautaire qui ajoute la notion du "Human Computer", aide par la répétition à l'amélioration de la prononciation, ou dans le Silent Way avec sa technique de résolution de problèmes. La méthode naturelle de Krashen y adjoint des activités extra-scolaires centrées sur le contenu comme les visites de locuteurs natifs, l'étude des informations télévisées, l'organisation de tables rondes, la projection de diapositives. Cette volonté de faire correspondre les activités pédagogiques à des situations plus ou moins réelles de communication se retrouve également dans la méthode par le mouvement ou dans la méthode suggestopédique.

La méthode par la compréhension aurait pu s'insérer dans cette même catégorie puisqu'on y évite soigneusement les exercices structuraux. On remarque toutefois l'introduction d'exercices de comparaison lexicale entre L1 et L2, en ce qui concerne par exemple la formation des mots.

Si les types d'exercices sont variés, il existe toutefois une prédominance certaine d'activités pédagogiques de type question-réponses dans toutes les méthodes.

Pour conclure, le retour souvent timide de la L1 après son éviction par les méthodes audio-orale et SGAV dans leurs conceptions initiales constitue en fait un retour à la raison dû pour une bonne part aux recherches sur la description de l'interlangue.

On peut définir l'interlangue comme la connaissance et l'utilisation "non-natives" d'une langue quelconque par un sujet non-natif et non-équilingue, c'est-à-dire un système autre que celui de la langue-cible mais qui, à quelque stade de l'apprentissage qu'on l'appréhende, en comporte certaines composantes.

Sa description vise à dépasser l'analyse des erreurs en décrivant non seulement les performances (analyse des erreurs), mais surtout les compétences sous-jacentes et la façon dont elles sont activées dans les performances. Il s'agit de décrire les grammaires intériorisées à travers les activités langagières qui les manifestent, pour en caractériser les spécificités et les modalités de développement.

L'interlangue est intermédiaire entre la langue-cible, dont elle tend en principe à se rapprocher, et le système intériorisé de la langue maternelle qui constitue son substrat d'acquisition. L'interlangue est un système symbolique de signes, tout à la fois systématique et variable : sa cohérence n'existe qu'à un moment donné, et ses règles sont à la fois linguistiques et sociolinguistiques.

Ce qui la distingue des autres systèmes symboliques, c'est son instabilité et sa perméabilité. Elle comprend des zones floues, où se manifestent des hypothèses concurrentes venant de l'"extérieur" du système, traces de restructurations en cours permettant son évolution. Cette évolution peut-être freinée ou stoppée par des phénomènes de fossilisation (pertes de perméabilité), ou même de régression (réapparition régulière d'erreurs fossilisées).

Quoi qu'il en soit, l'interlangue pose la question de l'utilisation et du statut de la langue maternelle dans l'apprentissage d'une langue étrangère, et il semble que le recours à la L1 demande à être davantage théorisé, puisque le rôle qu'on lui confère dans chacune des méthodologies étudiées manque encore trop de fondements théoriques précis, notamment en ce qui concerne le mode d'organisation et de développement de l'interlangue, ou, plus généralement, son rapport avec les langues "jeunes", les pidgins et les créoles d'une part, le langage enfantin d'autre part.

Mais cette théorisation se doit de déboucher sur des propositions nouvelles d'activités pédagogiques en liaison avec ce phénomène de l'interlangue, tout en évitant qu'il ne devienne à son tour le prétexte d'une modélisation trop exclusive.

Enfin, si le recours à la L1 s'est développé dans les pratiques en dépit des suggestions théoriques des méthodes, force est de constater que cet aller-retour langue-communication a fait évoluer la didactique des langues dans la mesure où la langue n'est plus aujourd'hui considérée comme un pur objet d'apprentissage linguistique, mais comme un moyen indispensable de communication interculturelle.

Notes
103.

Cf. MORROW, Keith (1981), "Principles of communicative methodology", in K. JOHNSON et K. MORROW, éd., Communication in the Classroom, Harlow, Longman.