4.3.1. Une interaction enseignant-apprenants ?

Pour ce qui est de l'interaction enseignant-apprenants, il existe trois conceptions différentes. Pour la première, l'interaction n'existe pratiquement pas, puisque c'est l'enseignant qui est le maître du jeu. La deuxième conception donne une égalité de rôles à l'enseignant et aux apprenants : il y a véritablement interaction entre les deux. La troisième considère l'enseignant comme un truchement, celui par qui l'interaction se produit entre les apprenants eux-mêmes, considérés comme les seuls agents de la communication dont leur apprentissage est l'objet.

Dans la méthode audio-orale, les apprenants ont pour tâche de suivre les directives de l'enseignant : même lorsque l'interaction se produit entre les apprenants eux-mêmes, cette interaction se fait sous le ferme contrôle de l'enseignant, puisque c'est lui qui impose la nature de l'interaction. Cela se retrouve dans la méthode SGAV où ce n'est que lors de la phase d'exploitation que l'interaction se produit vraiment entre les apprenants, même si cette phase est également sous contrôle.

La méthode situationnelle montre davantage de libéralité puisque les apprenants passent d'une attitude passive à une activité grâce à un contenu certes d'abord imposé mais qui, par des questionnements entre apprenants toujours sous le contrôle de l'enseignant, confère à l'interaction entre apprenants un statut, même s'il reste encore peu important. Il en est de même pour la méthode naturelle de Krashen pour laquelle, même si les apprenants interagissent entre eux à l'intérieur de petits groupes, c'est encore l'enseignant qui choisit le matériau à utiliser.

La méthode par le mouvement se distingue des autres méthodes, tout en suivant la même conception, puisque l'interaction se produit d'abord entre l'enseignant et chaque individu apprenant, ensuite entre l'enseignant et de petits groupes, puis entre l'enseignant et la classe entière ; les apprenants interagissent en suivant le même schéma individu-groupe-classe et même avec l'enseignant, qui garde toujours cependant l'initiative des activités.

Pour la méthode suggestopédique, l'initiative des interactions revient clairement à l'enseignant qui va s'en décharger au fur et à mesure de l'apprentissage en faveur des apprenants eux-mêmes ; l'environnement (fauteuils confortables, lumière tamisée, musique douce) interagit également et revêt, selon Lozanov, une importance considérable pour favoriser la détente et la relaxation, indispensables au bon déroulement de l'apprentissage. En ce qui concerne la méthode par la compréhension, c'est l’enseignant qui dirige les sessions de remue-méninges préalables à la formulation d'hypothèses, et c'est lui qui fournit les repères linguistiques ; il existe bien une relation de partenariat entre l'enseignant et les apprenants, les apprenants interagissant entre eux d'une manière analogue à celle existant dans l'approche communicative.

C'est l'approche communicative et la méthode communautaire qui se montrent ici les plus originales. Il convient en effet d'éviter l'interaction entre l'enseignant et les apprenants, puisque l'enseignant est un co-communicateur qui a pour tâche et qui doit se contenter de fournir un environnement linguistique et de suggérer des situations de communication stimulantes. Ainsi, l'interaction devient beaucoup plus fréquente entre les apprenants sous la forme de groupes plus ou moins grands.

La méthode communautaire s'appuie sur l'idée que l'apprenant est une personne à part entière. L'enseignant se tient par conséquent derrière les apprenants suivant en cela l'image du psychanalyste provocateur d'actes de parole. L'enseignant n'est plus un modèle à imiter ; c'est l'apprenant qui doit se prendre en charge et qui décide ce qu'il veut dire. L'enseignant a pour tâche de créer une atmosphère de liberté afin d'éviter le recours par l'apprenant à des mécanismes de défense inhibant l’apprentissage, tout en marquant des limites (temporelles ou autres) dans l'apprentissage. L'enseignant a également pour tâche de conduire les apprenants à l'autonomie, c'est pourquoi de traducteur au début, il se transforme peu à peu en conseiller. C'est au ‘"stade de l'adolescence ou de fonctionnement indépendant"’, même si la L2 n'en est qu'aux rudiments, quatrième des cinq étapes définies par Curran104, que l'apprenant commence à développer son autonomie. Le travail se fait en sous-groupes non dans un esprit de compétition, mais dans un esprit de coopération communautaire. Il en est de même pour le Silent Way où l'enseignant reste silencieux et se contente de donner des indices, non des modèles à imiter. On voit apparaître dans les groupes utilisant cette méthode un sentiment très fort d'appartenance à une communauté d'apprentissage, donc de coopération permettant de développer, personnellement et en interaction avec les participants du groupe, ses propres critères de correction. Il convient de s'entraider, et le silence de l'enseignant favorise cette entraide et un climat d'apprentissage positif, dans la joie et la détente.

Même si les méthodes sont peu loquaces pour ce qui est des interactions qu'elles mettent en place, comme si elles n'osaient pas trop y interférer, l'enseignant est appelé à jauger l'importance qu'il donne à son action dans cette relation d'enseignement. Il reste en effet le seul dans la classe dont la compétence, c'est-à-dire ici la connaissance approfondie, reconnue, qui lui confère le droit de juger ou de décider, est reconnue de tous. C'est cette compétence qui le rend apte à traiter les erreurs des apprenants comme il se doit.

Notes
104.

Ces cinq étapes de CURRAN sont :

1. stade infantile de totale dépendance ;

2. stade d'affirmation de soi ou d'indépendance par rapport aux parents ;

3. stade de préadolescence ou "separate-existence stage" où l'apprenant commence à comprendre les autres par lui-même en L2 ;

4. stade de l'adolescence ou de fonctionnement indépendant même si la L2 n'en est qu'aux rudiments ;

5. stade de l'autonomie ou de perfectionnement où l'apprenant peut même se transformer à son tour en conseiller