4.3.2. Le traitement de l'erreur

Les méthodes ont chacune des propositions concrètes de traitement de l'erreur, mais on peut identifier trois tendances selon que la méthode est centrée sur la langue, sur l'apprentissage ou sur l'autonomisation de l'apprenant.

Pour la méthode audio-orale et pour la méthode situationnelle, l'erreur est interdite, qu'elle soit d'ordre phonétique ou grammatical. On évite son apparition en l'anticipant par une analyse comparée, contrastive ou différentielle entre L1 et L2. Il incombe à l'enseignant de corriger les erreurs qui passent les mailles du filet.

Une autre conception du traitement de l'erreur apparaît dans la méthode SGAV. S'il n'y a pas de correction dans une première phase, les apprenants peuvent intervenir et corriger les énoncés erronés (Cf. Voix et Images de France). La correction phonétique a lieu pendant la phase d'exploitation. Mais c'est lors de la transposition que l'enseignant note les erreurs sans les corriger afin de procéder ultérieurement à une systématisation de la correction et à un élargissement permettant de traiter des problèmes grammaticaux précis. La correction phonétique est quant à elle fondée sur une analyse contrastive des erreurs dues à l'interférence des deux systèmes phonologiques et doit donc faire l'objet de mesures systématiques de correction (intonation, rythme, phonétique combinatoire). La méthode communautaire reprend un peu le même schéma puisque l'enseignant reprend les énoncés fautifs créés par l'apprenant en les redisant correctement. Il en est de même pour la méthode suggestopédique où les erreurs sont tolérées au début de l'apprentissage. L'enseignant reprend les formes correctes ultérieurement dans la séance pour corriger les erreurs. La méthode par la compréhension insiste sur les erreurs de compréhension : seules les erreurs linguistiques ayant une incidence sur la compréhension du message sont corrigées. La correction de l'expression reste donc toujours minimale. Ce qui importe, ce sont les erreurs de compréhension pure qui, elles, sont immédiatement corrigées en interaction avec le groupe des apprenants.

La méthode communicative introduit le rôle de l'interlangue où l'apprenant, par ses erreurs, se construit lui-même sa L2. Puisque l'erreur est considérée comme un phénomène naturel de l'apprentissage, qui montre que cet apprentissage est en train de s'effectuer, l'erreur est tolérée par l'enseignant. Krashen va même jusqu'à soupçonner la correction des erreurs d'être pour une bonne part responsable de l'inhibition communicative des apprenants. Il en est de même pour le Silent Way : ‘"Je ne corrige pas les erreurs de l'apprenant" (Gattegno)’. L'apprenant doit se fabriquer ses propres critères de correction en écoutant les autres et en comparant ses productions à celles des autres. L'enseignant n'intervient que si les autres apprenants n'arrivent pas à aider suffisamment l'apprenant en difficulté.

Les erreurs commises par les sujets d'un apprentissage ont toujours été des objets de recherche qui devaient permettre de comprendre la façon dont se produit cet apprentissage. L'analyse des erreurs de l'apprentissage des langues étrangères s'était fixé pour objet l'étude des processus d'apprentissage d'une L2 afin d'en améliorer l'enseignement et de clarifier pour les maîtres les irrégularités existant dans la langue-cible. Depuis les travaux de Corder, l'erreur est considérée comme un phénomène naturel, inévitable et nécessaire, reflet du montage progressif des grammaires d'apprentissage sur la base d'hypothèses successives. On la distingue de la faute, phénomène de performance, non-systématique, susceptible d'auto-corrections spontanées. L'erreur n'existe pas du point de vue de l'apprenant, c'est seulement la comparaison par un tiers de la grammaire intériorisée avec celle du natif qui lui fait prendre conscience de ses erreurs.

Les erreurs ont plusieurs origines. Elles peuvent être interlinguales, c'est-à-dire dues à l'influence de la langue maternelle, à des interférences entre cette langue maternelle, l'interlangue et un peu de la langue étrangère. Mais elles peuvent aussi être intralinguales. Elles sont alors souvent proches de celles commises lors de l'acquisition de la langue maternelle et sont souvent dues à des généralisations analogiques abusives. Enfin elles peuvent être aussi mixtes. En généralisant, on pourrait dire d'ailleurs que toute erreur possède une composante d'interférence et une composante d'analogie dans des proportions variables.

A chaque stade de son apprentissage, l'apprenant construit donc une grammaire d'apprentissage, source de formes correctes et de formes erronées. On appelle ces systèmes intermédiaires dont l'apprenant à chaque stade est le locuteur natif, système approximatif, compétence transitoire, dialecte idiosyncratique, grammaire intériorisée, interlangue.

On aurait pu, comme le fait Christian Puren, ne considérer le développement des méthodes que d'un point de vue historique. Il nous a paru plus intéressant et plus original de les traiter sous un angle comparatif. Les méthodes trouvent certes toutes leur origine ou leurs développements dans une réflexion déjà organisée de l'ensemble didactique. Le continuum de la recherche de la connaissance de tout ce qui touche l'homme a permis que chaque méthode fasse avancer la connaissance de ce qui est inhérent à la personne humaine : son développement continuel par l'accès toujours inachevé à la connaissance.

Cette recherche continuelle de la connaissance et de sa vérité ne doit cependant pas faire oublier son éternelle remise en question. Il est temps, dans notre exposé de réfléchir sur la valeur de ces différentes méthodes eu égard à ce qu'elles concernent sans cesse l'être humain.

L'être humain est intérieur et extérieur. Le langage fait tout autant partie de son intériorité que de son extériorité. Les méthodes proposées ici ne semblent toutefois pas toujours en adéquation avec des questions encore plus fondamentales. En quoi en effet ces différentes méthodes permettent-elles à l'homme de mieux extérioser son intériorité, en quoi lui permettent-elles d'intérioriser l'extériorité ? En d'autres termes, est-ce que ces méthodes permettent à l'homme de paroles de devenir dialogal, autonome en société ? C'est ce qui fera l'objet de notre troisième chapitre, qui proposera des réflexions sur chacune de ces méthodes en regard aux diverses questions qu'elles ne cessent de nous poser.